La Franc-maçonnerie constitue une organisation dont la réalité apparaît toujours quelque peu mystérieuse au profane. Dans ces conditions, rien de tel que d’interviewer MARC HENR Y, le Grand Maitre de la Grande Loge de France qui nous en dévoile les arcanes…
La GLDF constitue-t-elle une société secrète occulte ?
La réponse est clairement non ! C’est tout le contraire d’une secte dans laquelle l’on entre facilement et d’où l’on s’échappe avec difficulté… quand on s’en sort. Si on intègre une obédience maçonnique après un parcours probatoire, on peut la quitter avec une simple lettre de démission.
Pourquoi le Grand Orient et vous ne fusionnez-vous pas ?
La diversité constitue la vie… Un arbre sans branche devient une tige… Si au XVIIIe siècle, a existé une première Grande Loge, celle-ci a permis par la suite à la France de disposer d’une grande diversité d’obédiences qui s’inscrivent dans le temps et dans l’espace.
Certains évoquent une opposition de nature politique entre vos deux obédiences…
Tout peut être dit sur tout quand on ne sait pas de quoi l’on parle ! Le Grand Orient fait ses choix, nous les nôtres. Il s’agit d’une obédience mixte, possédant ses propres rites et plus engagée que nous sur les réflexions sociétales. Cela ne nous oppose pas pour autant. De plus, les mille loges qui constituent le GO sont très diverses. De son côté, la GLDF est une obédience uniquement masculine, qui ne propose qu’un seul rite et prône qu’il faut changer l’individu avant de changer la société.
Nous essayons d’atteindre ce qu’enseigne le texte de saint Jean auquel nous nous référons lors de chaque tenue de loge :
« Aimez-vous les uns
les autres. »
Les rituels sophistiqués et les symboles mystérieux que vous utilisez lors de vos cérémonies ne sont-ils pas surannés ?
Si nous les trouvions surannés, nous les aurions abandonnés depuis longtemps. Pour changer le regard que nous portons sur nous-mêmes, il est nécessaire d’utiliser des outils. La maçonnerie constitue une initiation qui provoque fondamentalement un changement d’état. Le maçon devient différent du profane qu’il était. Il prend conscience que l’individu se construit à partir de ce que la société lui apporte et que cela le contraint (famille, scolarité, religion, milieu professionnel, etc.), ce qui lui permet de porter un autre regard sur lui-même et sur les autres afin de réfléchir au vivre ensemble autrement.
De quelle manière y parvient-il ?
Le devoir de chaque maçon consiste à s’impliquer dans la société là où il le peut, comme il le peut. Les rituels et les symboles permettent cette transformation, notamment les rituels d’ouverture des travaux qui servent à passer du monde profane à un espace-temps que nous allons nous donner pour penser et réfléchir. Nous laissons les problèmes individuels à la porte de la loge pour nous octroyer un temps de travail partagé. Nous ne sommes plus le centre de nos problèmes. Nous réfléchissons ainsi aux questions fondamentales que se pose tout être humain (la vie, l’existence, la mort…) et aux valeurs pour lesquelles nous sommes prêts à nous battre, voire même à donner notre vie, la réflexion pouvant être poussée à cette limite extrême.
Quelles sont ces valeurs précisément ?
La liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, les droits de l’homme et la dignité humaine de tout individu quel qu’il soit. Nous essayons de reconnaître l’autre comme un frère ou une soeur en humanité.
Quelles sont les obligations d’un maçon en termes de présence ?
Pour travailler sur soi au milieu des autres, il faut être présent dans les loges. Si l’on n’y parvient pas, il est nécessaire d’en tirer les conclusions en se mettant en congé ou en démissionnant. Une loge n’existe que si ses membres y travaillent puisque l’initiation constitue un vécu physique, mental, psychique, émotionnel et spirituel. Nous nous réunissons au moins 2 fois par mois.
LES AFFAIRES… ?
Ceux qui entrent en loge par opportunisme ou pour affaires n’intéressent pas notre obédience. Ils peuvent être radiés à vie.
Pouvez-vous nous dévoiler le secret maçonnique ?
Le secret maçonnique représente un élément sympathique qui nous fait sourire. En réalité, le secret maçonnique se trouve dans ce qu’un maçon ressent le jour où on l’a initié. Là réside n’existe pas de « supérieurs inconnus » dotés de pouvoirs mystérieux, ni de « complot », théorie dont certains se sont servis, notamment pendant la Deuxième Guerre mondiale, pour essayer de détruire la Franc-maçonnerie. La théorie du complot consiste à trouver un bouc émissaire… et des frères comme Pierre Brossolette ou Gaston Monnerville ont montré qu’à défaut de complot, il existait plutôt un combat pour la liberté.
Votre rapport à Dieu ?
Une phrase de notre constitution peut répondre à cette question : « Dans sa quête de la vérité et de la justice, un Franc-maçon n’accepte aucune entrave et ne s’assigne aucune limite. » Nous maçonnons en travaillant à la gloire du Grand Architecte de l’Univers qui ne représente pas Dieu mais un principe. Quelle est sa nature ? À chacun sa vérité et sa conception. Nous ne nous situons pas dans l’imposition du choix d’une religion révélée. Dans ce cadre du rapport à Dieu, la loge idéale comprendrait toutes les strates de la société professant l’ensemble des questionnements inhérents à la quête du sens et de l’origine.
Les loges ne sont-elles pas réservées aux diplômés ?
On en trouve une majorité mais c’est regrettable, car tous les corps de métier devraientêtre représentés comme c’est le cas dans la société.
Le maçon atteint-il à une vérité supérieure ?
Nous ne sommes pas « perclus » de certitudes. Tout au moins, arrivons-nous à porter un regard plus tendre sur les autres humains en évitant de nous situer dans une hiérarchie sociétale. Nous essayons d’atteindre à ce qu’enseigne le texte de saint Jean auquel nous nous référons lors de chaque tenue de loge : « Aimez-vous les uns les autres. »
Comment la GLDF s’implique-t-elle dans les grands enjeux nationaux et internationaux ?
La Grande Loge de France constitue la communauté de loges fédérées. L’exécutif (Grand Maître, Grands Officiers et Conseillers) est élu démocratiquement par les loges. Celui-ci s’implique en proposant les réflexions des maçons aux responsables politiques qui agissent. Par exemple, pour l’entrée au Panthéon de nouvelles personnalités, nous avons proposé des frères ayant été très engagés (Brossolette et Monnerville). En réalité, nous répondons plus aux sollicitations que nous n’essayons d’intervenir en faisant en quelque sorte du lobbying. Nous n’entrons pas dans le jeu du politique contrairement au GO qui s’implique différemment en recevant les candidats aux élections présidentielles, par exemple. Nous organisons des colloques publics pour diffuser des idées. Nous nous posons des questions sur l’économie, l’écologie, etc. Ainsi, sur le plan collectif, nous pourrions envisager de construire des temples de haute qualité environnementale.
Quelle orientation personnelle souhaitezvous donner à la GLDF ?
J’aimerais également que toutes nos valeurs soient vécues pleinement par mes frères maçons. Car l’appartenance à une loge de la Grande Loge ne serait se résoudre par la production de discours touchant à la solidarité, l’humanisme, la dignité, etc., aussi élevés soient-ils mais bel etbien par la réalisation de projets concrets portés par le ou les frères dans le cadre des structures de la société qui est la nôtre.
L’existence de ce type d’organisation a-t-elle un sens pour la jeunesse du XXIe siècle ?
J’en suis convaincu. Les jeunes peuvent s’informer de ce que représente la maçonnerie, et venir vivre pleinement l’initiation, sachant qu’ils ont la possibilité de la quitter si cela ne leur convient pas. Je donne, d’ailleurs, des conférences régulières sur ces thématiques.
Comment un étudiant peut-il entrer en maçonnerie à la GLDF ?
Après s’être renseigné sur notre obédience, un étudiant peut rencontrer un frère ou une soeur qui le guidera. Il doit également trouver un parrain qui appuiera sa candidature. Ensuite, il franchira plusieurs étapes : postuler, s’expliquer au cours de trois rencontres, procéder au passage sous le bandeau… Puis, s’il est accepté à l’issu de trois votes, il sera initié au cours d’une cérémonie qui dure quatre heures. Du point de vue financier, la cotisation se monte à 400 euros par an. Mais, l’essentiel est de savoir ce que l’on souhaite faire de sa vie et comment la mener. Nous pouvons les y aider.
Patrick Simon
Pour tous renseignements :
www.gldf.org