Quel est le rapport entre la fuite de Louis XVI en 1791 et le management de projet ? Pourquoi étudier la construction européenne pour aborder les compétences de résolution de problèmes complexes ou de créativité ? Retour d’expérience sur deux pratiques innovantes en école d’ingénieurs et en école de management.
Casser le cloisonnement artificiel des disciplines
21 juin 1791, Varennes, Louis XVI vient d’échouer dans sa fuite et est arrêté avec sa famille, précipitant l’avènement de la République en France. C’est par le prisme de cet épisode majeur de la Révolution que plusieurs aspects fondamentaux du Management de Projet sont étudiés aujourd’hui à l’EM Normandie. L’idée dominante derrière cette démarche est de débattre de sujets autres que des phénomènes organisationnels pour réfléchir en profondeur à la gestion. C’est déjà le cas pour de grandes publications académiques, il est temps alors d’en généraliser le procédé en salle de cours. Par ailleurs, les recruteurs et les étudiants eux-mêmes ont de grandes attentes vis-à-vis de leur formation en école de management : être un technicien – même excellent – ne suffit plus : on attend des individus cultivés, au regard large, capables d’être critiques, or cela est inenvisageable sans une culture générale solide. Enrichir un enseignement en s’appuyant sur une discipline autre permet justement de mieux atteindre ces objectifs. Il n’est pas étonnant alors que la Finlande – toujours à la pointe en matière d’éducation – prône la transversalité, et que nous la retrouvions également dans l’une des plus prestigieuses écoles d’ingénieurs de France.
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L’Histoire au service des soft skills
A CentraleSupélec, en cycle ingénieur et en école doctorale de l’université Paris Saclay, un séminaire est proposé sur les crises de l’Union européenne au XXe siècle. Il ne s’agit pas d’un cours traditionnel mais de prendre le prétexte de l’Europe pour travailler sur des soft skills nécessaires à tout étudiant. Un rapport du World economic forum de 2008 propose une liste des compétences les plus recherchées à l’horizon 2022, et notamment : pensée analytique, créativité, pensée critique, résolution de problèmes complexes. L’étude de la construction européenne et de ses crises successives (depuis 1950) permet d’aborder notamment les émergences (projet de réconciliation franco-allemande par exemple après près d’un siècle de guerres), les interactions (entre les différentes instances comme la Commission et le Parlement notamment), la notion d’incertitude (comment transformer l’échec du projet d’une Europe de la Défense en 1954 en opportunité ?).
Autre exemple proposé à Centrale Casablanca : les élèves-ingénieur doivent représenter un problème complexe, la situation du Sahara occidental, sous forme de carte heuristique. Les compétences de synthèse et de créativité sont ici abordées sous un angle original. Les problématiques historiques et internationales se prêtent bien à de tels exercices.
Fuite à Varennes, pièces de Shakespeare, crises de l’union européenne, géopolitique en Afrique, etc. : dans les évaluations des enseignements, les étudiants plébiscitent ces modules pédagogiques innovants. Du côté enseignant, on se rend compte que les acquis d’apprentissage sont plus facilement obtenus.
L’Histoire au service de la pensée complexe
L’intérêt de l’Histoire dans des formations scientifiques ou de management a déjà été prouvée. Or, ici, la volonté est différente. Apprendre le déroulé exact de la fuite à Varennes ou les dates de la construction européenne n’a pas, dans ce cadre, d’intérêt en soi. Il s’agit bien de se servir de l’histoire, au sein d’un cours transdisciplinaire, pour travailler sur des compétences transversales.
L’un des rôles majeurs de l’enseignement supérieur, peu importe la formation, est de préparer les étudiants au monde du travail. A n’en pas douter, l’Histoire a son rôle à jouer dans la formation d’étudiants, de toute discipline, prêts à affronter la complexité et l’incertitude du monde actuel.
Les auteurs sont : Delphine Minchella, Docteur en Civilisation, Docteur en Sciences de Gestion, professeur assistant en Théorie des Organisations à l’EM Normandie, Laboratoire Métis et Olivier de Lapparent, Docteur en Histoire des relations internationales, Enseignant vacataire à l’université Paris-Saclay, Centrale Casablanca et Centrale Pékin.