Président Fondateur du désormais incontournable BlaBlaCar, Frédéric Mazzella (ENS Ulm, Stanford, INSEAD) œuvre depuis 14 ans à développer la plus large communauté de covoiturage longue distance du monde. Depuis décembre 2019, il est également Président de la French Tech Grand Paris, qui accompagne la croissance des pépites françaises. Rencontre.
Qui n’a jamais entendu parler de BlaBlacar ? Personne ! L’entreprise, fondée il y a 14 ans par Frédéric Mazzella réunit aujourd’hui une communauté de 90 millions de voyageurs, qui fait le choix de se déplacer grâce au covoiturage dans 22 pays. Une aventure qui a débuté en décembre 2003, alors que le futur entrepreneur rentre dans sa famille en Vendée. Il constate que si les trains sont complets, les voitures roulent avec peu de voyageurs. C’est alors que nait l’idée d’une solution de covoiturage. S’en suivent 80 nuits blanches pour trouver un nom à la plateforme, des centaines d’heures de travail et de belles réussites : le premier financement de 600 000 € en 2009 jusqu’aux levées de fonds de 100 et 200 millions € en 2014 et 2015 qui ont permis à BlaBlaCar de s’internationaliser. Mais derrière cette success story, Frédéric Mazzella rappelle la difficulté de créer une startup et l’implication colossale que cela demande. Une expérience qu’il met aujourd’hui au service de la French Tech.
Quel est le rôle de la French Tech ?
La French Tech a été créée en 2013, avec l’idée de constituer une marque forte pour les startups françaises au niveau national et international, de créer une communauté de startups et d’agir pour l’attractivité de l’écosystème Tech français dans son ensemble.
Depuis 2018, cette stratégie a été renforcée avec la French Tech 2.0. Les objectifs : aider à passer à l’échelle davantage de startups et créer 25 licornes d’ici 2025 – on en compte déjà 14 actuellement. Notre travail est ainsi d’accompagner la croissance de nos pépites françaises, avec un écosystème de plus en plus mature que nous aidons à grandir, à gagner en visibilité et en synergie.
Pourquoi avoir accepté d’en être le président Grand Paris ?
J’ai toujours aimé lancer ou participer à des initiatives d’intérêt commun. J’avais participé à la création de France Digitale en 2012, à celle du Galion Project en 2015, j’ai également lancé Reviens Léon en 2015 et Tech4Values en 2020. La French Tech Grand Paris est en parfaite adéquation avec tout cela. Et puis c’est une bonne occasion de rassembler l’écosystème francilien des startups, de faire le lien entre le stratégique et le terrain et d’œuvrer à ce que chacun travaille en bonne intelligence.
Avoir le label French Tech, ça change quoi pour une startup ?
C’est à la fois une reconnaissance du potentiel et de la forte croissance d’une startup, et un soutien dans son développement pour bien s’orienter dans l’écosystème. La démarche French Tech consiste à rassembler les jeunes pousses autour d’enjeux communs et à mettre à disposition tous les outils nécessaires pour qu’elles réussissent. Les startups labellisées French Tech ont accès à des programmes prestigieux, comme les classements Next40 et FT120, et peuvent bénéficier de l’expertise de partenaires publics, avec le programme French Tech Central par exemple. Last but not least, avoir le label French Tech c’est aussi représenter le modèle de la Tech à la française !
Le plus gros challenge de la French Tech dans les prochaines années
Accompagner les startups à recruter ! Les chiffres sont parlants : selon le Baromètre EY – France Digitale 2020 sur la “Performance économique et sociale des start-ups du numérique en France”, 63 % des startups considèrent que recruter est la principale barrière à leur développement.
Nous devons aider les jeunes pousses à recruter, dans tous les métiers : développeur.se, commercial.e, RH… Il nous faut réussir à attirer les meilleurs talents dans nos entreprises, qu’ils soient français ou internationaux, d’autant plus qu’une bonne partie de la valeur à créer se trouve souvent à l’international. Or, notre attractivité repose sur nos valeurs sociales et environnementales fortes, uniques dans le monde. C’est en promouvant nos startups responsables, qui relèvent des défis sociétaux et écologiques, que l’on peut attirer les meilleurs talents dans nos entreprises.
« La France est une terre d’innovation »
La France, championne de l’innovation ? Historiquement, la France est une terre d’innovation et de progrès technique : ce sont des Français qui ont imaginé le mètre et le kilogramme, qui ont construit la Tour Eiffel ou qui ont inventé l’appareil photo et la bicyclette ! Il y a des domaines technologiques où la France est aujourd’hui en pointe : l’alimentation animale innovante ou le reconditionnement de nos appareils électroniques par exemple. Et la tendance est positive : la France a gagné 4 places dans l’index de l’innovation GII (Global Innovation Index) cette année. Elle figure maintenant à la 12ème place. Ce n’est pas encore le wagon de tête, mais on progresse ! Ce goût de l’innovation tient à la qualité de notre système éducatif, avec des écoles d’ingénieurs reconnues dans le monde entier, et à l’excellence de notre recherche – l’Université Paris-Saclay est dans le Top 15 du classement de Shanghai. On innove grâce à ce tissu économique et intellectuel unique.
La France chouchoute-t-elle ses startups ? Les Françaises et les Français utilisent les services des startups au quotidien… et ils les apprécient ! Co-voiturer avec BlaBlacar, acheter un smartphone reconditionné sur BackMarket, prendre rendez-vous médical sur Doctolib, commander un repas sur Frichti ou des formations en ligne sur OpenClassRooms… En étant usagers et clients de ces services, ils en sont les premiers soutiens ! Si la “startup nation” a parfois pu être moquée, il s’agit pourtant d’une vraie voie de création de valeur et même d’émancipation pour la France, pour son économie et sa souveraineté. Les startups créent de l’emploi, et de l’emploi durable, localisé en France et à 94 % en CDI ! Le numérique représente 10 % des créations nettes d’emplois en 2019. La technologie est un levier aujourd’hui incontournable de souveraineté. Récemment, le plan de relance et ses 7 milliards d’euros fléchés vers le numérique a également témoigné du soutien public à l’écosystème.
« Monter une entreprise, c’est 100 heures de travail par semaine pendant des années »
Vous avez créé BlablaCar il y a maintenant 14 ans : comment a évolué le monde des startups ? Je ne vous surprendrai pas en vous disant qu’il était beaucoup moins courant de lancer sa startup à l’époque ! L’écosystème de la Silicon Valley était le seul modèle existant, et en France on était encore paralysé par la bulle de 2000. Un écosystème entier s’est depuis constitué en France, et il gagne chaque jour en maturité et en ampleur. On lève plus de fonds : sur le premier semestre 2020, on a compté 360 levées de fonds pour un montant total de 2,7 milliards d’euros, soit un rythme toujours en croissance malgré la crise (5 milliards levés en 2019). On peut bénéficier de davantage d’aides, que ce soit de concours ou de subventions au démarrage. On trouve maintenant de nombreux incubateurs en France, dont Station F qui est le plus grand incubateur de startups au monde ! Des publics plus diversifiés peuvent entreprendre : le programme French Tech Tremplin accompagne ainsi des publics éloignés de l’entrepreneuriat vers la création d’entreprise, dans un souci d’égalité des chances. Ceci dit, créer une startup reste, dans tous les cas, très difficile. On peut avoir le sentiment que BlaBlaCar a été un “overnight success” comme disent les Américains, mais je peux vous dire que “la nuit” a été longue ! Monter une entreprise, c’est 100 heures de travail par semaine pendant des années, avec des problèmes nouveaux à résoudre chaque jour. Il est important de comprendre que dans l’entrepreneuriat, il n’y a pas d’ascenseur, il n’y a que des escaliers : on doit résoudre chaque problème pour passer au suivant, sans billet coupe-file !
5 conseils pour avoir LA bonne idée de startup… et la faire durer !
- Utiliser ses deux cerveaux quand on fait des choix, ou qu’on s’attaque à un problème : sa tête et son cœur ! Le rationnel est nécessaire, mais l’émotionnel est indispensable. Quand on innove, on manque de repères et il faut quand même avancer. Suivre son ressenti est alors indispensable.
- Bien penser sa vie, car personne d’autre ne le fera pour vous.
- Bien choisir les personnes avec qui vous travaillez ! Quand on est entrepreneur, on a la chance de pouvoir le faire.
- Utiliser sa passion comme un moteur de réussite. Soyez prêt à ne pas compter vos heures et vous vous amuserez beaucoup.
- Consacrer un maximum d’énergie à imaginer des solutions au changement climatique, on en a plus que jamais besoin !