A l’occasion de la remise des prix de l’opération Ingénieuses 2024 le 16 mai dernier, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) a récompensé des futures ingénieures et ingénieures diplômées de France et d’Afrique du Nord. Une occasion de lutter contre les stéréotypes de genre, de promouvoir l’égalité femme-homme à l’école et dans la sphère professionnelle et de favoriser l’orientation des jeunes filles vers les formations scientifiques et technologiques et les carrières d’ingénieur·e·s. Retour sur le palmarès de cette 14e édition.
Oui l’emploi des ingénieurs est particulièrement dynamique en France (1 225 000 ingénieurs dont 1 114 000 en activité, en chiffre en augmentation de 3 % en un an selon la 34e enquête de l’Observatoire des Ingénieurs et Scientifiques de France), mais notre pays – comme l’ensemble des pays de l’Union européenne – souffre toujours d’une pénurie d’ingénieurs. « Aujourd’hui, nous diplômons 46 000 ingénieurs par an, alors que pour répondre aux demandes de l’Etat, des entreprises et des immenses enjeux portés par les transitions, nous devrions a minima en diplômer 60 000 chaque année » a rappelé Emmanuel Duflos, président de la CDEFI en préambule de la remise des prix Ingénieuses 2024.
La France manque d’ingénieures !
Si l’augmentation de la population des ingénieurs français s’avère donc nécessaire, elle n’est pas pour autant aisée à réaliser. « La démographie ne nous est pas favorable et le sera encore moins dans les prochaines années. Par ailleurs, l’appétence globale des jeunes pour les sciences et les technologies ne croit pas (voire diminue) et les moyens publics dédiés à l’enseignement supérieur sont insuffisants pour répondre aux besoins de formation. Sans oublier que les études d’ingénieurs sont malheureusement très marquées par les stéréotypes et considérées comme trop difficiles, trop chères et réservés aux hommes. Mais tous ces clichés sont faux ! » a regretté le président de la CDEFI. La trop faible féminisation des métiers d’ingénieurs et de scientifiques reste pourtant un vrai point noir. Les femmes ne représentent en effet aujourd’hui que 24 % de la profession. Si on observe de légers frémissements au sein des jeunes – les femmes représentant 27 % des ingénieurs de moins de 30 ans et 28.5 % des ingénieurs diplômés en 2022 – « nous sommes sur un palier entre 26 et 29 % depuis 2011 et les écarts de salaires s’accentuent avec l’âge, notamment en raison de l’accès plus difficile aux postes à responsabilité, à des choix de carrière différents et à des différences de répartition entre hommes et femmes fonction des secteurs » indique la 34e enquête de l’Observatoire.
Ingénieuses 2024, pour lutter contre les biais conscients et inconscients
Et c’est pour contribuer à battre ces clichés en brèche que cette édition 2024 d’Ingénieuses met en avant des ingénieures, futures ou diplômées, afin d’encourager cette année encore « une plus forte présence des femmes dans les sciences et les technologies, une véritable égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la possibilité pour chacun.e de choisir librement sa formation et son métier – sans biais conscients ni inconscients – et garantir une vie étudiante sans subir ni discrimination, ni violence sexuelle et sexiste » a insisté Emmanuel Duflos. Car les biais sont encore malheureusement nombreux. On observe d’abord un effet orientation avec – 60 % des filles dans la spécialité Mathématiques depuis la réforme du bac. Parmi les freins indiqués par les femmes au moment de choisir le métier d’ingénieur, elles citent majoritairement une image trop masculine (56 %), trop industrielle (28 %), l’éventuel plafond de verre (29 %) et les exigences du métier en matière d’engagement, de disponibilité ou d’expatriation (10 %) constate la dernière enquête de l’Observatoire. Mais celles qui font le choix d’une formation d’ingénieur citent quant à elles parmi leurs principales motivations : un intérêt pour les sciences (84 %), leurs aptitudes (62 %) et la qualité de l’emploi (44 %).
« La science n’a pas de genre et elle est inclusive : c’est notre conviction à la CDEFI. L’opération Ingénieuses 2024 incarne des objectifs et des valeurs essentiels pour la CDEFI et pour les écoles d’ingénieurs en général. La féminisation de nos professions est un combat ancien mais pas d’arrière-garde, c’est même un combat très moderne. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que femmes et hommes aient des chances égales de réussir et de contribuer à la société et à l’économie. A travers l’opération Ingénieuses, nous voulons mettre en lumière des modèles inspirants, promouvoir des femmes scientifiques, montrer des sciences non genrés, lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes »
Emmanuel Duflos, Président de la CDEFI
Le palmarès d’Ingénieuses 2024
Une opération engagée dont le succès ne se dément pas depuis sa création en 2011. Cette année, ce ne sont pas moins de 55 projets qui ont été déposés par les écoles d’ingénieurs, 99 candidatures d’élèves ingénieures et 67 candidatures de femmes ingénieures qui ont été déposées. Et les récompenses ont été nombreuses ! La preuve avec ce beau palmarès d’Ingénieuses 2024 :
Prix des lycéennes et lycéens (prix créé en 2023 et attribué cette année par les élèves du Lycée Jacques Brel de La Courneuve) : Junia, pour le projet Portrait de femmes, Mission Chronos
Prix de l’école la plus mobilisée : IMT Mines Albi-Carmaux et IMT Mines Alès, pour le projet Exception’Elles
Prix de l’engagement étudiant : Polytech Annecy Chambéry, pour le projet Ingénieurs au féminin
Prix du projet le plus original : l’Isep, pour la signature du Pacte femmes & IA, pour une intelligence artificielle responsable et non sexiste
Prix spécial du jury : l’ESTACA pour son projet de vulgarisation scientifique auprès des enfants
Prix de l’élève ingénieure France : Fannie Bichemin (ENSEA)
Prix de l’élève ingénieure Afrique du Nord : Fatima Zahrae Es-Saidi (ENSA Fès)
Prix de la femme ingénieure : Léna Harikiopoulos-Cordova (Centrales Nantes, fondatrice de Consequally)
Prix de la femme ingénieure junior : Mylène Tahar (Bordeaux INP, ENSEIRB-MATMECA, indépendante)
Nouveauté 2024, le Prix de la femme du numérique a été décerné à Marine Berthier (étudiante à ENSTA Paris)
« Ce prix est une belle surprise qui me touche car j’apporte beaucoup d’importance à a place des femmes dans le numérique. Je fais des études en data sciences (une discipline qui mêle mathématiques appliquées et informatique) et j’ai opté cette année pour un double-diplôme avec une université en Suède car je pensais que c’était un pays très égalitaire… alors qu’en réalité je n’ai qu’une seule professeure cette année et que je peux compter les filles de ma promo sur les doigts de la main ! Je veux montrer que c’est possible de faire de la tech et du numérique quand on est une femme et qu’il est même essentiel que plus de femmes se dirigent vers ce domaine, notamment dans l’IA, afin de cultiver d’autres imaginaires que celui d’une femme blonde et sexualisée. Je vois aussi dans ce prix une reconnaissance de mon travail associatif à l’ENSTA en tant que présidente de l’association féministe Sista notamment. Cette association avait quelques mois quand je l’ai rejointe et elle mène depuis de nombreuses actions pour lutter contre les VSS en milieu étudiant, pour informer sur l’endométriose ou les cancers féminins notamment. Des actions que nous souhaitons promouvoir avec les autres associations féministes de écoles du Plateau de Saclay, avec lesquelles nous avons fait une charte commune, afin de partager au maximum nos bonnes pratiques. »