Raz de marée au pays de la stratégie ! Plus question d’arbitrer entre plusieurs options, l’heure est à la conception d’alternatives. Face à une situation économique et sanitaire totalement inédite, comment les leaders peuvent-ils continuer à construire et à partager une vision… alors même qu’ils ne savent pas vraiment où va le monde ?
Pourquoi les périodes de crise sont-elles à même de révéler les meilleurs leaders ? Tout simplement parce qu’elles nous font revenir à la définition primaire du leadership. « Une relation d’influence dont le but est l’atteinte d’un objectif commun et dont l’intention réside donc dans l’impact. Les québécois parlent même « d’habiletés de direction ». Car il n’y a pas besoin d’exercer de hautes responsabilités pour exercer son leadership » introduit Sylvie Deffayet, professeur de management et directrice de la Chaire Leadership Development de l’EDHEC. « Mettre du sens là où il en manque, voilà la fonction première du leader » ajoute Arnaud Lacan, professeur en management, responsable de la majeure Management responsable et Directeur adjoint du PGE de KEDGE BS.
D’un monde à l’autre
Et s’il y a bien une période où nous avons besoin de sens, c’est celle que nous traversons actuellement. Même si le monde n’a pas attendu la Covid-19 pour jouer la carte de la complexité et de l’incertitude. « Avant la crise, on demandait déjà aux managers d’aller chercher cette posture de leader capable de gérer la complexité et l’incertitude, de donner du sens et d’embarquer les gens. Une figure qui devient encore plus indispensable dans cette crise qui s’inscrit sur un temps long, dans un changement de monde… alors même que personne ne sait quel monde s’ouvre. La fonction première du leader c’est d’accompagner les gens d’un monde à un autre, de proposer un monde à venir en contextualisant le présent. Il est capable d’incarner le monde voulu et d’accompagner ses collaborateur d’un monde qui s’efface au monde qui se construit » ajoute-t-il.
Pour aller plus loin : manager la transition, telle est votre mission
Ego et leadership : antinomiques ?
Pour guider ses collaborateurs d’une rive à l’autre, le leader devra équilibrer bienveillance et exigence. « Quand tout va bien, être bienveillant, c’est facile. Mais en temps de crise, le challenge n’est plus le même : pas question de s’illustrer comme une machine à exporter du stress et à importer de l’énergie. Il faut continuer à développer les gens tout en étant très exigeant en termes de résultat » indique Bernard Coulaty, ex-DRH international, professeur et expert en gestion des ressources humaines et leadership à l’IÉSEG School of Management. La résilience et la confiance sont aussi centrales. « Les managers qui avaient déjà laissé tomber le 100 % contrôle ne vont pas être disruptés par la crise. En revanche, ceux qui étaient dans le contrôle a priori et dans le suivi des process ont été obligés de faire confiance ce qui, pour certains, est totalement contre-nature. Les grands gagnants de la crise seront finalement ceux qui arriveront à passer le cap tout en renforçant l’engagement de leurs équipes, qui auront réussi à voir l’après et à préparer les esprits au travail de demain » explique l’expert de l’IESEG.
Ses meilleurs atouts pour y parvenir ? « L’humilité, l’humanité et pourquoi pas, l’humour ! Car le leader ne sait pas mieux que les autres, il est à leur disposition pour leur donner l’envie. On confond trop souvent le pouvoir et l’autorité : alors que le pouvoir renvoit à la maîtrise de la hiérarchie, l’autorité permet, elle, de faire grandir. C’est finalement la définition même du servant leadership : on est un bon leader quand on accepte d’être un bon serviteur de l’équipe. »
Leaders, misez sur votre boussole intérieure !
Servir l’équipe en l’accompagnant vers une vision commune : vaste programme au planning du leader du « monde d’après ». Et pour garder le cap face à la pression, il est indispensable de « se connecter au cap qu’il a à l’intérieur de lui. Plus l’inconnu est énorme, plus le répertoire d’expériences extérieures est maigre et plus il doit chercher ses convictions et habiletés les plus profondes… et souvent encore inexploitées. Pour savoir à quelles expertises et ressources de son écosystème il peut faire confiance pour tracer sa route dans le brouillard, son meilleur allié reste sa boussole intérieure. Les vrais leaders ce sont pas dans la toute-puissance mais dans l’identification des chemins leur permettant de créer et d’innover » constate Sylvie Deffayet.
La méditation et les neurosciences à la rescousse
Leadership / médiation / neurosciences : le tiercé gagnant du leader de demain ? « Depuis 30 ans, les neurosciences ont objectivé les effets de la méditation sur notre lucidité, notre capacité au discernement, notre gestion émotionnelle, notre intuition… et ont permis de mettre en évidence des changements sur le fonctionnement du cerveau. Parmi les plus notables : une plus grande vigilance, à moindre effort. Et dans des situations d’incertitude et de pression forte, il est fondamental de pouvoir réfléchir, décider et agir avec une capacité préservée » analyse Jean-Gérard Bloch, responsable du DU Leadership, méditation et neurosciences de l’EM Strasbourg. Une démarche d’autant plus cruciale dans cette crise qui invite à l’introspection et à la mise en perspective. Ce DU mis en place par l’EM Strasbourg s’adresse d’ailleurs à des leaders en responsabilité et en expérience, à qui il propose une pédagogie expérientielle dans un format favorisant la prise de recul et l’approfondissement : 30 participants pour 4 sessions de 4 jours en plein cœur du Mont St Odile. « Un moyen de prendre la hauteur et la profondeur nécessaires sur ses choix fondamentaux, sur la façon d’être aligné sur ses valeurs dans sa posture de leader » estime Jean-Gérard Bloch.
La boite à outils du leader du monde VUCA ?
Pandémie, catastrophes naturelles ou cyber attaques : pour mieux préparer les futurs leaders à répondre aux crises, avec de bonnes décisions aux bons moments, IMT Atlantique et ses sept partenaires issus de 5 pays européens ont lancé le projet d’innovation DAhoy. L’objectif ? Faire évoluer les formations pour préparer les salariés à mieux gérer les crises et donc, à « manager la complexité dans l’incertitude ». Un projet lancé dès 2017, et des outils pédagogiques plus que jamais d’actualité. A travers de multiples sessions pédagogiques ponctuées, entre autres, de serious games avec des étudiants ingénieurs, l’école et ses partenaires ont pu « formaliser, tester et éprouver une échelle de VUCAlité des situations vécues et à vivre, afin de renforcer nos VUCAptitudes et celles des étudiants ».