[GEM] Le luxe 2.0 est-il en passe de devenir vraiment durable ?

Cachemire, fourrure, peaux exotiques… ont longtemps agrémenté les collections de Haute Couture et de Maroquinerie or la demande croissante pour ces matières premières agricoles ou animales a des conséquences dommageables sur les populations, sur les écosystèmes et la biodiversité. Des solutions alternatives doivent être trouvées. Par Isabelle Chaboud, Directrice du MSc Fashion Design & Luxury Management, Professeur Associé au département Gestion-Droit Finance de Grenoble Ecole de Management

 

Fourrures, peaux exotiques, cachemire bientôt la fin pour les marques de luxe ?

Photo Pierre Jayet

Face aux préoccupations grandissantes en matière de bien-être animal, de nombreuses maisons ont déjà fait des choix radicaux. Gucci, Burberry, Donatella Versace, Giorgio Armani… ont abandonné la fourrure et Chanel a annoncé la suppression des peaux exotiques : crocodile, lézard, serpent, galuchat de ses prochaines collections ne pouvant garantir un approvisionnement éthique. Une décision qui pourrait également être suivie par d’autres acteurs majeurs du secteur. Entre tradition et modernité, l’industrie du luxe se trouve confrontée à des changements profonds.

Sensibiliser face à la raréfaction

Certes le luxe capitalise sur les savoir-faire, l’artisanat, un sens du détail permanent mais la plupart de ses créations requière l’utilisation de matières premières exceptionnelles qui se raréfient. C’est le cas par exemple de la laine de cachemire provenant de Mongolie (30 % de la production mondiale). L’engouement pour cette fibre douce a conduit au surpâturage caprin et entraîné une désertification en Mongolie intérieure (les bovidés en arrachant la racine de l’herbe stérilisent les sols). En outre, avec le réchauffement climatique, les chèvres élevées sur les hauts plateaux de Mongolie n’ont plus à lutter contre des froids secs et du coup ne développent plus de sous couche aussi duveteuse et à la chaleur incomparable. Les fibres de qualité exceptionnelle se raréfient. Les éleveurs dépendants de cette unique ressource ont du mal à survivre. Loro Piana, surnommé « l’empereur du cachemire » et racheté par LVMH en 2013 indique sur son site avoir mis en place des programmes de « préservation des fibres rares et de sauvegarde à long terme visant à protéger les animaux dans leur environnement naturel ». De telles démarches devraient être systématisées. Les grandes Maisons de luxe devraient aider financièrement et former les éleveurs pour leur permettre de toucher un salaire décent, d’instaurer des pratiques respectueuses du bien-être animal et de l’environnement. Stella Mc Cartney lance une nouvelle charte pour une mode plus durableLa stratégie des grandes marques de luxe en matière d’éthique et de développement durable semble s’accélérer. Un mouvement peut-être impulsé par les préoccupations croissantes de sa clientèle rajeunissante. Selon Bain & Company, les Millenials et la « Génération Z » (jeunes nés après 1995) devraient représenter 45% marché mondial du luxe pour le segment « personal luxury goods* » en 2025.  Les grandes Maisons travaillent sur la création, le développement de procédés ou des matières innovantes pour remplacer certaines ressources exploitées jusqu’à présent.  Ainsi, Stella Mc Cartney n’utilise plus de cachemire vierge mais du cachemire régénéré obtenu à partir des déchets de cachemire récoltés dans les usines en Italie et appelé Re.Verso™. Certains groupes comme Kering commencent même à parler d’économie circulaire à l’instar du partenariat qu’ils ont noué avec le Savory Institute pour promouvoir l’utilisation de matières premières régénératives, « un des principes clés indispensable à la création d’une économie circulaire dans la mode. » Militante convaincue, Stella Mc Cartney est à l’origine d’une charte proposée auprès des Nations-Unies pour une mode plus durable. Fin 2018, près de 40 marques de mode ont déjà signé la charte dont les marques de luxe : Burberry, Hugo Boss, Kering, Stella Mac Cartney. Ces dernières se sont notamment engagées à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici 2030. Seule l’adhésion d’acteurs majeurs de ce secteur permettra de réduire l’impact sur la planète et la biodiversité, d’assurer traçabilité, garantie d’origine et préservation des savoir-faire mais s’agit-il d’une simple évolution ou est-ce le début d’une vraie révolution ? *accessoires, vêtements, montres et bijoux, parfums et cosmétiques

CHANEL : joyau du luxe français