La qualité de vie au travail (QVT) n’est pas un sujet contemporain. Elle tire ses fondements de l’école des relations humaines dans les années 30. Une tribune de Bénédicte Geffroy
La qualité de vie au travail : un serpent de mer ?
Dans les années 2000, ce sujet a été remis sur le devant de la scène avec la vague de suicides dans des grandes entreprises françaises (Renault, Orange…). Cette période est marquée par un lien entre la transformation des organisations et des modes de management et l’émergence de risques psychosociaux. Depuis, l’intérêt pour cette question n’a cessé de se développer. Il y a 15 ans, les débats portaient sur la souffrance au travail, on parlait alors de risques psychosociaux. Puis on a abordé cette question sous l’angle du bien être au travail moins connoté que celui de risques psychosociaux. Et maintenant on parle de QVT. Derrière cette évolution de la terminologie mobilisée au sein des entreprises, la problématique demeure la même : des études (Anact, enquêtes Summer…) ne cessent de souligner la dégradation des conditions de travail et les conséquences sur la santé et le rapport au travail. Mais constater une dégradation de la QTV est une chose en qualifier les causes et les conséquences en est une autre. C’est ce à quoi s’attachent nos recherches.
Quels leviers pour la QVT ?
Mes recherches étant centrées sur la transformation des organisations, j’ai été amenée à interroger ce lien entre les transformations et le malaise ressentis par les salariés. Comprendre ce qui se joue aujourd’hui dans les entreprises – comment le mode de management, l’organisation du travail, les dispositifs technologiques génèrent des environnements pathogènes pour les salariés et impactent la performance des entreprises – permet, en effet, d’avancer sur cet enjeu incontournable pour nos organisations. Contribuant par ailleurs à la formation de futurs managers, il est primordial d’aborder ce défi pour les entreprises et de faire comprendre à nos élèves ingénieurs que l’amélioration de la QVT se saurait se limiter à des actions sur les conditions de travail (adaptation du mobilier, aménagement des horaires de travail, mesures visant à réduire l’exposition au bruit…) et à une approche individuelle (formation à la gestion du stress, à la gestion du temps). Ce type d’actions est certes important et mérite qu’on y travaille mais cette approche ne permettra pas de résoudre le problème de fond qui est d’une autre nature. La question de l’amélioration de la QVT passe avant tout par un chantier organisationnel et managérial. A cet égard, il me semble difficile de parler de RSE ou encore d’environnement de travail numérique sans en fait revenir aux fondamentaux que sont le travail, le management et l’organisation du travail.
Agir sur la QVT suppose de réinvestir le champ du management et de l’organisation
Mes recherches menées en collaboration avec mes collègues du LEMNA* ont débuté sur la question du lien entre les nouvelles formes d’organisation du travail, la détérioration des conditions de travail et la souffrance au travail dans le cadre de l’ANR SORG (Santé, Organisation et Gestion des ressources humaines). Dans le milieu des années 2000, la thèse dominante était que la souffrance au travail résultait de ce qu’on appelle la managérialisation : des managers omniscients, omniprésents qui contrôlent, prescrivent, s’emparent d’un ensemble d’outils et de techniques de gestion. Or, nos résultats ont plutôt montré que les salariés souffraient d’une absence de management et de vides organisationnels. Par la suite mes enquêtes de terrain dans des organisations en difficulté m’ont amené à réitérer ce constat : ce dont souffrent les salariés et parfois dans la plus grande indifférence, c’est un défaut de management et de réflexion sur l’organisation. Une enquête réalisée dans une collectivité territoriale sur l’usage intensif de la messagerie électronique pointe clairement le rôle que jouent l’organisation et le management dans les problèmes rencontrés. L’amélioration de la QVT pour ces salariés ne passe donc pas par la mise en place d’une chartre de bonnes pratiques. Elle implique en fait que le management réinvestisse le champ du travail et une remise à plat de l’organisation. De même, une enquête réalisée dans un office HLM en prise à des salariés en souffrance, a montré qu’en période de changement organisationnel, c’est encore plus délétère. En effet, comment manager le changement, repenser l’organisation, lorsque les managers sont accaparés dans des réunions, l’activité de reporting, dans la gestion des mails, en d’autre termes lorsque leur activité est de moins en moins en prise avec le travail opérationnel c’est-à-dire le métier et les pratiques professionnelles associées ? Or, face à ce travail opérationnel caractérisé par des paradoxes, des contraintes, des injonctions paradoxales, il revient au manager d’arbitrer, de prioriser, de construire des compromis, de parvenir à des arrangements acceptables et de laisser des marges de manœuvre. L’enjeu est donc pour les organisations de recentrer l’activité de management sur cette activité de régulation du travail et de penser des modes d’organisation du travail propice à la coopération.
*Laboratoire d’Economie et de Management de Nantes-Atlantique
Contact : benedicte.geffroy@IMT-atlantique.fr