Si la question de la santé et du bien-être au travail a longtemps été envisagée sous l’angle de la souffrance et des Risques Psycho-Sociaux (RPS), elle est depuis les années 2010 de plus en plus associée à la Qualité de Vie au Travail (QVT). Et même s’il s’agit encore d’un concept en construction, les entreprises s’emparent du sujet[1].
Changement de paradigme : être heureux au travail ?
La QVT est souvent admise comme une réponse à la transformation du travail, voire à sa déshumanisation, et comme une perspective renouvelée du rapport au travail (Brillet, Sauviat et Soufflet, 2017). A ce titre, elle marque un changement significatif de paradigme qui prête désormais à décrire le travail comme une zone de ressources et d’épanouissement et non plus seulement de coûts et de risques.
Le contexte professionnel français a longtemps été caractérisé par une vision pathogène et une conception « doloriste » du travail (Bourdu, Péretié et Richer, 2016). Toutefois, cette approche par les risques s’est avérée insatisfaisante pour répondre aux enjeux complexes du monde du travail actuel et aux attentes d’autonomisation et de développement individuel des salariés. A cet égard, la définition de la QVT proposée dans l’ANI du 19 juin 2013 qui « peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué » indique que l’on se dirige vers une approche plus positive du travail. Cette approche est d’ailleurs sous-tendue par les travaux sur le bien-être et les nombreux rapports institutionnels sur la QVT (Rapport Lachmann et al., 2010), même si celle-ci continue d’être rarement examinée, en France, en tant que levier de performance économique et de compétitivité industrielle (Bourdu et al., 2016).
Halte aux raccourcis et aux effets de mode
La plasticité de la notion de Qualité de Vie au Travail se prête à une utilisation très large du concept au risque parfois de le dévoyer et de le décrédibiliser. En effet, la QVT inclut des pratiques très diverses allant de l’hygiène de vie (sport, massages, yoga, méditation…) à la décoration et à l’aménagement des bureaux ; de la discussion sur des notions philosophiques (le ‘bonheur’ au travail), au déploiement de nouveaux « modèles » d’organisation (l’entreprise libérée).
Cette profusion peut confondre les entreprises et les salariés et cantonner le bien-être à des actions ‘périphériques’ au travail et non sur le travail lui-même, son organisation, ses moyens et ses objectifs. Or, la QVT doit être transversale et ‘diluée’ dans toute l’entreprise ; elle doit aider celle-ci à progresser vers des approches décloisonnées faisant le lien entre santé, compétences, organisation du travail et performance globale.
Le travail au cœur du débat
Les récents débats sur le bonheur au travail restent nécessaires. Cependant, il est essentiel de veiller à ce qu’ils ne nous éloignent pas des réflexions centrales (Clot, 2010 ; Dejours, 2015) : le contenu et l’organisation du travail, la charge de travail, la capacité accordée aux collaborateurs de discuter de la qualité de ce qu’ils font, mais aussi la surcharge informationnelle et la nature, le rythme et la conduite des changements d’organisation. Or, ces questions restent encore peu abordées dans le cadre des démarches et accords QVT (Anact, 2019). Le versant sociétal de la QVT (articulation des temps, télétravail…) a certes progressé mais les rapports de causalité entre l’organisation du travail (charge, autonomie, variété des tâches, efficience…), la santé (absentéisme, RPS, tensions sociales…) et les métiers (compétences, employabilité, mobilité…) restent à améliorer.
Parler du travail, organiser des échanges, encourager les discussions sur la relation manager-managé, voilà l’objectif prioritaire de la QVT qu’il ne faut pas perdre de vue.
A propos de l’auteur
Sabrina Tanquerel est Professeur assistant en Gestion des Ressources Humaines – EM Normandie
Références :
Anact (2019). Un cap à tenir. Analyse de la dynamique de l’Accord national interprofessionnel Qualité de vie au travail -Egalité professionnelle du 19 juin 2013, Rapport du 21 février 2019.
Bourdu, E., Péretié, M.-M., Richer, M. (2016). La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité. Refonder les organisations du travail, Rapport Presses des Mines.
Brillet, F., Sauviat, I., Soufflet, E. (2017). Risques Psychosociaux et Qualité de vie au travail. Editions Dunod.
Clot, Y. (2010). Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris : La Découverte
Dejours, C. (2015). Le Choix – Souffrir au travail n’est pas une fatalité. Bayard éditions.
[1] En 2018, la base Légifrance recense 20 000 accords d’entreprise tous sujets confondus (1 500 accords sur l’égalité professionnelle ; 600 accords EP-QVT ; 26 accords sur la prévention des risques). Source : Anact, 2019.