La situation inédite vécue pendant la période de confinement du printemps 2020 a amené l’enseignement supérieur à s’adapter en urgence à l’enseignement à distance avec plus ou moins de difficultés et de bonheur. L’objectif de cet article est de faire le point sur quelques difficultés rencontrées dans les enseignements classiques de type cours et travaux dirigés (TD) et de lister des évolutions qui seraient durablement bénéfiques même dans des conditions normales.
Des constats du passage en distanciel dans l’urgence
Parmi les principaux points délicats que nous avons relevés sur la base d’enquêtes auprès des étudiants et des enseignants figurent les aspects suivants :
- Pendant les cours, le manque d’interaction et de retours des étudiants (décrochage de ces derniers encore plus rapide qu’en présentiel).
- Pour les TD, des possibilités d’interaction et de feedback individuel très réduits.
- Une fréquente perte de sens de l’évaluation des étudiants en raison de la difficulté de faire des devoirs surveillés en temps limités.
Des pistes pour y remédier (et des points de vigilance)
La perte de sens ressentie par les enseignants est un levier inédit pour faire évoluer les pratiques enseignantes. Si la recherche a démontré depuis longtemps l’intérêt de viser des acquis d’apprentissages de haut niveau au regard par exemple de la taxonomie de Bloom, et s’appuyant idéalement sur des mises en situation authentiques, de telles pratiques peinent à s’imposer dans le paysage de l’enseignement supérieur. Or, c’est bien là une des clés qui peuvent redonner du sens à l’évaluation des apprentissages des étudiants : si les enseignants dépassent des objectifs d’apprentissage de type mémorisation-compréhension-application (qui génèrent fréquemment des apprentissages superficiels) pour aller vers des objectifs plus propices aux apprentissages en profondeur de type analyse-création-jugement, il est alors possible d’envisager des évaluations sous forme de travaux à rendre basés sur des mises en situation complexes (donc avec a priori une production originale de chaque étudiant) qui ne nécessitent pas la contrainte du temps limité. Deux points de vigilance toutefois : il est alors nécessaire :
- de réduire l’étendue du cours afin de se concentrer sur les essentiels, et faire des exposés courts focalisés sur des points délicats ;
- d’entraîner les étudiants sur des travaux de nature similaire à ce qui sera demandé lors de l’évaluation finale.
De même, les limitations des interactions individuelles en TD sont un levier pour favoriser l’usage des travaux en petits groupes. En effet, il est possible plus ou moins facilement selon les outils utilisés de créer des espaces privés dans lesquels les étudiants peuvent travailler ensemble sur les travaux demandés par les enseignants, et ces derniers peuvent facilement passer d’un espace à l’autre pour suivre l’avancée des différents groupes. Là encore, la recherche a bien documenté tout l’intérêt de ce genre de pratique (socio-constructivisme). Des points de vigilance également :
- Délivrer quelques éléments de méthodologie pour un travail de groupe efficace : nommer un animateur et un scribe, et toujours commencer par un temps de travail individuel avant de confronter les points de vue.
- Demander aux groupes la production d’un livrable sur lequel il est important que l’enseignant donne un feedback.
Ces deux pistes complémentaires restent tout à fait pertinentes dans le cadre de l’enseignement présentiel. Elles consistent à déplacer le curseur du paradigme enseignement vers le paradigme apprentissage : moins de transmissif et davantage de pédagogies actives. Il est important de souligner que ce n’est pas le numérique en lui-même qui est porteur d’améliorations potentielles, mais que c’est l’obligation de passer tous les cours en distanciel suite à la crise de la COVID-19 qui a mis en lumière les faiblesses du paradigme enseignement !
l’auteur est : Yvan Pigeonnat, Conseiller pédagogique dans l’équipe PerForm de Grenoble INP