Près de deux ans après sa nomination à la tête de Sciences Po, Mathias Vicherat détaille ses projets pour la rentrée 2023 et les grands engagements portés par l’école.
Que retenez-vous principalement de votre 2e année de mandature ?
Ce qui m’a marqué en premier lieu lors de ma prise de fonction, et continue de m’impressionner, est la vigueur de l’engagement de nos étudiants, exprimé sous des formes nouvelles comme le révèle notamment le livre Une jeunesse engagée paru en septembre 2022. Plus du tiers de nos étudiants font par exemple partie d’une association humanitaire ou caritative. Sont aussi à retenir les nombreux recrutements clés, dont celui de Sergueï Gouriev en tant que directeur de la Formation et de la Recherche, une nouvelle fonction que j’ai créée, ou ceux d’Arancha González, doyenne de l’École des Affaires internationales et de Tommaso Vitale, doyen de l’École urbaine. Avec deux principes clés : la parité et l’internationalisation. La moitié de nos effectifs étant non-Française, il est essentiel de refléter cette diversité dans la direction de l’école. Nous allons poursuivre cette politique de recrutement et d’ouverture internationale avec l’objectif d’augmenter en 5 ans le nombre de nos enseignants de 30 %.
Sciences Po est lauréat de l’appel à projets ASDESR pour son programme de formation continue SPICE-X
L’objectif de SPICE-X (Sciences Po for Impactful Continuing Education expériences) : développer de nouvelles offres, y compris à l’international et diversifier les formats en mobilisant l’ensemble des ressources produites à Sciences Po par les Écoles (niveau master), centres de recherche et Institut des Compétences et de l’Innovation. L’établissement se positionne ainsi comme un acteur central de la révolution des compétences et de la formation continue en France et dans le monde.
Des changements côté étudiants ?
Nos élèves sont désormais pleinement intégrés à plusieurs de nos instances : Comité des Dons, Commission de déontologie, Instance de suivi budgétaire et surtout, notre dispositif sur l’impact carbone de l’institution. La transformation environnementale est aujourd’hui une composante majeure de nos maquettes pédagogiques. Nous avons également démultiplié les consultations et les projets participatifs auprès des salariés de Sciences Po. La raison d’être de l’école par exemple a fait l’objet d’un vote de l’ensemble de nos communautés.
Vos priorités en 2023-2024 ?
Quatre axes prioritaires se dégagent. Le premier porte sur l’accélération de l’enseignement et la recherche sur les transformations numériques et environnementales. Nous avons notamment lancé Culture écologique, un grand cours obligatoire de 24 heures pour nos 1 700 élèves de première année ainsi qu’un cours sur l’IA en 2e année. Le deuxième axe consiste à renforcer nos liens avec le monde de l’entreprise. Dès cette rentrée 2023, toutes nos écoles de Master proposeront une formation en apprentissage. Nous entendons également développer le mécénat et la recherche : sur ce modèle, le Fonds Bruno Latour nous a permis de recruter dix enseignants-chercheurs. Autre priorité : nous souhaitons faire de Sciences Po un refuge académique pour les professeurs et les élèves en exil. 70 étudiantes ukrainiennes bénéficient d’ores et déjà d’une bourse de vie. Enfin, quatrième priorité : le développement des arts.
La Maison des Arts et de la Création
Lancée en mars 2023, la Maison des Arts et de la Création propose une série de cours et d’ateliers de pratiques artistiquesafin de renforcer les passerelles entre les arts et les sciences humaines et sociales. La chaire d’écrivain en résidence est désormais complétée par une chaire de cinéma, une chaire de musique et de danse, et une chaire d’arts plastique. « Nous sommes convaincus que l’expression artistique est une voie privilégiée de compréhension des grandes transformations de nos sociétés et qu’elle permet d’aiguiser le sens critique et l’esprit d’analyse. »
Les engagements forts de cette année ?
Nous en avons plusieurs, à commencer par l’accueil des chercheurs et étudiants en exil et la lutte en faveur de l’environnement. Notre école de management, devenue l’école du management et de l’impact, intègre dans sa maquette pédagogique les questions de finance à impact, les normes extra-financières, le management durable… Nos engagements font écho à ceux de nos étudiants, dont près de 40 % sont impliqués dans des associations humanitaires et caritatives. Je suis d’ailleurs très impressionné par le niveau d’engagement et de sincérité de cette génération. Sa profonde intolérance à la dissonance, concernant toutes les formes d’inégalités, est un vrai moteur de transformation dans les formations et les entreprises. Les jeunes entendent aligner leurs valeurs et leur vie professionnelle, ce qui se traduit par une forte hausse du nombre d’entrepreneurs issus de Sciences Po.
Comment les accompagnez-vous dans leurs engagements ?
Nous avons aujourd’hui plus de 2 000 entreprises partenaires. C’est essentiel car plus des deux tiers de nos étudiants évoluent ensuite dans le secteur privé. Ces partenariats prennent différentes formes, telles que le mécénat, l’apprentissage et le développement des chaires. L’école accueille 11 chaires qui portent sur des thèmes clé pour notre société comme les enjeux de transformation sociale, la dette souveraine, la transformation environnementale des entreprises…
Une cause qui vous tient particulièrement à cœur ?
Si j’attache une grande importance aux transformations environnementales et à la lutte contre les inégalités, la liberté académique est également fondamentale. J’ai été missionné par France Universités pour piloter un groupe de travail sur ce sujet. Les sources des chercheurs sont moins bien protégées juridiquement que celles des journalistes. Or, la liberté d’enseigner et de conduire des recherches est aujourd’hui menacée dans de nombreux pays ; en témoigne le cas de Fariba Adelkhah, directrice de recherche à Sciences Po, toujours retenue en Iran. Une Maison de la Liberté académique devrait voir le jour d’ici fin 2023 pour accueillir les chercheurs et les étudiants réfugiés.
Votre grand défi pour 2023-2024 ?
Aller toujours plus loin dans notre capacité à conjuguer excellence et ouverture sociale. 97 % des admis en 2022 ont obtenu une mention Très Bien au bac et 30 % de nos étudiants sont boursiers Côté ouverture géographique, désormais seuls 30 % de nos élèves viennent d’Île-de-France, dont 10 % de Parisiens. Nous souhaitons augmenter de 50 % le nombre d’élèves issus de nos Conventions Éducation Prioritaire après avoir porté le dispositif à 200 lycées partenaires. Ainsi, nous avons à cœur de poursuivre notre ouverture tout en maintenant notre rang dans le classement international de référence QS qui nous reconnaît troisième université mondiale en sciences politiques et politique internationale.
Les doubles diplômes, symboles de l’excellence made in Sciences Po
Avec une soixantaine de doubles diplômes, en France et à l’international, Sciences Po entend renforcer leur attractivité. Parmi les nouveautés : le doublement du nombre de places pour le double diplôme avec HEC Paris, l’ouverture d’un double diplôme avec l’université de Rome et avec des universités africaines, un double diplôme sur l’intelligence artificielle…
>>>> Découvrir la pluralité des doubles diplômes de Sciences Po
Des nouveautés à venir cette année ?
Nous allons ouvrir des Instituts régionaux dédiés à des zones géographiques, dont l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud notamment. Leur rôle sera de renforcer nos capacités en recherche et en enseignement sur ces zones mais également de poursuivre la mise en place de de bourses pour les étudiants extracommunautaires.
Votre message aux jeunes talents ?
Restez alignés avec vos convictions et ne transigez jamais sur vos valeurs. Mais dans un monde professionnel en pleine mutation, il faut accepter de s’adapter. Sciences Po est la formation la plus interdisciplinaire qui soit : vous y êtes formés au droit, l’économie, la sociologie, l’histoire, les sciences politiques, les affaires internationales… Face à la complexité de ce monde, cette approche interdisciplinaire, mêlant corpus académique et expertise professionnelle, est essentielle pour devenir un citoyen éclairé et relever les enjeux contemporains.