Grandes écoles et sobriété énergétique : LE débat qui anime l’Enseignement supérieur cet hiver. Car si les écoles et universités n’ont pas attendu 2022 pour s’emparer du sujet de la sobriété énergétique, la crise actuelle a donné un coup d’accélérateur sans précédent à leur politique en la matière. A l’enjeu écologique s’ajoute désormais un enjeu économique qu’elles doivent affronter avec pragmatisme, agilité et surtout, efficacité. Car aujourd’hui, l’obligation de résultat est de mise. Chasse aux gaspillages, sensibilisation et investissements : comment les grandes écoles et les universités vont-elles passer l’hiver ? Eléments de réponse.
Depuis trois ans, pas un seul plan stratégique annoncé par une grande école ou une université française ne fait l’impasse sur la sustainability. Un parti-pris qui répond aux attentes de toute leur communauté : étudiants bien sûr, mais aussi personnels, partenaires publics et entreprises. Un parti-pris qui répond également à l’obligation règlementaire du Décret tertiaire (aussi appelé Dispositif Eco Energie Tertiaire) du Code de la Construction et de l’Habitation. Un décret entré en vigueur en 2019, dans la continuité de la loi ELAN qui oblige l’ensemble du parc tertiaire existant à réduire sa performance énergétique et ce, afin que la France atteigne la neutralité carbone en 2050.
Si des projets de rénovation de campus vieillissants ou la construction de nouveaux bâtiments aux normes les plus durables sont déjà sur la table, le conflit russo-ukrainien et la crise énergétique qui en résulte obligent les grandes écoles à aller plus vite, plus loin et plus fort en la matière.
Quel est l’impact réel de la crise énergétique sur les grandes écoles ?
Car cette crise énergétique n’est pas sans conséquences pour les établissements d’enseignement supérieur. Pour Joël Cuny, directeur général de l’ESTP et trésorier de l’Union des Grandes Ecoles Indépendantes (UGEI), « l’impact de la crise énergétique sur les grandes écoles est très variable. Il dépend notamment de la présence ou non de plateaux techniques (très énergivores) ou de la date à laquelle chaque école a négocié son contrat d’énergie. Mais ce qui est certain c’est qu’alors que l’énergie représentait une part raisonnable de nos coûts d’exploitation il y quelques mois (entre 1 et 3 % de nos charges), les écoles qui renégocient aujourd’hui leur contrat voient le prix de l’énergie multiplié par un facteur 3 à 5. Leurs dépenses énergétiques vont ainsi certainement passer au-delà des 3 %. C’est un vrai facteur d’inquiétude car cela pourrait générer des déséquilibres économiques au niveau de nos écoles. Et les annonces récentes de l’Etat ne nous mettent pas en position favorable pour avoir de la visibilité sur le sujet. Par exemple, les amortisseurs du coût de l’électricité sont évalués au regard de notre consommation 2022 alors que l’impact de la hausse sera subi en 2023. Nos écoles ont le sentiment d’être un peu oubliées de l’Etat et nous craignons que son accompagnement soit finalement inexistant. »
Mais alors, comment financer cette hausse du coût de l’énergie ? Si l’option d’une augmentation des frais de scolarité n’est pas écartée, elle reste complexe à mettre en œuvre. En effet, comment reporter purement et simplement cette inflation sur les familles alors même que les écoles, engagées dans des politiques d’ouverture ambitieuses, multiplient les annonces et les mesures en matière de politiques sociales ?
Grandes écoles et sobriété énergétique : réfléchir et agir ensemble
Face à cette quadrature du cercle, les écoles misent sur toutes les énergies pour trouver des solutions en matière de sobriété ! Elles sont en effet nombreuses à avoir fait le choix de la collégialité pour élaborer des réponses à la hauteur de l’enjeu. L’ESTP a ainsi associé tous ses collaborateurs (tous campus confondus) à la préparation de son plan de sobriété énergétique. Une boîte à idées lancée sous forme de Wooclap a permis de faire remonter plus de 80 propositions et un News Café réunissant près de 60 participants en présentiel et en visio a été l’occasion de débattre autour du plan de sobriété de l’école. Il est également prévu de faire participer les élèves de l’école à la réflexion par le relais des associations de la vie étudiante. L’école n’a pas non plus oublié d’impliquer ses alumni : le 14 décembre 2022, ces derniers ont en effet proposé, en collaboration avec l’école et l’association étudiante Eole, un atelier de présentation de l’outil MyCO2, ouvert aux collaborateurs et élèves de l’ESTP.
Parallèlement, NEOMA BS a mis en place des ateliers de sobriété énergétique pour sensibiliser ses collaborateurs, professeurs et étudiants. Des ateliers de réflexion d’une durée d’1h30 réunissant une quarantaine de participants autour d’un temps de sensibilisation sur les grands enjeux de la sobriété énergétique et d’un temps d’intelligence collective sous le format d’un World Café sur ses trois campus de Reims, Rouen et Paris. Plus de 50 mesures ont ainsi été proposées par les participants et de nombreuses pistes sont en cours d’étude pour travailler sur les freins et les leviers de motivation.
Des actions immédiates
Parmi les mesures développées par les grandes écoles pour passer l’hiver, les plus immédiates relèvent de la chasse aux gaspillages. KEDGE BS a ainsi formalisé son engagement en la matière avec la signature de la charte Ecowatt de RTE il y a quelques jours. Parmi les mesures énumérées dans cette charte : la diminution de la température de consigne du chauffage (19°C), la modération des consommations liées aux appareils électroniques, la diminution de l’éclairage et l’optimisation de l’utilisation du chauffage lors des alertes Ecowatt, l’incitation aux écogestes et à l’inscription des membres de la communauté sur monecowatt.fr ou encore, le relais des signaux d’alerte en cas alerte Ecowatt rouge. De son côté, l’ESSEC a mis en place des équipes d’Ambassadeurs sobriété, chargés de l’extinction des salles en fin de journée (éclairage et matériel informatique), ou de la réduction du chauffage dans les bureaux pour le weekend notamment.
Pour les grandes écoles, la sobriété énergétique passe aussi par le numérique
L’optimisation de l’utilisation du matériel numérique est évidemment au cœur de cette chasse aux gaspillages. Quand l’ESSEC développe des solutions d’extinction à distance du matériel informatique et audiovisuel de l’ensemble de ses salles de classe, l’ESTP annonce des actions pour la mise en veille et l’arrêt programmé des appareils électriques, la coupure des équipements informatiques non utilisés le weekend (serveur, firewall etc.) et projette une charte du bon usage des mails et de l’archivage (messagerie et documents) ainsi que de la navigation sur Internet. Des bonnes pratiques informatiques éco-responsables que partage l’EBI avec notamment un mot d’ordre pour les mails : – de pièces jointes + de liens !
Si l’EBI s’est emparée de la chasse aux gaspillages depuis déjà quelques années, c’est aussi parce que l’école d’ingénieurs fait la part belle à la pratique… et donc à des dispositifs générateurs de consommations d’énergie supplémentaires. Parmi ses dernières mesures : l’arrêt des ballons d’eau chaude non utiles dans les laboratoires et l’arrêt des postes de sécurité en microbiologie pendant les vacances par exemple.
Mais quelles que soient les mesures adoptées, toutes poursuivent le même objectif : éviter les fermetures de campus. « La fermeture n’est pas option sur la table. Nos étudiants font partie d’une génération qui fortement impactée par le confinement total de 2020. Malgré la qualité des solutions que nous avons mises en place lors de cette période, de mon point de vue, ils ne comprendraient pas que nous refermions les campus pour repasser à un enseignement à distance » estime Joël Cuny.
Optimiser le bâti
Des campus dont le bâti s’illustre comme une des cartes maîtresses dans cette course des grandes écoles à la sobriété énergétique. Car si cette chasse aux gaspillages est évidemment indispensable pour faire face aux défis lancés par l’hiver 2022-2023, les grandes écoles mettent évidemment en place des projets plus long terme. A la fois pour répondre à l’enjeu économique que représente leur consommation énergétique, mais aussi pour répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux qu’elle engendre.
Premier chantier, et non des moindres, pour y parvenir donc : la construction et la rénovation de leurs campus. Un exemple parmi d’autres : Grenoble Ecole de Management ouvrira prochainement son nouveau campus parisien. Un campus éco-construit laissant une grande part à la lumière et au bois dans sa structure et dans son design. « Du bois venant entièrement des forêts vosgiennes ! Nous fabriquons des bâtiments passifs pour des utilisateurs actifs » précisaient les représentants du promoteur PRD Office et du cabinet d’architectes Chartier Dalix lors de la visite du chantier à Pantin en avril 2022.
Grandes écoles et sobriété énergétique : toutes mobilisées pour la mobilité
Les écoles investissent également massivement le champ des mobilités. C’est notamment le cas de l’ESSEC. « Aujourd’hui, 64 % de notre impact carbone sont liés aux déplacements de nos élèves. Trois leviers d’action ont été pris en compte pour atteindre notre objectif concernant sa réduction. D’abord, l’adaptation de notre offre internationale. Attention, il ne s’agit pas de dire à nos étudiants de rester sur nos campus, mais plutôt d’organiser leurs voyages d’étude dans des zones accessibles en transports en commun peu impactant. Autre levier : une politique d’incitation aux déplacements bas-carbone avec l’attribution de « chèques mobilités durables » d’un montant de 100 € / an aux étudiants qui privilégient les transports bas-carbone pour leurs stages et échanges. Nous allons enfin mener une politique de sensibilisation des étudiants aux pratiques de mobilité responsable. Dans ce cadre, le concours Réinvente ta mobilité ! créé et co-organisé par l’association Le Noise ESSEC récompense à hauteur de 2 000 € des projets étudiants de mobilité durable pour des départs à l’étranger » détaillait Anne-Claire Pache, Associate Dean for Global Strategy and Sustainability de la business school en septembre 2022.
KEDGE a également déjà engagé des actions en la matière. Parmi elles : la mise en place d’une politique voyage plus exigeante, limitant notamment les vols court courriers (pas de trajet en avion si la destination est accessible en moins de quatre heures de train), des accords de télétravail limitant les déplacements quotidiens (2 jours/semaine), des actions de promotion des mobilités douces (appli de covoiturage, structures d’accueil vélos, bornes de recharge véhicules électriques avec un usage en heures creuses – au moins pendant l’hiver 2022 – afin d’éviter de contribuer au déséquilibre du réseau électrique.
« Nous sommes engagées ! »
Si ces mesures, aussi diverses et engagées soient-elles ne seront peut-être pas à même d’endiguer complètement la hausse des coûts d’énergie des écoles, celles-ci tiennent malgré tout à rassurer les étudiants. « Nous faisons ce qu’il faut : les écoles sont engagées à ne pas reporter l’intégralité de la hausse des coûts de l’énergie sur les familles et à les accompagner au mieux. Si les étudiants sont inquiets, je souhaite leur redire qu’ils ont fait le bon choix en s’engageant dans les parcours auxquels les forment nos écoles. Nous devons et nous allons collectivement trouver les solutions aux transformations du monde qui sont devant nous et ils ont leur pleine place dans ce nous collectif » conclut Joël Cuny.