Contre le managérialisme, pour plus d’humain

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La question n’est pas que rhétorique : vu les progrès de l’intelligence artificielle, un futur dans lequel un automate serait chargé d’organiser le travail des employés et d’évaluer leur performance est envisageable. Depuis 30 ans, la question du managérialisme est au cœur de l’organisation du travail. Explications.

Que l’intelligence du manager soit artificielle ou non, son rôle est remis en question. En effet, les Français sont avides d’indépendance et de liberté au (télé)travail. Selon une étude Ipsos récente, autonomie, responsabilisation et auto-détermination des tâches sont des thèmes aujourd’hui plébiscités, en particulier par les jeunes actifs.

Rejet du managérialisme

Ces aspirations ne sont pas que le reflet d’aspirations individualistes. Elles signalent un rejet du managérialisme, ce mode de management qui s’est imposé dans les entreprises depuis une trentaine d’années et qui, sous couvert de bonne gestion, vise à déposséder une majorité d’employés de toute marge de manœuvre dans l’organisation de leur travail.

Pour ceux qui le promeuvent, le managérialisme est LA bonne manière de gérer les organisations. Le principe est que celles-ci doivent poursuivre les objectifs que les cadres supérieurs définissent au nom de toutes les autres parties prenantes, car eux seuls possèdent les connaissances et compétences nécessaires à la conception et la mise en œuvre des moyens assurant l’atteinte des objectifs communs.

Dans la pratique, le managérialisme, c’est le management comme une fin en soi, par et pour les managers. Il se traduit par centralisation toujours plus prononcée du pouvoir entre les mains des dirigeants (et l’explosion de leur rémunération), au dépend des experts (ceux-qui savent et ceux qui font), des cadres intermédiaires et des non-cadres. Alors que ceux-ci étaient traditionnellement perçus comme formant le cœur de leur organisation, ils sont aujourd’hui de plus en plus relégués à leur périphérie et traités comme des variables d’ajustement. Par exemple, à l’hôpital, les soignants ont cédé le pas aux bureaucrates. Dans les partis politiques, les apparatchiks dominent. Partout, les spécialistes du tableur Excel dominent.

Le règne de l’arbitraire

Dans les entreprises comme dans les administrations, la prise du pouvoir par les managérialistes passe par la négation de l’autorité professionnelle de la plupart des employés. Les bases de l’autorité professionnelle sont le savoir-faire, l’expertise et la compétence technique. Les managérialistes, qui conçoivent leur métier comme la prise de décision, ne peuvent que refuser de prendre en compte l’autorité de ceux sur lesquels leur pouvoir s’exerce. Comment pourrait-il en être autrement, puisque reconnaître l’expérience des exécutants, c’est devoir partager, même implicitement, le pouvoir avec eux (c’est pour cela que les réunions ‘de concertation’ avec des managérialistes ne sont en fait que des sessions d’information sans dialogue). Dans une entreprise souffrant de managérialisme, ceux qui doivent mettre en œuvre les décisions ne sont pas consultés. Ces décisions, même fondées, leur semblent donc arbitraires, mais ils doivent suivre, souvent à contrecœur. Dans ces conditions, comment s’étonner que, depuis vingt ans, la croissance de la productivité soit en berne en France comme dans l’OCDE, toutes choses étant égales par ailleurs ?

Redevenir managers

Quand les jeunes actifs aspirent à plus d’autonomie et de responsabilité, c’est le managérialisme qu’ils rejettent. Ambitieux, ils veulent être reconnus pour les savoirs qu’ils ont acquis et qu’ils ont mis en pratique. Ils sont sources d’idées neuves et veulent les voir prises en compte. Même s’ils ne disposent pas du pouvoir, ils ont déjà une certaine autorité professionnelle, le savent et veulent le faire savoir. Les managérialistes seraient inspirés de les écouter s’ils veulent redevenir des managers, c’est-à-dire être de nouveau les pivots de la performance collective.

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Par Jean-Etienne Joullié, Professeur de management, EMLV

Nous vous partageons également cette autre tribune de Jean-Etienne Joullié :

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