ETRE UNE FEMME est-ce encore une différence majeure QUAND ON A DU TALENT ?

QUATRE DIRECTRICES ET PRÉSIDENTES DE GRANDES ÉCOLES ET UNIVERSITÉS REVIENNENT AVEC NOUS SUR LA PARITÉ DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET L’ENTREPRISE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI.

NATHALIE LOISEAU DIRECTRICE DE L’ENA
« On parle beaucoup de sacrifices et de contraintes mais on oublie trop souvent de parler d’épanouissement et de bonheur professionnel. »
VOTRE AVIS SUR LES QUOTAS ?
Alors que les diplômés de Master sont majoritairement des femmes, la parité n’est toujours pas atteinte dans les instances dirigeantes, notamment parce que les hommes s’approprient ces pratiques professionnelles. Il est donc nécessaire de mettre en place des quotas de façon temporaire pour contrebalancer ces barrières constatées et parvenir à l’égalité.
COMMENT PROMOUVOIR PLUS DE FEMMES À L’ENA ?
Il faut d’abord les convaincre de candidater et ensuite travailler sur les épreuves orales en supprimant les questions différenciantes notamment. Nous avons ainsi élaboré une liste objective de compétences pour guider les oraux et avons adjoint un spécialiste du recrutement à chaque jury. Nous sommes ainsi passés de 25 % de femmes reçues à l’oral en moyenne à 45 % en 2013.
UNE ANECDOTE SUR VOTRE PARCOURS ?
A mon premier poste au ministère des Affaires étrangères, j’étais la benjamine du Quai et on m’a dit, après m’avoir conseillé qui épouser dans ma promo, que je ressemblais à une speakerine. Par la suite, j’ai éprouvé un grand choc lorsqu’après avoir perdu un poste à responsabilités, j’ai entendu des gens de ma génération me dire « c’est formidable, tu vas pouvoir retourner t’occuper de tes enfants et tu vas adorer ça ». Mais bonne nouvelle, si j’ai souvent dû me justifier de ma place à la tête de l’ENA, le fait d’être une femme ne m’a pas empêchée d’en devenir la Directrice !

 

VALÉRIE CABUIL DIRECTRICE DE CHIMIE PARISTECH
« Les femmes sont des hommes comme les autres »
DANS LE MONDE MOINS D’1 CHERCHEUR SUR 3 EST UNE CHERCHEUSE, COMMENT L’EXPLIQUER ?
Cela cache d’abord une grande diversité de géographies et de disciplines : sciences de la vie, agro et chimie sont par exemple très féminisées. C’est aussi le fruit de la représentation qu’on fait aux femmes de ce que doit être leur avenir. Pour contrer ce phénomène et plus globalement attirer plus de jeunes vers les sciences, il faut mettre en place un travail très en amont pour leur faire mieux connaitre, dès le primaire, les métiers et ainsi passer outre les stéréotypes liés aux disciplines.
LA PARITÉ PASSE-T-ELLE FORCÉMENT PAR LA LOI ?
J’ai longtemps été opposée à l’aspect législatif des quotas mais les considère aujourd’hui de façon plus positive. C’est tout de même un moyen efficace pour que les femmes soient projetées dans des communautés à majorité masculines, et donc y tissent un réseau qui leur sera utile pour atteindre des postes à responsabilités.
COMMENT ENCOURAGER LES FEMMES VERS LES SCIENCES ?
Il suffit de leur donner le goût de l’ambition. Car dès qu’elles affichent leur goût pour les sciences, elles y réussissent aussi bien que les hommes. Et pas seulement dans les sciences telles que la bio ou la santé qu’elles privilégient souvent peut-être parce qu’elles semblent « plus utiles ».
UNE ANECDOTE SUR VOTRE PARCOURS ?
Je n’ai jamais ressenti le fait d’être une femme comme un frein, mais plutôt comme une force et je n’ai pas réellement d’anecdote à raconter sur le sujet. Je garde un souvenir excellent de mon stage ouvrier dans une usine d’abrasifs, entourée d’hommes mais cocoonée. Aujourd’hui, je suis par exemple la seule femme à siéger au CA de l’Union des Industries Chimiques et je m’y sens très bien. Mais je sais que ce n’est pas toujours facile pour les femmes dès qu’elles arrivent à un certain niveau de concurrence avec leurs collègues masculins.

 

ALICE GUILHON DIRECTRICE DE SKEMA BUSINESS SCHOOL
« Faire émerger plus de femmes et leur faire confiance »
ATTEINDRE LA PARITÉ : VOEU PIEU, MILITANTISME OU PRAGMATISME ?
L’Ecole accueille 54 % de femmes dont les majors des 4 dernières promotions. Elles se sentent totalement armées pour leur avenir et savent que c’est par leur combativité, leur intuition et leur capacité à se projeter qu’elles réussiront. Mais le plafond de verre reste une réalité dans l’entreprise. Les quotas et la mise en valeur de femmes aux parcours d’excellence sont des solutions mais ne suffisent pas encore pour atteindre l’égalité salariale par exemple. Je crois profondément en la parité et en la complémentarité des qualités et défauts des hommes et des femmes. Les entreprises qui comptent des femmes dans leur CA ont d’ailleurs une meilleure performance sociale.
UNE ANECDOTE SUR VOTRE PARCOURS ?
Quand j’ai été nommée à la tête de l’Ecole à 39 ans (j’étais alors la 1ère Directrice d’une business school française), je dénotais avec l’image traditionnelle du doyen, un homme aux cheveux gris. Alors que la nomination de mes prédécesseurs avait été communiquée au personnel par mail, la mienne a été annoncée dans un amphithéâtre où un Administrateur (qui n’est plus à l’Ecole) a assuré que j’étais « mise sous surveillance parce que j’étais une femme ». « Vous serez surpris », avais-je alors répondu. Mon parcours m’a donné raison : je suis la seule en France à avoir mené à bien une fusion entre 2 business schools.
UN MESSAGE AUX JEUNES FEMMES DE TALENT ?
Lorsqu’elles sont nommées à un poste, elle se demandent avant toute chose si elles vont y arriver. Il faut se poser cette question car elle permet d’être plus efficace par la suite mais ne jamais le faire à voix haute. Elle doivent foncer car les hommes ne se la posent même pas !

 

ANNE FRAÏSSE DIRECTRICE DE L’UNIVERSITÉ PAUL VALÉRY MONTPELLIER 3
« Sans complexe ! »
QUID DE LA DÉPERDITION DES TALENTS DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ?
Si dans notre Université les femmes sont majoritaires jusqu’en Master, la proportion s’inverse en doctorat. C’est en partie une question d’autocensure : elles ont certainement une moins bonne évaluation de leurs niveaux, minorent leurs capacités et se freinent elles mêmes. C’est aussi conjoncturel. Si j’ai pu prendre mon temps pour faire ma thèse il y a quelques années, ce n’est plus le cas des étudiants d’aujourd’hui, notamment des femmes qui ont une vie de famille.
COMMENT ENCOURAGER LA PARITÉ DANS LES INSTANCES UNIVERSITAIRES ?
Si cette question a plus d’écho dans une Université présidée par une femme, force est de constater que nous sommes peu et de moins en moins nombreuses. Par ailleurs, une femme est généralement Présidente d’une petite Université pluridisciplinaire ou spécialisée en lettres et sciences humaines. Si de fait, rien ne s’oppose à la parité, on est pourtant obligé de passer de façon temporaire par la loi pour éviter de laisser s’installer une situation inégalitaire qui finirait pas passer inaperçue. Cela permet d’encourager celles qui en ont envie à aller plus loin.
UNE ANECDOTE SUR VOTRE PARCOURS ?
Issue d’une famille de 3 filles où on ne m’a jamais dit que je ne pouvais pas faire quelque chose parce que je n’étais pas un garçon, j’ai réalisé assez tard qu’il y avait encore de la discrimination vis à vis des femmes en France. Personnellement, je n’en ai jamais souffert et c’est pourquoi j’encourage les jeunes femmes à faire la carrière dont elles ont envie et sans complexe car elles en sont tout aussi capables qu’un homme.

 

CW.