[Expert] Y a-t-il encore de la place pour les soldes en temps d’internet et de Covid-19 ?

Du fait de la crise sanitaire, les soldes cette année sont décalés de deux semaines et auront lieu du 20 janvier au 16 février. Ce sont les deuxièmes soldes de la pandémie, après ceux de l’été dernier, qui se sont d’ailleurs révélés décevants (-30% par rapport à l’année précédente). A l’heure d’internet, qu’est-ce qui pousse les consommateur.ice.s à aller faire les soldes ? Comment les commerces traditionnels peuvent-ils se réinventer pour s’adapter ?

 

Après une fin d’année compliquée en raison de la crise sanitaire (fermeture des magasins, couvre-feu dans certaines régions, célébrations familiales et amicales restreintes…), les commerçants font grise mine, l’année 2020 ayant été catastrophique pour nombre d’entre eux. Alors que le petit-commerce risque une perte de 30 % de chiffre d’affaires par rapport à 2019, le e-commerce ne devrait progresser que de 6 % (deux fois moins qu’en 2019).

De nombreux commerçants, notamment dans le domaine de l’équipement de la personne et de la maison, attendent donc impatiemment les soldes afin de pouvoir liquider leurs stocks et refaire des liquidités. Ils ont cependant demandé et obtenu un report de quelques semaines de la date fatidique, afin de vendre autant de produits que possible à plein tarif d’ici là. Ce mois de janvier étant froid, c’est probablement une bonne nouvelle pour le secteur de l’habillement qui aura ainsi pu vendre de grosses pièces à prix fort.

Dans ce contexte, où il peut être difficile et anxiogène de sortir faire des courses, et où certains secteurs du commerce en ligne ont profité de la crise (alimentaire, beauté-santé et habillement), on peut se demander quelle est la place des soldes physiques, coincés par le développement du commerce en ligne d’une part et par la pandémie de l’autre. Rappelons que les soldes sont des ventes réglementées, répondant à un certain nombre de critères.

 

Pourquoi fait-on les soldes ?

Avec le développement d’internet, des offres promotionnelles nouvelles sont apparues : achats groupés, ventes privées et réductions de prix fréquemment opérées par la plupart des sites. Sans compter l’explosion de sites low-cost comme Wish et AliExpress ou le développement de la seconde main avec LeBonCoin ou Ebay. Pas une semaine sans que l’on ne reçoive un email nous invitant à profiter de prix cassés ! De fait, les soldes risquent de passer inaperçus et de ne plus attirer les consommateur.ice.s, alors qu’ils permettent à nombre de commerces traditionnels d’épuiser les stocks de la saison écoulée. On peut ainsi se demander quels sont les freins et motivations des consommateurs à faire les soldes dans un tel contexte. Pour répondre à cette question, dans le cadre d’une communication présentée au congrès de l’association française du marketing, notre équipe de chercheurs a réalisé quinze interviews de consommateurs.

Qu’en ressort-il ? Tout d’abord, que les consommateurs ne font plus vraiment la différence entre les soldes et les autres offres commerciales, que ce soit le Black Friday ou des promotions quelconques réalisées par des sites physiques ou de vente en ligne.

 

Quatre motivations fortes à faire les soldes émergent :

  • Achat moins cher
  • Achat de produits de meilleure qualité
  • Déculpabilisation de la dépense
  • Appréciation de l’identité sensorielle du produit

 

Des freins existent également, qui sont autant de raisons d’éviter les soldes dans les magasins physiques :

  • Détérioration de l’atmosphère
  • Difficulté à trouver le bon produit
  • Peur de la dépense inutile
  • Investissement temporel

 

A cela s’ajoutent évidemment les difficultés (couvre-feu) et craintes (contamination) liées à la pandémie.

 

Comment les commerçants doivent-ils s’adapter ?

Les commerçants physiques doivent donc mettre en avant ce qui fait leur différence et leur force par rapport au commerce électronique. Acheter dans un magasin physique permet de voir sous tous les angles et aussi de manipuler, essayer, voire sentir un produit. Il s’agira donc de valoriser, par de la communication in store et sur internet, cet avantage.

Nombre de consommateurs craignent la foule et les magasins bondés, surtout en cette période, il est important de proposer de larges plages horaires et de développer le click and collect. Pour aller plus loin, l’enseigne Etam propose d’essayer ses produits à la maison et ne débite la carte de l’acheteur que si ceux-ci lui conviennent.

Le magasin physique doit se réinventer et proposer, en plus de son point de vente, un maximum de services en ligne. Les indépendants peuvent compenser par une meilleure écoute du client et une personnalisation du service apporté (mise en avant de l’importance du commerce de proximité, réservation et reprise des produits, constitution de mailing-list pour une meilleure communication par email et sur les réseaux sociaux…).

Cette pandémie a probablement relancé les dés. D’une part, certains consommateurs peu ou pas adeptes du commerce électronique s’y sont enfin mis. D’autre part, une certaine prise de conscience de l’importance de faire vivre le commerce de proximité s’est révélée. Difficile de faire des prévisions pour le moment, tant l’avenir est incertain.

L’auteur : Michaël Korchia est professeur Senior de marketing à Kedge Business School, Bordeaux. Il est aussi musicien et photographe à ses heures perdues.