Big data et intelligence artificielle sont les drivers de l’innovation dans le recrutement. Dès le premier contact sur les sites des entreprises, des assistants virtuels se proposent de répondre aux questions des candidats. La chasse aux profils est confiée à des intelligences artificielles et le matching rend le recrutement prédictif et affinitaire. Des outils tellement éloignés de la relation humaine, fondement d’un recrutement, que la question de leur développement se pose. Alors mode ou tendance de fond ?
Deux courants de pensée s’affrontent face à l’impact du digital sur les RH. « L’un se félicite que l’IA et la data analytics permettent de recruter plus objectivement et aux professionnels des RH de se concentrer sur leurs missions à valeur-ajoutée ; tandis que l’autre s’inquiète que l’on abandonne des décisions à l’IA alors que des expériences montrent que la reproduction de critères bloquent certains postes pour certains individus » résume Annie Dutech, professeur référent du Career center et responsable de l’option management des RH à TBS.
Être digital pour séduire les digital natives
« Quel que soit le point de vue sur ces outils, il est inimaginable de ne pas les utiliser pour s’adresser aux digital natives » prévient Elodie Gentina, enseignant-chercheur à l’IÉSEG School of management et auteure de Génération Z, des Z consommateurs aux Z collaborateurs chez Dunod, 2018. Les Y sont très présents sur Facebook et les Z plébiscitent Snapchat ; on parle même de dépendance au smartphone. « Le digital est synonyme d’agilité, de quotidien pour eux. Les plateformes de recrutement, les tests en ligne, les business games font écho à leurs usages et génèrent une image attractive de l’entreprise dans leur esprit. Ils aiment la messagerie en direct, échanger avec un chabot peut leur sembler naturel. » Être en pointe sur les outils et l’expérience digitale est donc un élément d’image et de marque employeur. Pour autant, la relation digitale doit se concrétiser par un contact. « Les plus jeunes sont très sensibles à l’ambiance, l’équipe, la collaboration, le relationnel, l’émotionnel », insiste Elodie Gentina.
Immaturité des technologies
L’IAE a pour objectif de suppléer l’humain sur des tâches automatisables, non de le remplacer. Un algorithme peut ainsi trier des CV sur la base de mots clés et critères renseignés par l’humain. Le hic, c’est que selon Eric Le Deley, DG de l’IGS-RH, les technologies ne sont pas mâtures. « Les startups du secteur vendent en réalité des projets de R&D. Leurs algorithmes ne sont pas encore totalement aboutis pour trier des profils. Entrer des critères ferme et fige le tri. Certains sont plus malins néanmoins et proposent déjà comme Clustree, d’identifier la variété des parcours qui mènent à un métier. »
A partir de ce postulat, le métier des recruteurs et RH a vocation à évoluer pour se concentrer sur les activités où l’analyse et la perception humaines sont à valeur-ajoutée. « Dégager du temps permet d’avoir un coup d’avance en se concentrant sur la stratégie et le métier des RH c’est-à-dire la relation humaine, l’écoute, l’accompagnement. En ce sens l’IA permettrait de revenir aux fondamentaux de la fonction » développe Eric Le Deley.
L’IA pour sourcer, l’humain pour recruter
Ces technologies doivent donc rester des outils, de la forme. Ce qui importe le plus durant un process de recrutement, c’est ce que pensent et ressentent les personnes. « Le contact humain reste la clé. Quel est le sentiment d’un candidat qui se dit « On ne prend même pas le temps de me rencontrer pour évaluer ma candidature ». Toutes les technologies du monde ne remplaceront pas ce que perçoivent un candidat et un recruteur en se rencontrant. »
Le plus rare dans un processus de recrutement est l’entretien d’embauche. « Il doit donc être le moment marquant de l’expérience du candidat, rappelle Eric Le Deley. Les belles interfaces web, l’effet wahou d’une IA ou d’un jeu en ligne, doivent rester des produits d’appel. »
Chasse 3.0
Tout n’est pas noir pour autant. Ces nouveaux outils élargissent les données examinées durant un recrutement. Tester des compétences en ligne, mettre en situation via des jeux ou via la réalité virtuelle pour évaluer les potentialités : le monde virtuel ouvre les possibilités de mieux connaître un candidat. L’analyse des données issues du parcours virtuel permet de faire le matching, de tester la correspondance entre les besoins d’une entreprise et les qualités et le potentiel du candidat.
Cabinets spécialisés et entreprises composent désormais des bases de données à partir de questionnaires renseignés par des professionnels en poste. Ils listent ainsi les capacités cognitives, compétences, attitudes et comportements, parcours, performances attendues dans un poste donné. Les profils des candidats sont ensuite observés à l’aune de ces portraits robots, les potentiels évalués par un algorithme. Dans la même veine, des intelligences artificielles scrutent les réseaux sociaux pour détecter des talents répondant à des critères prédéfinis.
Prédiction et analyse de données
Là où hier, les tests visaient à décrire les compétences et le potentiel de candidats, la société Saven promet que son IA prédit leur capacité à réussir dans un poste par comparaison avec une base qualifiée. L’IA source les candidats aux profils les plus pertinents par rapport aux profils de référence. De son côté, le recrutement affinitaire s’intéresse à la personnalité via des tests, afin de proposer de matcher candidats et entreprises en fonction de leurs attentes et valeurs, de l’ambiance. In fine, l’enjeu est toujours le même : gagner du temps, réduire le nombre des entretiens.
Comme toute technologie émergente, la data analytics possède ses limites, ses biais et ses dérives. Tout dépend de la manière dont les algorithmes sont configurés et des usages qu’en font les recruteurs. L’outil peut s’avérer restrictif voire discriminatoire. A l’évidence, le tri et l’analyse des données vont se perfectionner. En outre, les outils d’entretien à distance permettront une interaction plus importante à l’avenir. Mi-robot mi-humain, le visage du recruteur sera à multiples facettes.
Digital labor et big data encore sous-exploités
L’étude 2017 HR Transformation Survey de KPMG menée auprès de 900 responsables d’entreprises, dans 48 pays, nous apprend qu’ils ne sont que 20 % à déclarer utiliser des technologies avancées de prédiction et d’analyse de données. Elle pointe également les freins à leur développement :
- Absence de base de données intégrée (58 %)
- Incompatibilité des outils RH utilisés (54 %)
- Manque de compétences nécessaires des collaborateurs RH (54 %)
Ces technologies sont en revanche promises à un bel avenir pour 73 % des dirigeants français qui anticipent un impact significatif du digital labor dans les deux à cinq ans ; principalement sur les activités de formation (62 %), de gestion des talents (52 %), d’acquisition des talents (52 %) et d’analyse et prédiction (52 %).
#2MARQUEEMPLOYEUR / Et maintenant l’expérience collaborateur