« UNE FEMME SUR TROIS DANS LE MONDE SERA VIOLÉE OU BATTUE »… C’EST VIA CE CONSTAT ARITHMÉTIQUE CHOC QU’AMNESTY INTERNATIONAL A CHOISI CETTE ANNÉE DE RELANCER UNE GRANDE CAMPAGNE POUR LE DROIT DES FEMMES. POURQUOI ET COMMENT ?… RENCONTRE AVEC SA PRÉSIDENTE POUR LA FRANCE, GENEVIÈVE GARRIGOS.
Pourquoi Amnesty International a-t-elle choisi de lancer, cette année, une grande campagne sur les droits des femmes ?
Amnesty est généralement sur des sujets plus « politiques », mais étant, au départ, une structure anglo-saxonne, la notion de genre et d’équité de ce côté y est très prégnante. De plus, les femmes sont souvent à la pointe du combat pour les droits et les libertés. En 2004, pour la première fois, nous avions décidé de sensibiliser les gens sur les violences faites aux femmes. En suivant trois axes : lors les conflits armés, concernant la négation de leurs droits et enfin à travers la violence domestique. Si un consensus homogène s’est aussitôt constitué sur les deux premiers thèmes ; on nous est en revanche tombé dessus – y compris au sein de l’Union Européenne ! – concernant le dernier : « De quoi vous mêlez-vous ? C’est la vie privée ! Etc. ». Inattaquables car nous en tenant toujours strictement au Droit établi, nous avons pu faire bouger les lignes de front. Si l’on y revient aujourd’hui, dix ans plus tard, c’est parce qu’au moment où les femmes continuent d’accéder à l’éducation supérieure et aux postes de décision, on observe une réelle régression et une très forte pression de nombres d’états et de plusieurs religions pour contrôler leur corps, leur sexualité, leur parole.
« Dans un contexte difficile, la seule réponse possible
n’est pas de se replier sur soi, mais d’agir collectivement
pour faire bouger
les choses ».
Pourquoi et comment devient-on présidente d’Amnesty International ?
Je suis une citoyenne ordinaire ; pharmacienne (+ exécutive MBA) dirigeant la communication pour l’Europe d’un laboratoire japonais. Mais j’ai grandi en Argentine, c’est vrai, où il m’a fallu me battre en tant que femme pour pouvoir quitter le foyer familial, étudier et être autre chose que « la fille de… » ou « la femme de… ». Mon engagement vient de là et s’est prolongé à travers Amnesty parce qu’il n’y a pas de compromis possible à mes yeux sur les violations du droit des êtres, homme ou femme. Bénévole depuis 2002, on m’a réélue cette année en AG présidente pour la 4e fois, mais c’est la dernière : j’ai envie de récupérer un peu de temps de sommeil…
Quel est aujourd’hui l’impact d’une structure comme Amnesty International ?
AI est un véritable contrepouvoir dont le premier travail est de lutter contre le silence grâce à des enquêtes indépendantes et une médiatisation qui débouchent toujours sur des propositions concrètes permettant d’améliorer les situations dans le respect du Droit. En 50 ans, AI a défendu, fait libéré et même parfois sauvé des dizaines de milliers de personnes, tout en faisant progresser le Droit. C’est la raison pour laquelle l’ONG a reçu le prix Nobel de la Paix.
Que change l’actuelle révolution numérique à votre manière d’agir ?
On gagne beaucoup en rapidité et en réactivité. Comme pour le cas dramatique de cette jeune femme, au Soudan, condamnée à mort, et que plusieurs centaines de milliers de signatures réunies en quelques jours ont permis de sauver. Mais il y a la face obscure, bien sûr : l’instrumentalisation et les trucages auxquels il nous faut faire très attention, et puis le simple contrôle : en Turquie, les gens se sont fait repérer et arrêter à cause de leur action sur les réseaux sociaux et, en Chine, vous n’avez pas moins de deux millions de personnes qui sont chargées de surveiller leurs compatriotes sur internet !
JB