Prix Littéraire des Grandes Ecoles / HEC Paris
Le Brésil, plus grand pays catholique du monde, continue à être le terreau de rites provenant de cultes africains, pratiqués souvent conjointement à la religion catholique.
« C’est pour Iemanja que se réalise la fête, la plus belle de toutes les processions de Bahia, plus belle que toutes les « macumbas », car elle est un des Orixás les plus puissants, elle est un des premiers, de ceux d’où les autres sont venus », écrit Jorge Amado dans Mar Morto. Ces Orixás, et le culte qui leur est voué, constituent le coeur du candomblé brésilien : divinités intermédiaires entre le monde sensible et un autre plus lointain où règnerait un Dieu invisible, ils dirigent les forces de la nature et sont l’objet de nombreux rites populaires. Iemanja est ainsi l’une des divinités les plus célébrées. Au cours des macumbas, cérémonies réunissant les initiés aux candomblés, les Orixás entrent en relation avec certains des participants et prennent possession d’eux. Jorge Amado, dans Bahia de tous les Saints, nous décrit l’une de ces cérémonies, au cours de laquelle, le Pai do Santo, Jubiaba, après danses et rituels, permet aux esprits de s’incarner successivement dans certains des participants.
Le candomblé, hérité des esclaves africains, a longtemps été interdit au Brésil. Si sa pratique n’a été autorisée qu’en 1946 avec l’inscription de la liberté de culte dans la religion, il a su néanmoins perdurer en se mêlant habilement au catholicisme. En effet, les esclaves noirs ont très tôt associé leurs divinités aux saints catholiques afin de pouvoir continuer à leur vouer leur culte. Ainsi, Iemanja correspond à Notre Dame du Rosaire, Xango, Orixá de la foudre, du feu et de la justice est associé à Saint Jean-Baptiste, et Oxala, qui moule la terre et donne vie aux hommes, est identifié au Christ.
Ce syncrétisme entre catholicisme et candomblé est aujourd’hui encore très puissant : à Salvador da Bahia, une fois par an, l’église Nosso Senhor do Bomfin reçoit chaque année une procession de religieux en soutanes et de prêtresses du candomblé. Le Brésil entretient ainsi un rapport particulier à la religion, où il est communément accepté de s’adonner à différents rites. Ces pratiques sont sous-tendues par un sentiment d’appartenance à un grand tout, coordonné par les forces de la nature. De cela découle également une autre façon de concevoir la religion, et en particulier le catholicisme. Ce dernier prend un caractère très festif et offre à la musique et à la danse une place importante. Dans le Nordeste, lors des fiestas juninas, organisées en juin partout dans le pays en l’honneur de Saint Jean, des représentations dansées et préparées de longue date ont lieu chaque soir et content comment un prince, pour satisfaire sa bienaimée coupe la langue d’un taureau et s’en repent. Ce syncrétisme se marque aussi par un besoin de voir, de concrétiser, et de rendre plus proche et plus humaine la religion. Ceci s’illustre par les représentations qui en sont faites : dans les églises, les saints figurent de manière très réalistes, avec souvent des visages en cires. Non loin de Salvador, la ville de Fazenda Nova (la Nouvelle Jérusalem) reproduit même tous les ans la passion du Christ en grandeur nature pendant la Semaine Sainte.
Le catholicisme est pratiqué aujourd’hui par 64 % de la population brésilienne ; à peu près le même pourcentage pratique au moins occasionnellement d’autres rites comme le candomblé. Toutefois, cette alliance entre les deux semble aujourd’hui menacée : les Eglises pentecôtistes, elles aussi porteuses de spectaculaire et de surnaturel, les combattent et gagnent de jour en jour de plus nombreux adhérents.
Flore Boutin et Aurélie Pichard