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[Analyse] La France aux pieds d’argile

Depuis les années 80, des changements politiques, sociaux et économiques majeurs ont profondément changé le monde. Avant les années 80, plus de la moitié des pays étaient sous régime dictatorial ou dirigiste, et par conséquent peu intégrés au commerce international. Ironiquement, le protectionnisme des pays interventionnistes protégeait les industries des pays développés. Les pays en dehors du bloc Occidental n’étaient donc que de simples fournisseurs de matières premières à un marché mondial limité presqu’aux seuls consommateurs des pays développés.

 

La globalisation opère et le monde s’enrichit…

Le basculement dans un autre monde s’est initié avec l’ouverture de la Chine dans les années 70 et s’est définitivement opéré avec la chute du rideau de fer en 1989. Dès lors l’ouverture économique a eu lieu, le protectionnisme a diminué et l’intégration des marchés s’est réalisée. La prospérité économique a pu enfin bénéficier aux pays qui en avaient été exclus jusque-là. Selon les données de la Banque Mondiale, nous sommes passés d’un monde où presque 50 % de la population mondiale vivait sous le seuil de pauvreté (dont presque la totalité en Asie et en Afrique) dans les années 80, à un monde où moins de 10 % de la population globale se trouve dans cette situation aujourd’hui. Le PIB mondial par tête en parité de pouvoir d’achat a augmenté de 72 % en moins de 30 ans en passant d’environ 9 000 à 15 500 en dollars constants aujourd’hui. Le monde est devenu plus riche, moins polarisé économiquement, avec une convergence des régimes politiques vers des démocraties.

et la France aussi

Ce scénario mondial peut paraître porteur pour un pays comme la France, respectivement 8è et 4è plus grand exportateur mondial de marchandises et services selon l’Organisation Mondiale du Commerce. En outre, l’économie française compte de nombreux géants présents partout dans le monde et issus de secteurs très variés : Axa, Total, Carrefour, Danone, Renault-Nissan, BNP Paribas, Sanofi, LVMH, EDF, Orange, Vinci, pour ne citer qu’eux. Ce positionnement reflète la qualité des ingénieurs et scientifiques français. Une qualité également visible dans les grandes écoles de commerce françaises, 24 dans le classement du Financial Times, le plus grand contingent national du classement.

La France malade de ses rigidités

Néanmoins, cet enrichissement mondial a sonné le glas de la protection des industries des pays développés. Avec l’intégration de la Chine et des pays asiatiques, la France a vu le textile, la métallurgie et l’automobile délaisser l’Hexagone pour des contrées plus flexibles en termes de législation du travail. Selon l’INSEE, l’emploi dans les services et dans l’industrie en France passe respectivement de 55 % et 37 % dans les années 80 à plus de 75 % et à moins de 20 % aujourd’hui. Dans cet environnement, l’adaptabilité est fondamentale ce qui n’est pas l’apanage de la France en raison de la lourdeur de sa fiscalité et de la rigidité de son marché du travail. L’OCDE estime que la fiscalité d’un investisseur résidant en France atteint en moyenne 60 % des bénéfices de son entreprise contre 40 % en moyenne dans l’Union Européenne. De quoi en effrayer plus d’un ! Rien d’étonnant que les grandes sociétés françaises réalisant une partie significative de leurs chiffres d’affaires à l’étranger préfèrent domicilier une partie de leur activité dans des pays fiscalement plus accueillants. De même, un salarié voit son revenu brut total (le fameux super brut) amputé en moyenne de 56 % entre cotisations et impôt sur le revenu. Si nous ajoutons au problème fiscal, la pléthore normative française et l’épaisseur du code du travail, la France peut apparaître comme un véritable repoussoir !

Malgré ces atouts, la France reste trop rigide pour un monde dynamisé par la concurrence. Sans réforme en profondeur, la France risque de rester sur le bas-côté à contempler l’essor économique international.

 

les auteurs sont

Nathalie Janson et Gabriel Gimenez Roche, tous deux enseignants-chercheurs en économie NEOMA Business School

 

 

Nathalie JANSON : Nathalie Janson a obtenu son Doctorat en Economie à l’Université Paris I-La Sorbonne en collaboration avec le programme ESSEC PhD. Elle est professeur associée d’Economie à NEOMA Business School depuis 2001 et enseigne essentiellement la Microéconomie, l’Argent et la banque, et l’Organisation et la réglementation bancaire. Elle a enseigné dans de nombreux pays, y compris la France, les Etats-Unis, la Colombie, la Chine et l’Italie. Ses centres d’intérêt portent sur la réglementation bancaire (particulièrement les Accords de Bâle) et sur la politique monétaire. Une partie de ses recherches a été publiée dans des revues à comité de lecture. Elle est présente dans les médias et écrit régulièrement pour la presse sur des sujets liés à l’Europe, les décisions de politique monétaire et la réglementation du secteur bancaire. Elle s’intéresse particulièrement au développement des cryptomonnaies.

Gabriel GIMENEZ-ROCHE : Gabriel est un économiste de marché éclectique qui donne des cours en France sur des sujets tels que la micro- et la macroéconomie, la monnaie et la banque, les cycles économiques, les processus entrepreneuriaux, et les marchés en Amérique Latine. Il a également enseigné en tant que professeur invité au Mexique, Pérou, Thaïlande, Vietnam et Pologne. Sa recherche porte sur comment les politiques gouvernementales provoquent des distorsions sur les signaux de marché, essentiels à l’entrepreneuriat. Cette distorsion altère le calcul entrepreneurial, résultant ainsi en de mauvais investissements pendant les périodes de croissance économique, mais qui sont révélés uniquement lors des crises. Il s’intéresse aussi en comment les routines émergentes servent de base aux activités entrepreneuriales pour limiter l’incertitude et générer des routines émergentes. La recherche de Gabriel est publiée dans de nombreux journaux dont World Economy, le Journal of Small Business and Enterprise Development, le Journal of Economic Issues, le Review of Austrian Economics, le Review of Political Economy, Industry & Innovation, le Journal of Entrepreneurship et les Cahiers Français.