Qu’est-ce qu’une marque ? Comment les entreprises arrivent-elles à développer cette image forte et à la conserver durant des décennies ? Éléments de réponse avec Géraldine Michel titulaire de la Chaire « Marque et valeurs » de l’IAE de Paris, Karine Berthelot-Guiet directrice du CELSA spécialiste de la publicité et Virginie de Barnier, directrice de l’IAE Aix-Marseille.
La notion de marque nous vient tout droit des États-Unis à la fin du XIXe siècle. Les producteurs voulaient reprendre la main sur leurs produits. Les vendeurs étaient maîtres de cette marchandise et le producteur n’avait pas accès au client final. Karine Berthelot-Guiet explique : « à ce moment-là, ils vont inventer 3 choses : la notion de marque, le packaging afin d’apposer le nom de sa marque sur le produit et la publicité, pour montrer que la marque existe. »
Se construire avec la marque
Comme l’explique Virginie de Barnier, la marque participe à la construction de l’humain : « la marque a une fonction identitaire. C’est le « soi-étendu ». À travers les marques, nous disons qui nous sommes. La marque permet à la personne de s’identifier à un groupe, de se différencier des autres groupes. Cette double fonction est très importante aujourd’hui car nous sommes dans un monde en perte de repères. De ce fait, la marque prend un rôle de repère et donne du sens dans la vie des personnes. »
La marque : « être » et « faire »
Pour Géraldine Michel, la marque doit avant tout être cohérente avec ses propos pour développer et préserver une image forte : « la marque a un statut d’être, mais cela ne suffit pas, il faut également faire. Il faut démontrer et prouver ce que l’on est, ce qui va apporter une légitimité. Quand la marque est légitime, les gens adhèrent. » Ainsi, une marque n’aura du succès auprès du public que si elle applique elle-même les préceptes et principes qu’elle prône.
La communication : élément clé de succès
Le « bad buzz » est la bête noire de toutes les marques. En quelques secondes, des années de réputations peuvent s’effondrer. Selon Virginie de Barnier, la question n’est pas de savoir comment éviter cette mauvaise publicité, puisqu’elle survient toujours à un moment où à un autre. Au contraire, l’enjeu est de savoir comme réagir. « Il faut que chaque entreprise ait une stratégie de communication de crise. La première chose à faire est de prendre la parole pour assumer la faute et expliquer au client comment l’entreprise va prendre les choses en main et les protéger. Il faut que la marque prenne le point de vue du consommateur. Il a besoin de se sentir en sécurité. La marque est un repère et le client doit pouvoir lui faire confiance. »
La survie d’une marque : sens et qualité
Pour qu’une marque soit viable dans le temps, la première demande du consommateur est la qualité. Pour satisfaire les clients, il faut répondre à ce critère comme le précise Virginie de Barnier : « les acheteurs attendent un certain niveau de qualité d’une marque qui doit être constant dans le temps, c’est la clé du succès. ». La directrice de l’IAE Aix-Marseille complète : « un autre fondement important est de s’inscrire dans les grandes tendances sociologiques et de les intégrer. Certaines marques se positionnent sur l’écologie, d’autres sur la relation mère-fille, qui est une tendance intemporelle ».
Géraldine Michel rejoint d’ailleurs Virginie de Barnier sur ce point : « une marque forte, c’est une marque qui donne du sens à ses parties prenantes. Il y a beaucoup de marques jeunes qui arrivent à créer ce sens et à avoir des images fortes. Il faut rester cohérent par rapport à la cible et aux produits que l’on propose afin de garder le sens véhiculé par la marque. »
Quelle stratégie pour fidéliser l’audience ?
Karine Berthelot-Guiet quant à elle voit deux stratégies de marques, celles qui conservent leur audience et celles qui se positionnent sur un public : « il y a les marques qui ne gardent pas leurs audiences dans le temps, comme les marques pour jeunes adultes qui essaient de capter sans cesse les nouvelles générations, et les marques qui arrivent à être intergénérationnelles comme les marques de vêtements féminins françaises qui se sont créées dans les années 80. »
Pour Virginie de Barnier, le vrai enjeu est de pouvoir rajeunir chaque année d’un an sans exclure les consommateurs qui vieillissent : « les marques développent des lignes de produits avec une ligne classique qui va convenir à l’audience fidèle et une ligne de produits jeunes. Ensuite, la marque adaptera le message selon les canaux de communication. Elle ciblera plutôt les jeunes sur les réseaux sociaux et les autres générations à travers les publicités dans les magazines. »
Cohérence et expansion des marques
Certaines marques capitalisent sur leur image pour étendre leurs parts de marché. Ce qui est important, c’est de conserver son identité, comme le note Géraldine Michel : « il faut rester sur un territoire où les gens vont percevoir la marque comme crédible, légitime, car elle respecte les valeurs qu’elle a revendiqué depuis le début. Les extensions sont un succès quand :
• Le produit respecte les valeurs de la marque
• Le produit apporte de la valeur ajoutée par rapport aux concurrents
• La marque est pertinente sur le nouveau marché »
3 questions à Luc Speisser, président de Landor et diplômé du CELSA
Comment la marque contribue à la valeur de l’entreprise ?
Aujourd’hui, il y a plusieurs secteurs où la contribution de la marque est colossale comme dans la grande consommation, dans les marques de luxe ou de sport ou dans l’automobile. Pour arriver à mettre la marque au service de la croissance de l’entreprise, il faut placer la marque au cœur de l’entreprise. Une grande marque c’est une promesse tenue et il faut la retrouver dans trois aspects :
• Les produits et services
• Les lieux physiques et les lieux virtuels, comme l’expérience en ligne
• Les employés
Quelles fonctions sont en charge de ces aspects dans l’entreprise ?
C’est surtout le responsable de la marque, il est celui qui sait passer de la marque à la communication. Il doit être capable de synthétiser, d’écouter ce qui se passe dans l’entreprise, de prendre en compte la culture de l’entreprise. Il doit travailler de concert avec toute l’entreprise. Cela vaut pour les grands groupes comme pour les ONG ou les PME. Les profils sont différents et peuvent émaner de Sciences Po, du CELSA ou alors ils peuvent être plutôt côté marketing et émaner des business schools.
En ce qui concerne la valorisation de l’actif marque, le PDG, le responsable de la marque et aussi le directeur financier collaborent. Je plaide pour une plus forte implication du directeur financier car ils ont un vrai sens de la capacité d’investissement de l’entreprise et un sens pragmatique de mise en place de solutions qui permettent de tenir les promesses.
Comment évaluer la valeur d’une marque ?
Plusieurs facteurs sont pris en compte pour mesurer la valeur de la marque :
• La performance de la marque en tant que telle
• Une base financière de bilan permet de déterminer un potentiel de croissance de l’entreprise fondé sur la valeur financière de la marque
C’est un mélange entre une partie purement financière et une autre qui consiste à quantifier l’impact de la marque sur la décision d’achat. L’institut Millard Brown utilise cette méthode pour quantifier la valeur d’une marque au travers du classement annuel BrandZ.