En provenance du Japon et fondé par Bashô, le haïku, forme brève d’écriture, existe depuis quelques centaines d’années et peut se pratiquer dans plusieurs langues.
Loin d’avoir été malmené par les siècles, le haïku débarque en France au début du 20e siècle. Il s’agit alors d’une forme poétique révolutionnaire qui se distingue des genres précédents de la poésie française alors plus adepte des vers longs, nombreux et réguliers ou de la prose dont Baudelaire avait été le précurseur.
Techniquement, le haïku est un poème bref de 17 mores (ou 17 syllabes en français) qui s’organisent selon trois segments 5-7-5. Traditionnellement, le haïku doit absolument comporter un mot de saison ou « kigo », qui relie le poème à une certaine période de l’année et un mot de césure ou « kireji » comme « ô » qui permet d’exprimer un soupir, un silence, un instant d’émotion. Aussi, les fins des vers ne doivent pas rimer entre elles et l’auteur doit impérativement s’inspirer d’un instant vécu, l’intention étant d’exprimer la fugacité et l’évanescence des choses. Afin d’illustrer ce propos, un haïku du poète japonais Ryokan qui nous rappelle que, plongés dans nos existences, nous oublions parfois l’essentiel
Le voleur
A tout pris sauf
La lune à ma fenêtre
A cette occasion, Thierry Cazals (TC) et Dominique Chipot (DC), poètes français pratiquant le haïku, ont confié à « Réflexions » leur conception personnelle de ce mystérieux poème.
Qu’est-ce qui distingue le haïku des autres formes de poésie ?
TC : Le haïku n’a pas d’équivalent, il s’agit d’une forme d’écriture extrêmement brève et humble, employant des mots simples et portant sur des sujets concrets. Il est aussi composé de plusieurs niveaux de lecture qui sollicitent un travail d’interprétation et de sens de la part du lecteur. Alors que la poésie française magnifie le poète au travers d’un lyrisme remarquable et de figures de styles brillantes, le poète japonais cherche à se fondre et à s’effacer au sein de son oeuvre. Le summum de la sophistication au Japon, c’est l’extrême simplicité. « Le haïku est comme un galet poli par l’oeuvre humaine mais dont la trace de son passage a disparu, il existe alors en soi, dans toute sa perfection ».
DC : le haïku se distingue par sa force d’évocation et de suggestion. Il n’exprime pas directement une pensée ou un sentiment, il sollicite l’univers imaginaire du lecteur. Il se distingue par un retrait de l’auteur qui ne cherche pas à se mettre en scène au sein de son oeuvre. Le haïku est comme un entonnoir inversé, on part de petites choses du quotidien qui vont mener le lecteur à un large champ de sensations et de sens. « Le haïku, c’est l’art de transcender le banal »
Comment s’adapte-t-il à la langue française ?
TC : Je ne partage pas la pratique de certains poètes qui opèrent une transposition mécanique du haïku japonais avec un respect strict des règles. Le japonais est concentré et elliptique, alors que la langue française est beaucoup plus fluide. Il ne faut donc pas traduire « bêtement » mais s’adapter à la musicalité unique de la langue française.
DC : Il ne faut pas se cantonner aux règles techniques. Il faut se concentrer sur l’esprit du haïku et s’exercer à faire d’un non-événement un événement dans ce souci principal d’évocation. Il s’agit ici de privilégier le contenu au contenant.
Comment le haïku a-t-il évolué par rapport aux codes originaux ?
TC : Au Japon, le haïku a lui-même connu une évolution. A l’heure de l’ère Meiji et des premiers faits d’occidentalisation du Japon, Shiki, poète japonais et grand nom du haïku, propose des haïkus sur le thème du monde contemporain. Shiki emploie alors des mots modernes comme « dentifrice », qui ne manquent pas de choquer les poètes de son époque. Le haïku devient également politique à la suite des évènements d’Hiroshima et de Nagasaki. Le choix du thème n’est donc plus limité aux sujets de la nature et les règles techniques se sont assouplies.
DC : Bien que les règles se soient assouplies au Japon, le haïku y demeure tout de même assez traditionnel. Les poètes japonais sont notamment très attachés au mot de saison, qui pour les japonais possède une grande force de suggestion.
Que reste-t-il donc pour dire qu’il s’agit bien d’un haïku ?
TC : On a tendance à ne prêter attention qu’aux règles extérieures mais ce qui définit réellement le haïku ce sont ses règles internes, ses règles secrètes. Le haïku ne doit pas tout dire, son caractère elliptique doit inviter le lecteur à déplier le monde que l’auteur a pris soin de replier. Le message clé du haïku ne sera donc pas forcément exprimé. C’est une poésie où le silence est aussi important que les mots. En cela, le haïku est une incarnation typique de la culture japonaise où les échanges sont très implicites et le silence d’une grande valeur.
DC : Le haïku doit avant tout chercher à suggérer les sens et conserver une part de mystère. Le haïku parfait est celui qui confronte l’éphémère à l’éternel, le lieu où les contraires vont se relier.
Le haïku est souvent comparé à la photographie artistique, deux arts assez semblables dans la mesure où tous deux cherchent à magnifier un instant du quotidien. On assiste d’ailleurs à l’essor de la photo−haïku, qui est une forme d’art mariant une photographie et un haïku sur un même support. Dans cette forme, l’image interpelle le passant et le mène vers le haïku, un ailleurs qui doit être différent que celui représenté par la photographie.
A.B
Thierry Cazals : « Le haïku m’a reconnecté à la vie dans ce qu’elle a de plus insaisissable »
Thierry Cazals, diplômé de l’IEP d’Aix en Provence (Promotion 1983) et docteur en sociologie, pratique le haïku depuis ses 28 ans. Il anime depuis 1999 des ateliers de poésie dans les écoles et les bibliothèques. Le rire des lucioles (éditions Opale) et La volière vide (éditions L’Iroli) sont deux de ces récents recueils de haïkus. www.thierrycazals.fr
Dominique Chipot : « Il y a un avenir pour le haïku dès lors qu’on comprend qu’il n’est pas purement descriptif »
Dominique Chipot pratique le haïku depuis une dizaine d’années et a mené de nombreuses actions de diffusion du haïku parmi la communauté francophone. Il a dernièrement créé une association pour la promotion du haïku qui publie mensuellement une revue sur l’actualité du haïku intitulée « La Lettre au Haïku ». www.dominiquechipot.fr
Nous remercions Célia Clément pour ses photographies extraites de sa récente exposition « L’Instant Haïku » – www.celiaclement.com