En forçant l’éco-anxiété, les séries éco-dystopiques obscurcissent notre capacité à penser la crise écologique globale

Crise écologique éco-anxiété
crédits Unsplash Matt Palmer

Aborder la crise écologique contemporaine à travers le prisme de l’éco-anxiété contribue à générer des sentiments d’impuissance, plus qu’à initier une réflexion éco-politique collective pourtant nécessaire.

Les séries éco-dystopiques : récits de lendemains sombres

The Fortress – imaginant le futur proche d’une Norvège autosuffisante confrontée aux conséquences épidémiques et migratoires liées au changement climatique globale. Abysses (The Swarm) – jouant avec brio sur le sentiment d’angoisse écologique provoqué par une nature qui « se rebelle » ?  Extrapolations – abordant le thème du changement climatique depuis un futur dystopique où capitalisme libéral et effondrement écologique se côtoient sombrement, soulignent le récent intérêt des producteurs de séries pour le thème de la crise climatique ou écologique. Jouant facilement la carte du sensationnel, du massif, de l’incontrôlable, ces séries tendent, à partir de faits réels contemporains et bien référencés (pollution massive, évolutions climatiques, perte de biodiversité etc.) à imaginer un future plus ou moins proche où les conséquences – plus ou moins fantaisistes – des projections scientifiques contemporaines se seraient déjà produites.

L’éco-anxiété, un pseudo « mal du siècle » bien commode pour ne pas avoir à penser

On pourrait se réjouir de voir les séries s’emparer d’un thème de société aussi capital que le changement climatique ou la crise écologique globale. Mais en jouant principalement la carte de l’angoisse diffuse – d’une épidémie, d’une vague de migrants, d’une menace non-humaine incertaine, d’un monde qui s’écroule et ne laisse aucun espoir de changement – ces séries semblent surtout profiter de l’éco-anxiété ambiante, plus que de véritablement contribuer à réfléchir au sens ou aux enjeux de la crise climatique. Rappelons, au passage, que l’éco-anxiété, malgré son nom, ne relève pas, au sens médical du terme, d’un trouble anxieux. Il s’agit avant tout d’un néologisme commode visant à regrouper pêle-mêle, des émotions de sidération, de colère, de frustration, d’inquiétude, d’impuissance ou encore de culpabilité, générés par la confrontation individuelle à la crise écologique globale qui est la marque de l’Anthropocène (changement climatique, perte massive de biodiversité, pollution des eaux, des sols, de l’air etc.). Les sœurs Anna et Benni Krohn – protagonistes principales de « A Thin Line » – série questionnant l’engagement éco-politique – sont des exemples (fictifs) emblématiques de personnes souffrant d’éco-anxiété, une émotion accrue par l’impression d’inaction du monde politique face aux enjeux climatiques.

L’éco-anxiété : déstabilisation émotionnelle et sève de l’activisme éco-politique

Dans le monde réel, les émotions provoquées par une prise de conscience des enjeux de la crise écologique sont tout aussi fortes que dans le cas des sœurs Krohn, au point, parfois, d’entraver la capacité individuelle à mener sa vie de manière normale (incapacité à se rendre au travail par exemple ou à se projeter dans le futur) – comme en témoigne par exemple le cas non fictif de Greta Thunberg. La déstabilisation émotionnelle provoquée par la prise de conscience de la crise écologique est tout aussi forte : 60 % des jeunes de 16-25 se sentiraient inquiets à propos du changement climatique. Tout porte à croire, donc, que si l’éco-anxiété n’est pas un trouble anxieux, ses manifestations individuelles l’en rapprochent.

Forcer la provocation à l’éco-anxiété contribue à rendre vague ce qui est pourtant établi, tout en poussant au désengagement

C’est oublier qu’au contraire des troubles anxieux, dont l’origine demeure floue, diffuse, vague, les émotions attribuées à l’éco-anxiété sont quant à elles factuellement justifiées : la crise écologique est objectivement sourcée et abondement documentée. C’est pourquoi, dans le contexte – bien réel – de crise écologique, l’assimilation fictionnelle de la crise écologique à une conséquence inéluctable de la nature humaine (Extrapolations), ou à une affaire de sensiblerie politiquement dangereuse (« Par tous les moyens »A Thin Line), devrait nous interpeler quant à la manière dont les séries s’emparent de ce sujet de société qu’est la crise climatique ou, au contraire, décrédibilisent les engagements éco-politiques. Cette invitation indirecte au non-engagement passe autant par une ridiculisation de « l’écolo » – on pensera ici aux personnages de Phoebe (Friends) ou de Lola (Plus Belle la Vie), que par un renforcement du sentiment d’impuissance propre à l’éco-anxiété. Ainsi, des séries comme Fortitude – où les protagonistes, dans un huis clos anxiogène, sont confrontés à un virus issu de la fonte du permafrost mais aussi Years and Years – où, dans une atmosphère tout aussi anxiogène, catastrophes nucléaires, climatiques et délitement politico-financiers contribuent l’une à l’autre – tendent à renforcer le sentiment d’une absurdité de l’engagement éco-politique, là où nous aurions surtout besoin de susciter des actions collectives en portant un regard critique sur les enjeux de la crise écologique.

« Si l’éco-anxiété a le mérite de mettre des mots sur les émotions générés par la crise écologique globale, la manière dont cette notion est mobilisée masque bien trop souvent la possibilité d’un engagement éco-politique collectif »

les auteurs sont :

Anahid Roux-Rosier, Professeure-Chercheure à la Fundação Dom Cabral, Brésil

Ricardo Azambuja, Professeur-Chercheur à Rennes School of Business, France

Sophie Raynaud, Doctorante à NEOMA Business School, France

>>> Retrouvez du même auteur, Ricardo Azambuja : « Eco-anxiété sur fond de crise écologique : et la pop-culture dans tout ça ? »

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