[Exclu] Un management coopératif est-il possible quand tout bascule dans une situation imprévisible ?

Les écoles d’ingénieurs sont profondément connectées au monde des entreprises et à la société. On y enseigne aux étudiant.e.s l’art du management et des transitions, qu’elles soient technologiques, climatiques, managériales, économiques, environnementales, sociétales. On y promeut le leadership et l’intelligence collective.

 

Il est donc utile que le management d’une école intègre des nouveautés en pilotage des ressources humaines et efficacité des équipes et soit outillé pour faire face à des situations complexes et inattendues en faisant appel au collectif. L’EBI s’est créée en 1992 en impliquant ses collaborateurs et ses étudiants, et en déléguant au niveau le plus approprié de nombreuses prises de décision. Cette méthode est épanouissante pour les salariés, qui mettent, comme c’est le sens premier d’un contrat de travail, leur force et leur intelligence à construire l’avenir et dérouler les actions d’une stratégie ancrée dans les valeurs. Elle requiert des compétences métier, une loyauté absolue et l’alignement avec l’ambition de l’école.

Un management coopératif

Ce management coopératif s’avère un point d’appui robuste quand il s’agit de gérer une transition, qu’elle soit douce ou brutale. Lorsqu’un changement survient, un des rôles de la direction est d’évaluer la portée de celui-ci. Est-il intrinsèque, comme le développement de l’e-learning, ou extrinsèque, comme l’explosion survenue au Liban ou à AZF ? A impact immédiat (crash du Vol Rio-Paris avec plusieurs responsables internationaux d’écoles à son bord), ou récurrent (conditions sanitaires COVID) ? Touchant une petite partie de la communauté (un service par exemple), ou toute la communauté (défaillance numérique, indisponibilité de l’outil de travail…).

Nous avons vécu deux changements bien différents à l’EBI : en 2014, nous avons dû changer de locaux en une journée en raison d’un audit bâtiment démontrant la fragilité de notre bâtiment principal qui avait vieilli prématurément, et en 2020, en nous adaptant au risque sanitaire et au confinement, et en vivant avec nos collègues une sorte de « fermeture administrative » nous privant de 80% de nos outils de travail si on affecte un ratio de 20% aux moyens numériques.

Loin de l’image du capitaine seul maître à bord dans la tempête, la direction générale a pris dans les deux cas la décision d’impliquer les équipes et de recourir au coaching pour permettre aux collaborateurs de vivre les inévitables phases liées à ces changements en y trouvant leur place.

Lors de ces deux transitions, nous avons repéré sept phases, dont la longueur et l’amplitude ont varié suivant les personnes et la nature des crises.  

  • Stupéfaction : on n’y croit pas, on veut se réveiller. L’élément déclencheur correspond à l’annonce d’un changement par une expression officielle ou interne. Les mots peuvent devenir maux à ce stade, il est indispensable que l’annonceur ait déjà une petite avance de phase.
  • Effervescence : penser à tout et rester concentré pour ne pas sombrer. Tout comme une fourmilière dérangée, on assiste à une grande agitation, à l’escalade des angoisses et des craintes. La direction se met à la manœuvre, analyse la situation, définit et décide du meilleur chemin en anticipant et en évitant au maximum les écueils pour maintenir les activités et met en place un plan d’action directif. Elle est un stratège.
  • Nombril : aux abris, tisser un cocon pour retrouver ce qu’on pense avoir perdu. Ce bouleversement nous centre sur nos besoins primaires avec la reconstruction d’un environnement favorable. La perte de capacité d’initiative s’observe par la simple exécution des directives. En pleine zone de remous, la direction doit requérir du feed-back hebdomadaire, car elle ne peut vérifier les tâches. Elle risque de crouler en absorbant la charge mentale de toute une équipe ou en se substituant en d’urgence. La direction est un barreur, et a besoin de vigies.
  • Colère : défiance, critique, et paranoïa par ce qu’on croit avoir été caché. La perte d’échanges directs, le contrôle de la direction, le sentiment d’efforts non reconnus déclenchent les suppositions et autres théories du complot. Il est important de restaurer des moments de convivialité pour éteindre ces feux et ancrer dans la réalité (cafés d’équipe, newsletters, parler des succès et efforts). La direction est un pompier et a besoin de relais proches des équipes.
  • Découverte : expérimenter, découvrir ce qui est nouveau et qui vient de pousser. C’est le moment d’établir un état des lieux de ce qui a été perdu et ce qui a été gagné, de réparer, de réconforter et de retrouver l’esprit coopératif avec convivialité et partage. On identifie les moyens, les méthodes et les organisations pérennisables et capitalisables. La direction est un explorateur.
  • Synthèse : rénover l’ancien et ancrer le nouveau. Une autre réalité relationnelle et organisationnelle est perceptible (check du coude, circulation, réunion, communication). C’est une course contre la montre, il faut être visionnaire, puis définir, arbitrer et investir pour assurer une rentrée agile et emporter l’adhésion de l’équipe autour des choix et des décisions opérés. La direction est un coach.
  • Retour d’expérience : pour être plus agile la prochaine fois. Organiser, répartir les rôles et les tâches afférentes et identifier les outils à optimiser, tels sont les objectifs à atteindre pour gagner en anticipation et en réactivité dans un cas similaire. La direction capitalise et pousse le leadership des cadres intermédiaires. Elle devient mentor.

les auteurs sont Florence Dufour et Clémence Bernard