Alors heureux ? Dans son dernier album paru chez Pixel Fever Editions, Antoine Chereau, dessinateur de presse, croque avec humour les dérives autour du bien-être et de l’épanouissement à tout crin.
Les sujets sociétaux, une mine d’or pour un dessineux ? J’aime les sujets transverses. Je tends un miroir caricatural qui est le reflet d’une réalité, et c’est pour cela que cela nous fait rire. Comme le dessin ou le patron découvre un espace de travail qui ressemble à tout sauf un lieu de travail et se demande où ses équipes vont travailler…
Pourquoi croquer le bonheur ? J‘ai été frappé par la multiplication des livres sur le bonheur, le développement personnel. Il y a une mode et cela me fait rire. Ainsi, dans un dessin une femme dit à son ami qu’il est ringard parce qu’il refuse qu’on l’oblige à être heureux.
L‘album décrypte notamment le sujet du bonheur au travail, quelle est votre inspiration ? J’interviens depuis 20 ans dans des séminaires et colloques d’entreprise pour croquer en direct. J’ai suivi la montée des problématiques de bien-être, de l’épanouissement au travail, d’aménagement des espaces, et l’évolution du langage des RH. Dans un dessin, deux RH discutent, l’un demande en quoi parler de directeur des richesses humaines change le métier, et l’autre répond que cela est surtout valorisant pour les salariés. Je mets aussi en scène des opérations de team building un peu ridicules. Qui a envie de se retrouver à courir avec une bouée autour de la taille avec ses collègues sous prétexte de resserrer les liens ?
Y a-t-il une injonction au bonheur derrière cela ? Si les messages des entreprises apparaissent comme des injonctions, je pense que cela procède plutôt de la maladresse. Je n’adhère pas au cynisme des entreprises sur ce thème. Je l’ai illustré par deux actionnaires au bord d’une piscine qui se disent que le bien-être au travail va faire grimper leurs dividendes. Aujourd’hui, cela serait mal perçu de ne pas entrer dans cette dynamique. Avoir un hapiness officer pour ponctuer tous les moments de bonheur, cela me fait rire. L’être humain est plus complexe que cela. Certaines personnes ont besoin de peu pour être heureuses, d’autres sont d’éternelles insatisfaites et c’est leur moteur pour aller plus loin.
En déduisez-vous qu’il faut être heureux pour réussir ? Etre heureux, ce sont souvent des moments fugaces. Je dirais plutôt : mieux vaut être enthousiaste et y croire pour réussir. La réussite peut apporter le bonheur, mais rarement de façon linéaire et béate. Nous sommes tous définis par une colonne vertébrale plus ou moins solide. Il y a une forme d’éducation à la réussite. La volonté d’aller de l’avant, de faire mieux, vient souvent de l’enfance.