Nous traversons une période appelée « permacrise », c’est-à-dire un cycle persistant d’instabilité et d’insécurité, confrontés à une période de guerre, d’inflation et de turbulences politiques. Ce néologisme a d’ailleurs été sélectionné par le dictionnaire Collins comme le mot de l’année 2022. Dans un tel contexte, la durabilité devrait donc être une priorité pour les chaînes d’approvisionnement des entreprises.
Les chaînes d’approvisionnement sont sous les feux de la rampe
Une telle période entraîne des problèmes tels que des conflits commerciaux géopolitiques, des retards dans les ports, une crise énergétique, une pénurie de matières premières, etc. La supply chain n’a jamais été autant sous les feux de la rampe. En effet, on estime que les chaînes d’approvisionnement représentent entre 50 % et 70 % des coûts d’exploitation des entreprises et plus de 90 % de leurs émissions de gaz à effet de serre.
La supply chain passée au crible
En raison de l’ampleur des problèmes économiques, environnementaux et sociaux liés aux opérations de la chaîne d’approvisionnement, les entreprises ont été scrutées par les investisseurs et les acheteurs. De nombreuses questions ont alors émergé :
Les conditions de travail des fournisseurs sont-elles équitables et éthiques ?
Le produit a-t-il été conçu pour être durable ? Le fabricant a-t-il prévu son recyclage ou son élimination en toute sécurité ? Quels sont les plans des entreprises pour atteindre des émissions nettes de carbone nulles ? Fait nouveau, on demande aujourd’hui au monde de la supply chain d’être responsable ou, du moins, de rendre compte de ses impacts environnementaux et sociaux.
Quelles doivent être les priorités stratégiques d’aujourd’hui pour la supplychain dans une situation de permacrise ? Selon le rapport State of Supply Chain Sustainability 2022, malgré les défis actuels de l’activité économique, l’importance de la durabilité dans les chaînes d’approvisionnement continue de croître. Le rapport a mis en évidence deux grands domaines prioritaires.
Prise en compte du changement climatique
La compréhension de l’empreinte environnementale laissée tout au long du cycle de vie d’un produit est une demande des investisseurs et des acheteurs. Les émissions qui échappent au contrôle direct d’une organisation représentent souvent plus de 70 % de l’empreinte carbone d’une entreprise (Forum économique mondial, 2022). Il est donc important que les membres des chaînes d’approvisionnement collaborent et fassent preuve de transparence pour pouvoir mesurer puis divulguer les émissions de carbone de niveau 3, conformément au protocole sur les gaz à effet de serre. Des entreprises telles qu’Airbus et Schneider Electric ont mis en place des objectifs et des pratiques pour réduire les émissions provenant des activités de leurs fournisseurs.
La circularité dans les chaînes d’approvisionnement
Il est nécessaire de repenser les chaînes d’approvisionnement en vue de la circularité des ressources afin de récupérer la valeur de ce qui était considéré par le passé comme des déchets et des ordures. Apple, par exemple, a lancé Apple Trade In, une initiative de reprise des appareils afin d’inciter les consommateurs à retourner les objets de la marque qui ne leur sont plus utiles. Grâce à cette approche, Apple pourrait accroître l’utilisation des composants usagés de ses appareils plutôt que d’acheter des matériaux vierges. Cela pourrait aider Apple à mieux résister à la pénurie de matières premières et aux fluctuations de la demande et des prix. La conception de produits visant le système produit-service (SPS) est une autre approche pour adopter un état d’esprit d’économie circulaire. Des entreprises de différents secteurs, telles que Decathlon, John Lewis, Marks & Spencer, Ikea, et bien d’autres, ont modifié leurs modèles commerciaux afin de vendre des produits en tant que service plutôt que d’en vendre la propriété. L’objectif est d’offrir des services d’entretien et de mise à niveau aux clients, pendant qu’ils consomment des biens, en augmentant la durée de vie de ceux-ci. Et, lorsque les consommateurs ne veulent plus d’un produit, ils peuvent le retourner, ce qui permet aux entreprises de réutiliser, réparer, remanier ou recycler les composants et les matériaux, évitant ainsi l’extraction de matières premières vierges et, à terme, l’épuisement de l’environnement.
Quelques pièges à éviter
La durabilité est un voyage à long terme, et ses gains ne doivent pas être projetés à court terme. En outre, le retour sur investissement ne peut plus être le seul objectif de la quête de la durabilité. D’autres résultats doivent être pris en compte, tels que la réputation des entreprises, la satisfaction des clients, le bien-être et la motivation des employés, et l’orientation des entreprises vers un but précis. Il est important de garder ces éléments à l’esprit pour planifier et mettre en œuvre des actions efficaces afin de rendre les opérations des entreprises plus durables, comme ces domaines prioritaires.
A propos de l’auteur : Ana Beatriz Lopes de Sousa est professeur de gestion des chaînes d’approvisionnement pour le développement durable au sein de l’EM Normandie depuis 2021