L’intelligence artificielle est souvent comparée à des innovations majeures comme l’invention d’Internet ou du téléphone portable. Avec un impact sur plus de 300 millions d’emplois, des outils comme ChatGPT se retrouvent au centre des débats. Malgré son potentiel éducatif, des universités renommées émettent des réserves. ChatGPT peut-il rivaliser avec l’émotion humaine ? Le débat est lancé.
Trois mois après le lancement de ChatGPT, Bill Gates publiait un article dans lequel il expliquait que le développement de l’intelligence artificielle « était aussi fondamental que la création du microprocesseur, de l’ordinateur personnel, d’Internet et du téléphone portable. Elle changerait la façon dont les gens travaillent, apprennent, voyagent, se soignent et communiquent entre eux. »
L’impact sur le marché de l’emploi de l’IA a rapidement été estimé. Goldman Sachs annonce que les intelligences artificielles telles que ChatGPT auront un impact sur plus de 300 millions d’emplois dans les pays développés. En mai 2023, le Boston Consulting Group (BCG) révélait que plus d’un tiers (36 %) des employés estimaient que leur métier est susceptible d’être éliminé par l’IA dans les dix prochaines années dont 42 % en France. Plus récemment, l’organisation international du travail estimait que les outils d’IA pourraient créer plus d’emplois qu’elles n’en détruiront (article, 21 août 2023).
ChatGPT : la technologie qui dérange
Dans l’enseignement supérieur, de grandes universités, dont l’Imperial College London et l’Université de Cambridge, avaient mis en garde les étudiants contre l’utilisation de ChatGPT, car il ne favoriserait pas la pensée critique et les compétences en matière de résolution de problèmes. L’accès instantané à l’information est-il vraiment synonyme de sagesse ou conduit-il à une paresse intellectuelle dangereuse ? Le débat est ouvert, et les opinions sont divisées. L’effet de ChatGPT n’est donc pas sans risques. La dépendance excessive à cet outil pourrait entraîner une perte de compétences critiques et analytiques. Le risque d’automatisation excessive, où la technologie supplante l’intuition et l’expertise humaines, peut conduire à une perte de discernement. La mise en garde des universités n’est qu’un signe avant-coureur d’un débat plus large qui émerge.
L’éducation à l’ère de ChatGPT
Si ChatGPT peut être un outil d’apprentissage puissant, les éducateurs doivent trouver un équilibre entre l’accès à l’information et le développement des compétences critiques. Le défi est de ne pas tomber dans la facilité d’une pensée préfabriquée mais d’utiliser cette technologie pour enrichir et non remplacer la réflexion individuelle. Cette IA que d’aucuns projettent devenir un jour consciente (e.g. Elon Musk) demeure à ce jour dénuée d’émotions. Elle ne ressent ni joie, ni tristesse, ni empathie. Cette absence émotionnelle pourrait d’ailleurs être une garantie de son impartialité. Lorsqu’en 1996 Deep Blue d’IBM fait sensation en battant le champion du monde d’échecs Garry Kasparov ou lorsqu’en 2016 DeepMind avec son programme AlphaGo bat Lee Sedol, l’un des meilleurs joueurs de go du monde, aucune émotion ne transparait. Nous sommes loin du « plus beau jour de ma vie » déclaré par Yannick Noah lors de la victoire à Rolland Garros en 1983.
« Ce qui fait de nous des êtres humains, ce sont nos émotions, précisément ce que nous partageons avec les animaux » déclarait Mechan O’Giebelin récemment dans le Philosophie Magazine de juillet 23.
Innovation de rupture ?
Alors, ChatGPT est-il cette révolution tant attendue ? En partie. Il est probable que cette technologie transforme certains aspects de nos vies, notamment en automatisant des tâches répétitives et en facilitant l’accès à l’information. Mais plutôt que de le voir comme un outil révolutionnaire, il serait plus juste de le considérer comme un complément, un outil parmi d’autres, destiné à enrichir notre palette de ressources technologiques. Comme le déclarait Jean-Marc Vittori : « C’est une loi sans doute aussi vieille que la technologie : on surestime ses effets à court terme, on les sous-estime à long terme » (Les Echos, 3 avril 2023). Tout en étant une avancée remarquable, ChatGPT n’est pas l’alpha et l’oméga des technologies de demain. Il nous rappelle que si la technologie évolue à pas de géant, l’humain, avec ses émotions, sa capacité de jugement et son besoin d’interactions réelles, reste au cœur de la société de demain.
L’auteur est Armand Derhy, directeur de la Paris School of Technology & Business