Anne-Lucie Wack, directrice générale de Montpellier SupAgro et présidente de la Conférence des grandes écoles

[Grand entretien]

Ingénieure Générale des Ponts, des Eaux et des Forêts, diplômée de l’Institut National Agronomique Paris-Grignon et titulaire d’un doctorat, avec une formation complémentaire  de l’INSEAD, Anne-Lucie Wack devient directrice générale de Montpellier SupAgro en septembre 2013. Un parcours qui aurait pu en satisfaire beaucoup mais Anne-Lucie Wack ne se fixe aucune limite. En juin 2015, elle est élue présidente de la Conférence des grandes écoles : une première pour une femme !

« Avancer tous ensemble et à tous les niveaux. »

Anne-Lucie Wack, directrice générale de Montpellier SupAgro et présidente de la Conférence des grandes écoles

Fait suffisamment rare pour être noté : la question de la féminisation dans les écoles d’ingénieurs agronomes ne se pose pas dans les mêmes termes que dans les autres écoles d’ingénieurs !  En effet 70 % des étudiants sont des femmes : l’inverse des écoles d’ingénieur « classiques » qui n‘en accueillent en moyenne que 30% !

« Il n’existe pas d’explication simple à cette forte féminisation, si ce n’est sans doute que ces écoles d’agronomie allient les sciences de l’ingénieur  et la biologie, discipline qui attirerait plus les filles.  Mais il peut aussi y avoir des stratégies d’évitement ou d’autocensure vis-à-vis des autres cursus d’ingénieur. » Un sujet à creuser !

Les inégalités persistent même dans un secteur féminin

Toutefois, même avec cette forte féminisation, on constate  une différence dans les carrières entre les hommes et les femmes ! « Lorsque j’ai pris la direction générale de Montpellier SupAgro, j’ai voulu intégrer une ancienne étudiante de Montpellier SupAgro dans le comité d’administration de l’école mais avec les Alumni nous avons eu beaucoup de mal à en trouver une en position élevée de leadership dans une entreprise. » De manière globale, les femmes ne font pas les mêmes carrières que les hommes : salaires, évolution… même dans l’agronomie qui est pourtant une affaire de femmes! « J’étais ainsi la 1re femme directrice générale de Montpellier SupAgro alors que l’école a 150 ans. Et je reste aujourd’hui la seule femme directrice générale d’une grande école d’ingénieurs agronomes. »

Dès son arrivée à la direction générale de Montpelier SupAgro, Anne-Lucie Wack signe la charte égalité femmes-hommes de la Conférence des grandes écoles. Elle lance également le processus de  modification des statuts de Montpellier SupAgro, qui  inscrivent désormais l’obligation de parité dans la désignation de personnalités qualifiées dans les instances de gouvernance. Enfin, elle met en place un nouveau plan d’action développement durable intégrant des objectifs de parité.

La 1re femme élue présidente de la Conférence des grandes écoles

Même dans des milieux comme l’enseignement supérieur et la recherche, où il y a beaucoup de femmes, le leadership reste très masculin.  Des proportions quasi identiques dans le monde universitaire.

« Je suis la 1re femme à la tête de la CGE mais également la seule femme actuellement à la tête d’une conférence représentative de l’enseignement supérieur,  la CPU et CDEFI sont présidées par des hommes. Sur 216 écoles membres de la CGE, nous sommes ainsi 22 femmes en position de direction générale, soit 10% seulement des dirigeants des grandes écoles. »

logo de l'école Montpellier SupAgroEn entreprise, le constat est le même : les femmes sont sous-représentées au niveau des postes de management et de direction. Il existe en outre une répartition très liée au genre : les femmes sont plus souvent présentes dans la communication ou la santé, et les hommes dans les finances, l’industrie, les postes à responsabilité… La société dans son ensemble aurait à gagner avec plus de mixité et de parité. « C’est tout d’abord une question de bon sens : mieux vaut tirer parti de 100 % des cerveaux et des talents, plutôt que de puiser les ressources dans seulement la moitié de l’humanité ! Je trouve toujours gênant que l’on justifie le besoin de parité par le fait que femmes et hommes auraient des approches ou des aptitudes différentes,  car il y a de ce point de vue sans doute plus de différences entre 2 hommes ou entre 2 femmes qu’entre un homme et une femme. »

Une question d’équité et de non-discrimination

Les causes de ces disparités femmes-hommes s’avèrent multiples et complexes. Comment alors faire  bouger les choses ? « Il faut agir au moins à deux niveaux : on parle souvent du niveau d’action sur les femmes elles-mêmes,  par exemple les former au leadership, ou encourager l’entrepreneuriat féminin. Mais je crois qu’il faut aussi et surtout créer un environnement facilitant dans la société et dans les entreprises et lutter à tous les niveaux sur les stéréotypes de genre et les schémas mentaux qui perdurent. J’en vois des exemples au quotidien et j’y suis encore moi-même confrontée malgré mon parcours et mon expérience. On a tous de ce point de vue, hommes et femmes, un effort collectif à faire. »

S’identifier à des modèles féminins

L’époque actuelle est une période de transition au sein de laquelle le leadership reste très masculin. Il faut donc se donner les moyens d’accélérer cette évolution. « Je suis convaincue qu’il peut être  très inspirant, pour nos jeunes étudiantes, de voir des exemples de femmes en position de leadership dans les administrations et dans les entreprises : demain, il faudrait que cela  devienne banal, que ce soit la norme. Il faut que les jeunes femmes puissent s’identifier  à des modèles féminins et voir que cela est possible pour elles. » Lorsqu’on forme une femme dans une grande école, que l’État et les familles investissent dans sa formation, il est légitime d’attendre qu’elle puisse aussi occuper un poste de responsabilité, de la même façon que ses homologues masculins.

SES Sources de motivation

« J’ai pris des responsabilités de management dès l’âge de 29 ans, en  pilotant des équipes de cadres scientifiques qui étaient bien plus âgés que moi, et j’ai pris ensuite progressivement des responsabilités croissantes, étape par étape. J’avais un solide bagage technique et scientifique, mais ce qui me motivait d’abord était de pouvoir avoir une vision globale et pour cela, d’être en situation de responsabilité et de management. Cette motivation était très liée à mes valeurs d’engagement pour le partage du savoir et pour l’intérêt collectif. Voilà ce qui a constitué mon moteur et le fil rouge de mon parcours. »

« Ne vous autocensurez pas ! »

« Mon 2e conseil serait  d’échanger avec d’autres femmes sur ces questions pour partager l’expérience, je crois beaucoup au mentoring dans ce type de situation. »

« Mon principal conseil serait : n’attendez pas qu’on vienne vous chercher, prenez votre place ! Et restez vigilantes par rapport aux stéréotypes de genre, qui font que l’on va vous orienter ou vous évaluer d’une façon qui n’est pas forcément pertinente. »

Peu après son élection à la tête de la CGE, un dirigeant d’une grande entreprise est venu la féliciter très cordialement  et lui a dit : « Une femme à la CGE c’est bien, cela montre que cela change », avant d’ajouter que « les femmes vont plus dans le détail »

Enfin, « mon 3e conseil serait de savoir assumer son équilibre vie privée – vie professionnelle. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire, alors je leur dirai : entourez-vous bien, que ce soit d’un point de vue personnel, au sein de votre sphère privée et professionnelle, on ne réussit jamais seule ! »

Les actions de la CGE sur la question

Anne-Lucie Wack s’est engagée dans la CGE car elle défend des valeurs qui lui sont chères : offrir aux jeunes des parcours professionnalisants, répondre aux besoins des entreprises et du monde socio-économique, contribuer aux évolutions de  société… « Sur les questions de parité femmes-hommes, même si c’est un sujet auquel je suis forcément sensibilisée,  il faut bien souligner que la CGE n’a pas attendu mon arrivée  pour mettre en place  de nombreuses actions », à l’image des initiatives menées par Pascale Ribon, Présidente de la commission Diversité :

  • Charte égalité femmes-hommes : la moitié des  écoles membres de la CGE l’a signée et s’est engagée dans les 3 piliers de cette charte : la sensibilisation de tous les étudiant(e)s à l’égalité femmes-hommes ; la mise en œuvre, au sein de chaque établissement membre de la CGE d’actions en faveur de l’égalité femmes-hommes ; et le développement d’une politique d’attractivité des grandes écoles auprès des jeunes filles
  • Il y a aussi la question préoccupante, à la sortie de l’école, de l’écart de salaire entre femmes et hommes, dès l’embauche, puis tout au long de la carrière. Le groupe Égalité Hommes – Femmes de la CGE a mis en place des cours de coaching destinés aux jeunes filles afin de leur permettre de mieux négocier leur salaire de départ et les promotions au cours de leur carrière.
  • Le groupe Égalité de la CGE a en outre réalisé une vidéo pédagogique « Les enjeux de l’égalité femmes-hommes » à destination des référents Égalité des établissements membres, qui peuvent l’utiliser comme un SPOC (Semi Private Open Course) pour leurs sessions de sensibilisation auprès des étudiants et du personnel de l’école.
  • L’association Sillages présidée par la CGE a développé et mis en ligne en juin 2015 un FLOT (Formation en Ligne Ouverte à Tous) – MOOC intitulé « Être en responsabilité demain : se former à l’égalité femmes-hommes ».  C’est le premier MOOC sur le sujet en France !
  • Enfin, le groupe égalité de la CGE lancera à l’automne 2015 un concours « stereotype busters » sur la lutte contre les stéréotypes femmes hommes à destination des élèves des grandes écoles. Les étudiants sont ainsi invités à mettre en scène, dans des vidéos de 30 secondes à 3 minutes et de façon humoristique, les stéréotypes femmes-hommes, dans la vie quotidienne, la vie professionnelle…

« Comme vous pouvez le voir, la CGE œuvre en faveur d’une égalité entre hommes et femmes, et je continuerai bien entendu à travailler en ce sens, il s’agit d’un véritable enjeu de société  ! »

Violaine Cherrier