« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » disait Jacques Chirac il y a 20 ans. Avec son dernier film LEGACY Yann Arthus-Bertrand incite justement les spectateurs à regarder la réalité en face et à prendre conscience de l’urgence climatique. Photographe, reporter, réalisateur et avant tout citoyen engagé, il s’adresse aux jeunes générations. Propos recueillis par Clarisse Watine
Pour vous, la notion de « développement durable » est galvaudée : pourquoi ?
Je ne supporte plus qu’on utilise ce terme « développement durable » dans tous les sens, pour désigner tout et n’importe quoi et n’importe comment, par des gens qui ne savent pas ce que ça veut dire. Il faudrait inventer un mot nouveau, « amour de la vie » pourquoi pas ? Car il s’agit bien de protéger ce qui est autour de nous, les gens qu’on aime, les animaux, la vie de nos enfants et celle de nos petits-enfants.
Peut-on encore vraiment enrayer la crise climatique alors même, par exemple, qu’aucune COP n’a réussi à faire baisser le niveau de CO2 mondial ?
Ce qui est certain c’est que la situation est grave. Les scientifiques nous disent que le climat sur lequel notre civilisation s’est bâtie depuis 2 000 ans a aujourd’hui disparu de façon définitive. Ça ne donne pas envie de rigoler. Les catastrophes naturelles feront environ 150 millions de victimes par an d’ici 2030, selon les dernières estimations de l’ONU (soit + 50 % par rapport à la situation en 2018). Et pourtant, nous faisons face à une incapacité à prendre des décisions fortes et à changer de modes de vie. Aujourd’hui, les hommes politiques sont le reflet de ce que veut la société, le miroir de ce que nous sommes. Si on peut être ravi que 70 000 personnes se mobilisent en France pour la Marche pour le Climat, il ne faut pas oublier qu’après la Coupe du Monde de foot, il y avait 2 millions de personnes sur les Champs Elysées. Réfléchissons-y.
Mais être optimiste c’est encore possible ?
Je ne suis pas pessimiste, mais j’ai les yeux ouverts sur une planète en souffrance, une humanité déboussolée incapable de prendre au sérieux la menace qui pèse sur elle et sur les êtres vivants. C’est ce que je montre avec LEGACY, même s’il est très difficile de faire un film grand public où on parle de catastrophes. D’ailleurs, de grandes chaines de télévision l’ont refusé car elles le jugeaient trop pessimiste. Mais c’est un film qui dit les choses et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai voulu qu’il soit en accès gratuit pendant un an.
Politiques, entreprises, jeunes… qui détient la solution ?
Il ne faut pas opposer les « grand méchants capitalistes » d’un côté et les « gentils écolos » de l’autre. Il faut respecter le rôle des entreprises dans la croissance mais, les aider à se transformer pour répondre à l’urgence climatique. Je dis souvent que tout le monde a sa solution. Chacun a une mission, un devoir et c’est comme ça que le monde marche depuis toujours. On doit tous faire quelque chose, pas question de rester les bras ballants. La collaboration, la coopération : voilà la force de l’Homme. Et il faudrait mettre tout ça en œuvre pour sauver la vie sur Terre. En Afrique on dit « il ne sert à rien de pleurer tout seul dans le noir, il faut allumer une lumière ». Alors dépassons cette idée que le chantier serait trop grand, à chacun de trouver son rôle, de convaincre et d’aider les autres, même ceux que l’on n’aime pas, à changer. On peut aussi changer les choses en votant. Aux élections bien sûr, mais également avec son caddie ! Moi il m’a fallu 10 ans pour devenir végétarien. Ce n’est pas facile de changer ses habitudes mais c’est encore plus dur quand on n’a pas conscience de ce qui nous entoure.
La pandémie de Covid 19 a aussi poussé les sociétés à réinterroger leurs modèles de croissance. Que pourra-t-on en tirer de bon de cet électrochoc ?
Ce qui est certain c’est que depuis la sortie de LEGACY et le début de la pandémie, nous sommes de plus en plus sollicités par de grandes sociétés qui nous demandent comment contribuer à changer le monde. Si je n’ai pas la solution, je pense que la pandémie nous a tous poussés vers une réflexion sur le sens et la fragilité de la vie et sur le sens qu’on trouve dans son activité. Il est important d’apprendre ce en quoi on peut être bon et là où on se sent bien. Savoir si on est heureux dans son job et si son job sert à quelque chose et aux autres. Les entreprises qui n’ont pas conscience de ça aujourd’hui n’auront bientôt plus personne pour travailler avec elles. Face à cette réalité qui nous rattrape, les bullshit jobs devraient même être interdits !
« Quand j’étais jeune, la fin du monde était inimaginable. Mais aujourd’hui, elle est là prévue, écrite, et il n’y a pas de vaccin contre la crise climatique » – Yann Arthus-Bertrand
La jeune génération a aussi un rôle central à jouer dans la mobilisation ?
Il est très compliqué de lutter contre une croissance dont nous dépendons tous. Au final, l’ennemi c’est nous… et c’est difficile à accepter. Je comprends la souffrance et la colère de Greta mais ce n’est pas à elle de supporter toute la souffrance du monde. Je suis récemment intervenu dans un collège et un élève m’a demandé pour quand était la fin du monde. J’ai alors questionné les ados présents pour savoir quels étaient ceux qui croyaient à la fin du monde. 70 % ont levé la main. Pour moi à leur âge, la fin du monde était inimaginable. Mais aujourd’hui, elle est là prévue, écrite, et il n’y a pas de vaccin contre la crise climatique. Cette parole des jeunes est importante car leur voix résonne plus profondément en nous. Ils ont envie de faire des choses mais peuvent aller encore plus loin. Alors je dis à tous les étudiants : battez-vous pour faire évoluer ce qui vous entoure. Pour avoir des parkings à vélo devant vos écoles et vos universités, pour des cantines bios, pour que la viande industrielle disparaisse des restos U… On peut tous faire quelque chose à notre niveau et agir, ça rend heureux.
Le message de Yann Arthus-Bertrand à la jeune génération
« Donnez du sens à votre vie ! C’est tellement fondamental de choisir un métier qui rend heureux, de savoir où vous allez. Vous aurez le devoir et la mission de transformer au mieux l’entreprise pour aller vers le bien, alors choisissez des boites où les gens ont le sens de l’éthique et de la morale. »