Passer de l’artifice à la transformation, voilà l’enjeu de la mutation du monde qui est à notre porte.
Depuis que les humains savent écrire, nous acceptons comme une évidence, de noter nos idées dans un carnet, « pour ne pas oublier ! », le carnet évoluant, ce sont maintenant nos téléphones portables, inséparable artifice de nos vies, qui se rappellent pour nous, qui mémorisent et surtout qui nous permettent de ne plus solliciter notre mémoire : « pourquoi stocker ce que je peux avoir en flux ». Pourquoi apprendre la liste des rois de France, si Google la sait pour moi à tout instant. Quel débat, quel difficulté pourrait-il y avoir à ce sujet ! Dans quelque années (mois ?) nous allons avoir le choix d’implants mémoriel…et là ! L’infinie question du naturel, du tabou, de la limite à ne pas franchir va s’inviter et pour longtemps dans nos sociétés.
Tant que Icare se collait des ailes pour essayer de s’élever, il s’agissait d’une métaphore des humains qui essayent de s’élever par la connaissance. Quand Icare transforme sa nature pour s’envoler c’est bien la question de son humanité qui est en jeu.
Nous sommes arrivés comme le plus malhabile des animaux sur terre, la liste est sans fin des objets qui nous accompagnent dans notre stratégie de survie. Notre handicap de départ était si grand que nous avons petit à petit sophistiqué jusqu’à l’inconcevable des objets extérieurs pour améliorer nos performances en toute chose : des habits pour nous protéger du froid, des lunettes pour mieux voir, des outils pour façonner la matière, des machines pour nous déplacer, pour faire le tour de la planète en quelques heures, pour avoir dans la main à portée de pouce la totalité du savoir humain…
De progrès en progrès, nous avons commencé à intégrer quelques-uns de ces objets dans nos corps : des pacemakers pour accompagner nos cœurs défaillants, des hanches en titane quand il faut remplacer celle « d’origine », de molécules chimiques pour consolider notre organisme…
Jusque-là tout va bien…
Nous réparions, nous allons commencer à augmenter
Les récents progrès en sciences cognitives, la combinaison des matériaux nouveaux avec de l’électronique et des biosciences, l’introduction de puces dans notre organisme et notre connaissance du génome et d’outils pour le manipuler nous permettent d’anticiper la maladie ou certains effets du vieillissement, et enfin, seulement maintenant, de commencer à agir sur l’allongement de la vie. Jusqu’à aujourd’hui, l’augmentation de l’espérance de vie s’est jouée sur l’abaissement du nombre de morts prématurées (mortalité infantile, mortalité due aux infections etc) mais nous ne vivons toujours pas plus vieux que Diogène ou Voltaire (tous deux morts à 84 ans) !
Les mots et les idées pour comprendre, expliquer et commenter les changements d’époques sont toujours, forcément, issus de l’ancien régime, cette règle de tout temps vaut pour ce qui arrive maintenant. Nous commentons les nouveaux possibles avec les idées du passés : eugénisme, pari Faustien des transhumanistes, fin de « l’humanité » … houla !
Et même si nous acceptions ces transformations, apparait une deuxième angoisse : « il n’y en aura pas pour tout le monde », que ces délires ne seront réservés qu’à une élite d’ultra-riches, et que forcement va naitre une classe de « surhommes manipulés» qui exploiteront d’autres humains, ceux bloqués dans leur condition « naturelle ». Alors que les antibiotiques sont bel et bien (plus ou moins) accessibles à tout le monde aujourd’hui, que les imprimantes 3D sont bien en train de révolutionner l’accessibilité des prothèses et que le prix du séquençage génomique est en passe de s’aligner sur celui d’une banale prise de sang …
La réalité est que la frontière va être souple, mouvante entre la sophistication des objets qui nous entourent et les transformations humaines, entre l’ajout, la prothèse et le pérenne, l’irréversible, et que le débat ne va pas être unique et tranché, il va être complexe, protéiforme et pavé de particularités. C’est aussi par l’amélioration de la vie des porteurs de handicaps que la figure du cyborg va arriver et que les certitudes vont se fissurer.
Allons-nous accepter de muter ?
Evidemment que nous le ferons, avec toujours le même mot d’ordre depuis 100 000 ans …
Survivre !
« Faire école » dans un moment aussi passionnant et particulier est évidemment une responsabilité forte. Plus que jamais il est indispensable de tisser ensemble compétences opérationnelles et réflexions sociétales.