Le moins que l’on puisse dire c’est que les Jeux Olympiques de Tokyo sont une expérience hors du commun. Pour performer, il faut se mettre en tête qu’il s’agit d’une compétition comme une autre. Pourtant, cet évènement est chargé en émotions et en symboles forts difficiles à oublier.
C’est en faisant le tour du village olympique que j’ai vraiment réalisé où j’étais
L’allée des drapeaux représentant chaque pays participant, la foule de champions qui se baladent tranquillement, mais surtout, les anneaux… Une statue géante des anneaux olympiques dans un coin du village, tellement simple, mais renfermant à elle seule toutes les valeurs de l’olympisme : l’excellence, l’amitié, le respect. Et surtout les années de travail accumulées par les athlètes présents autour de moi. Et mes années de travail à moi. Les victoires, les défaites, les abandons, les surprises. Le deuil des Jeux de Tokyo auxquels j’étais certaine de ne plus pouvoir participer, puis un espoir, et enfin, une réalité. De véritables montagnes russes qui auraient pu finir devant la télé (comme elles ont commencé), mais qui sont arrivées jusqu’au Japon.
Car pour moi comme pour beaucoup c’est devant la télé que le rêve olympique a commencé
En regardant les Jeux de Rio, il y a seulement 5 ans et en voyant des Françaises en finale, et me dire que moi aussi, j’en étais capable. Alors en préparation pour les championnats du monde des moins de 23 ans, je suis certaine d’une chose : j’irai à Tokyo. Pour m’y préparer dans les meilleures conditions, je décide de venir à l’INSEP m’entrainer auprès des meilleures rameuses françaises. En parallèle, j’intègre Grenoble Ecole de Management qui propose un master à distance adapté aux contraintes du sport de haut niveau. Les journées s’enchainent et se ressemblent, entrainement à 7h tous les matins, quelques heures pour travailler et récupérer, puis deuxième entrainement à 16h30 l’après-midi. Le soir on retrouve l’ordinateur pour un cours en visio, on mange, et au lit !
Mais après un an la routine se transforme en prison
Je ne dors pas bien, je ne progresse pas, je suis fatiguée, je n’ai plus mes règles, puis une bonne gastro, puis une deuxième, puis une troisième, et enfin la fracture de fatigue… Je pensais avoir toucher le fond mais là vient le coup de grâce : un coup de fil quelques heures seulement après mon diagnostique de fracture de fatigue m’annonçant le décès d’une amie. Les semaines qui suivent sont longues. Une blessure qui guérie lentement, l’isolement, et les remises en question m’accompagnent. A la reprise de l’entrainement on peut compter sur les doigts d’une main les gens au courant de ma situation, et moi je compte les jours jusqu’à la fin de la saison. Mais je dois me ressaisir pour me qualifier aux JO. Chaque entrainement, chaque course, est une lutte contre moi-même. Cerise sur le gâteau : j’ai mal au dos. Sans surprise je passe à côté de ma qualification, et sortant la tête de l’eau pour la première fois depuis deux ans, le bilan fait mal. En burn out depuis un an, mon corps me hurle de m’arrêter. Tokyo, je n’irai pas.
A neuf mois des Jeux Olympiques de Tokyo, je quitte l’INSEP
Finie la routine. Finies les contraintes. J’essaie un nouveau sport, le triathlon (au Red Star Club Champigny Triathlon), je récupère, je fais mon deuil. Il était temps c’est la belle vie ! Mais mon dos va de moins en moins bien. Je cours trop et ça n’aide pas. Bientôt je ne peux que nager tellement j’ai mal au dos. A cours de solution, je pars en rééducation au centre orthopédique de Dracy-Le-Fort, à côté de ma ville natale. Un mois de travail pour reprendre confiance en mon corps et pour acquérir une meilleure hygiène de vie. Le programme fait des miracles, je vais de mieux en mieux.
C’était en mars… Vous connaissez la suite
Pour le confinement je reste chez mes parents. Cette fois paisiblement, une nouvelle routine s’installe : étirement, renforcement musculaire, home trainer. Les cours à distance continuent sans une égratignure. Et moi j’attends la fin du confinement pour enfin m’essayer à mon premier triathlon. Les jeux sont reportés d’un an alors je blague gentiment que j’ai peut-être encore une chance d’y participer.
Le confinement prend fin, et je cours mon premier triathlon
Et là c’est le déclic. Le plaisir de la compétition, d’aller au bout de sois même, repartir de zéro et se voir progresser. L’envie de se battre est revenue. Je nage mal mais je m’accroche. Je passe des heures à travailler mes transitions et mes virages en vélo. Mon équipe de triathlon me redonne l’envie de performer. Mais l’aviron me manque… Et il y a ce petit, minuscule, espoir qui subsiste. Celui d’aller aux Jeux. Il y a du travail, mais j’ai enfin retrouvé l’amour de mon sport. Peu à peu mes vitesses s’améliorent. Mon geste retrouve la spontanéité de mes débuts. En quelques mois, je retrouve mon meilleur niveau technique puis je le dépasse. Je commence à rêver que finalement peut-être, j’irai à Tokyo. Etape par étape, je remonte dans la hiérarchie française. D’abord sélectionnée en stage, puis remplaçante, puis l’issu un énième remaniement d’équipage, titulaire dans le quatre de couple. A deux mois des Jeux une dernière course nous sépare de Tokyo… Alignées en finale (régate de qualification olympique), nous avons le troisième temps à l’issue de la première course. Les Australiennes dominent la compétition. Pour aller à Tokyo, il faudra battre les Norvégiennes. Au coude à coude dans le dernier quart de course, notre finish aura été à l’image de notre dernier mois de préparation : de plus en plus rapide. La seconde et dernière place qualificative en mains, nous allons à Tokyo !
C’était le haut des montagnes Russes, la fin d’un périple, et le début d’une aventure. Car maintenant, c’est parti pour Paris. Et je n’espère qu’une chose : moins de rebondissements…
Marie Jacquet, sportive de haut niveau en aviron, étudiante à Grenoble Ecole de Management.