Les écoles d’ingénieurs sont-elles sexistes ? Les filières chimie, biologie et agronomie mettent à mal ce stéréotype en affichant souvent la proportion inverse d’élèves filles-garçons. Pourquoi un tel biais ? La réponse se trouve en partie dans l’image véhiculée dans l’enseignement secondaire – Par Violaine Cherrier
« Le pourcentage de filles se situe en moyenne entre 50 et 60 % en cycle ingénieur (écoles bac +2), révèle Sylvie Bégin, présidente de la Fédération Gay-Lussac (FGL). La chimie apparaît peut-être plus concrète et moins abstraite que des matières telles que les mathématiques et la physique. » Un constat que partageait déjà Anne-Lucie Wack, directrice générale de Montpelier SupAgro et présidente de la Conférence des Grandes Écoles (CGE), en 2015. « « Il n’existe pas d’explication simple à cette forte féminisation, si ce n’est sans doute que ces écoles d’agronomie allient les sciences de l’ingénieur et la biologie, discipline qui attirerait plus les filles. Mais il peut aussi y avoir des stratégies d’évitement ou d’autocensure vis-à-vis des autres cursus d’ingénieur. » Depuis la situation n’a pas évolué.
En finir avec les stéréotypes
Socialement, les femmes sont plus souvent associées à l’image du « CARE ». C’est pourquoi on les retrouve majoritaires dans les filières santé, sciences humaines et littéraires. Et dans les sciences dures, la biologie, l’agronomie et la chimie s’apparentent plus facilement à cette notion que les mathématiques, la physique ou la technologie. « C’est aussi relié aux différents secteurs de la chimie : nos enquêtes montrent que les femmes sont plus présentes que les hommes dans les secteurs « Industrie agroalimentaire », « Industrie chimique » et « Industrie pharmaceutique » », confirme Sylvie Bégin. En conséquence, parmi les quelque 29 % de filles en écoles d’ingénieurs toutes disciplines confondues, la majorité étudient la chimie (44 %) et l’agronomie (36 %) contre 22 % en physique. À l’inverse, elles sont ultra minoritaires dans les branches de la mécanique productique (9 %) et de l’automatique électricité (9 %) par exemple.
L’année de la Chimie va-t-elle changer la situation ?
À ce rythme, il faudrait attendre 2080 pour atteindre la parité entre chercheurs et chercheuses au CNRS en sciences dures et 2075 pour les écoles d’ingénieurs ! Pour y remédier, l’année 2018-2019 a ainsi été nommée l’Année de la Chimie, de l’école à l’université. S’il est encore tôt pour en évaluer l’impact, l’initiative semble toutefois porter ses fruits. Ainsi, la FGL a recensé 46 % de garçons en Cycle ingénieur ECPM en 2019 contre 36 % en 2017. Concernant les entrants en CPI (Classe préparatoire intégrée), ils étaient 15 % en 2018 et 34 % en 2019.
Vers plus de parité dans les écoles de chimie « L’année de la Chimie et sa communication ont vraisemblablement joué un rôle, explique Sylvie Bégin. L’initiative a permis de redorer l’image d’un secteur qui souffre encore d’une image de pollueur alors que la filière œuvre également à réduire la pollution, à produire plus propre, à réduire notre consommation énergétique… Ces aspects positifs sont trop souvent occultés. Par ailleurs, on remarque que l’évolution actuelle du secteur de la chimie vers le numérique et le Big Data conduit à un intérêt supplémentaire des hommes. »
La parité dans les écoles pour plus d’équité dans les entreprises
Pourquoi la parité est -elle importante ? Pour ne pas dévaluer les métiers de la chimie, de la biologie ou de l’agronomie. « La parité est essentielle pour que femmes et hommes puissent croiser leurs regards et pour que davantage de femmes accèdent à des postes à hautes responsabilités. Très peu sont aujourd’hui PDG de grands groupes industriels tels que ENGIE ou Ilham Kadri, PDG depuis 2019 du Groupe Solvay. Cette dernière est une alumni de l’EPCM de Strasbourg, ce qui est une grande fierté pour nous, en tant que femmes ingénieurs ou formant des femmes ingénieurs. »