Commerce, finance : do you speak éthique ? Petite révolution, véritable prise de conscience ou simple changement d’image dans l’objectif de vendre et de séduire des clients qui attendent désormais les entreprises au tournant concernant leurs valeurs ? Deux experts de Grenoble École de Management nous éclairent sur la question.
Finance et éthique : deux notions antinomiques ? Si on se limite aux titres de presse de ces dernières années, les principaux éléments qui ressortent sur le sujet sont la corruption et le détournement de fonds. Cependant Arnaud Raffin, professeur de finance au sein de la business school grenobloise, semble penser que les deux concepts ne sont pas forcément si opposées. « Il faut que le financier soit formé à l’éthique. Souvent, les problématiques qui surviennent en entreprise et que l’on voit aux infos sont dues à un manque d’anticipation. Il faut préparer les étudiants à ces questions. »
Génération non-non
Si la finance se transforme, c’est avant tout grâce aux diplômés des grandes écoles. Ces étudiants accordent une grande importance aux valeurs de l’entreprise qu’ils rejoignent et sont très attentifs au comportement éthique de celles-ci. Une grande avancée pour un secteur qui a du mal à se remettre en question, selon Patrick O’Sullivan, professeur de business ethics. « La crise de 2008 a démontré qu’aux États-Unis, les banques vendaient facilement des prêts à des personnes incapables de les rembourser. Leur core business est d’être rentable. C’est le profit qui motive les établissements. Individuellement, les collaborateurs sont éthiques, mais les banques ne sont pas guidées par cette valeur. »
Le propos est cependant à nuancer en France. Les nombreuses directives en matière de protection financière permettent de mieux encadrer l’activité des banques. La présence obligatoire de départements compliance oblige par ailleurs les entreprises à se doter d’un collaborateur dédié à la surveillance des risques et de la corruption.
Responsable, le commerce ?
Côté commerce, l’éthique guide les entreprises depuis plusieurs années déjà. « Il y a eu une prise de conscience très rapide dans ce secteur. Quelques sociétés comme Patagonia ont basé toute leur politique et leur communication autour de l’éthique. D’autres, comme Nestlé, ont été secouées par plusieurs crises et essaient désormais de faire des efforts », observe Patrick O’Sullivan. Nespresso, la filiale de Nestlé spécialiste du café, essaie ainsi d’investir dans le commerce équitable. L’entreprise effectue également elle-même le recyclage des capsules usagées. Autre initiative du groupe : des cours sont donnés aux agriculteurs qui récoltent le café pour leur permettre de produire des grains de meilleure qualité et de mieux gagner leur vie avec leur récolte.
La recette du succès ?
Cette attitude plus responsable et plus éthique au sein des organisations est donc aujourd’hui motivée par une prise de conscience globale des consommateurs. Mais un autre objectif se cache derrière ce renouveau : l’image. Si on ne peut pas nier les bénéfices positifs pour notre planète et les clients, cette nouvelle posture est aussi la clé d’une meilleure rentabilité. Autre avantage en termes de marque employeur. Si les entreprises éthiques séduisent les consommateurs, elles séduisent aussi leurs collaborateurs. Fiers de faire partie d’une société plus responsable, ils ont envie d’en faire partie. Un atout de taille pour la fidélisation des talents.
Le B.A.-BA de l’éthique
La carte éthique serait donc 100 % bénéfique ? Sans aucun doute, dès lors bien sûr que l’entreprise maitrise la méthode peut renforcer cette dimension. Si les jeunes diplômés sont le moteur de cette transformation, il faut noter que plusieurs organisations prennent déjà des mesures en interne. « Il existe des codes de bonne conduite, des chartes de déontologie, des serments ou des formations. Mais cela n’empêche pas les collaborateurs d’être confrontés à des dilemmes éthiques », explique Arnaud Raffin.
À Grenoble École de Management, on prépare d’ailleurs les étudiants à affronter ces dilemmes. « Une formation de 25 ou 30 heures ne suffit pas à changer la donne. Il faut conférer aux élèves les outils nécessaires pour affronter ces problématiques dans l’entreprise », précise Arnaud Raffin qui s’appuie sur trois piliers :
- La mise à disposition de ressources. « Je propose aux étudiants de première année de collecter des documents d’origines diverses : armée, biologie, médecine, architecture… Ils réalisent également des interviews de praticiens de la finance, mais pas seulement ! Une fois qu’ils ont compilé ces documents, ils les partagent avec mes élèves de troisième année. » Une technique qui a pour effet de sensibiliser tous les étudiants de l’école.
- L’accompagnement éthique. « Quand on fait face à un dilemme, on se sent très seul. Je propose un système de parrain ou de marraine qui accompagne les étudiants dans leur cheminement».
- La conception d’un jeu sobre. « Il s’agit d’une mise en situation avec un scénario qui va au-delà de la salle de classe», un projet mis en place au sein du nouveau GEMLabs qui a ouvert ses portes à la rentrée 2019.
Les dilemmes éthiques
Mais comment naissent ces diverses problématiques au sein de l’entreprise ? Première dimension à prendre en compte : l’international ! « Selon le pays dans lequel vous vous trouvez, les dilemmes éthiques ne sont pas les mêmes. Il est important de sensibiliser les étudiants aux questions des différences morales à l’étranger », affirme Patrick O’Sullivan. Autre élément important : le rapport au temps. « On n’aborde pas un dilemme éthique de la même façon lorsqu’on est un jeune diplômé ou un manager aguerri. De même, selon les moments de la vie, on n’affronte pas les pressions de la même façon », complète Arnaud Raffin.
Finance et éthique : est-ce trop tard ?
Si les choses évoluent lentement dans la société, quelques réticences émanent encore de la part des consommateurs. « Il y a plusieurs années, le banquier était vu comme une personne de confiance. Aujourd’hui, il a cette image d’escroc collée à la peau. Ce n’est pas un hasard si le mouvement des Gilets Jaunes ciblait avant tout les banques », observe le professeur de business ethics de GEM. Les entreprises semblent malgré tout prendre conscience que l’éthique doit avoir sa place. Aujourd’hui, il est fréquent de voir des Heads of Ethics au sein de boards. Certains mouvements apparaissent également comme Finance de demain, lancé par Arnaud Ruffin et soutenu par Magali Herbaut [NDLR, ex-VP Ethiques et Politiques Globales Monde de Schneider Electrics].
Et si le travail à mener est encore long, on peut compter sur la motivation des étudiants. « Dès leur entrée à l’école, les élèves veulent faire de la finance durable. C’est une génération différente et plus engagée ! », conclut Arnaud Raffin.