Loin d’un déferlement de jeunes filles, les écoles d’ingénieurs voient tout de même leurs effectifs d’élèves ingénieures augmenter progressivement. La raison ? Plusieurs années de dispositifs à destination des élèves du secondaire et la valorisation des parcours de femmes scientifiques.
Diversité, handicap, mixité, les écoles d’ingénieur n’ont plus à rougir de promotions trop homogènes. Ces dernières années, elles ont travaillé à l’ouverture des études d’ingénieur et plus particulièrement à l’augmentation des effectifs féminins. Et leur travail commence à porter ses fruits ! Si la parité n’est pas encore atteinte ; les écoles accueillent désormais 25 % de jeunes filles, en moyenne. Quels dispositifs sont mis en place pour accueillir les futures têtes pensantes au féminin ? Réponses d’Efrei Paris, de l’ISAE-SUPAERO et l’Ecole polytechnique.
Des cellules spécifiques
Dans les trois écoles, des cellules et pôles axés sur la diversité ont été ouverts. A l’Efrei, Annick Fitoussi est Responsable du Pôle égalité des chances et diversité. Ce pôle créé en 2014 travaille sur trois thématiques : le handicap, l’égalité femmes / hommes et l’égalité sociale. A l’ISAE-SUPAERO, l’accent est mis sur l’inclusion des jeunes issus des quartiers défavorisés : « il y a un réel focus pour attirer les jeunes filles de ces quartiers », explique Caroline Bérard, Directrice des formations ingénieurs de l’ISAE-SUPAERO. Pour valoriser les études scientifiques et mettre en confiance des jeunes filles parfois frileuses, les écoles ont choisi de régler le problème à la source. Direction les établissements du secondaire !
Attirer dès le collège et le lycée
A l’Ecole polytechnique, le programme « X au féminin » a été lancé en 2014-2015. « Nous avons à cœur de monter des actions spécifiques pour les lycéennes. Nous organisons un camp et des visites autour des mathématiques. En tout, 6 000 jeunes sont impactés », raconte Alice Carpentier, Responsable du pôle Diversité et réussite. Pour aller toujours plus en amont, car « tout se joue en amont », l’X accueillera désormais des Troisièmes pour des stages d’une semaine. Passer par une association ou représenter les ingénieures dans des concours, c’est un autre choix fait par Efrei Paris via l’association Elles bougent « Des jeunes filles viennent témoigner dans les collèges et lycées. Nous participons également au concours Ingénieuses de la CDEFI (Conférence des Directeurs des Ecoles Françaises d’Ingénieurs) où nous avons gagné un certain nombre de prix ! », indique Annick Fitoussi.
A Efrei Paris, les jeunes filles se tournent plus particulièrement vers le bionumérique. « Pendant longtemps, les filles étaient peut-être plus frileuses vis-à-vis des techniques pures. Parfois, il faut secouer certaines filles et leur milieu familial joue énormément. Les jeunes filles issues de milieux sociaux très défavorisés sont très investies mais pas toujours encouragées », poursuit-elle. Chez nombre de jeunes filles, il manque intrinsèquement un modèle de représentation de femmes scientifiques. C’est pourquoi les écoles ont décidé de s’appuyer sur un réseau d’alumni et de professionnelles, ravies de témoigner de leur expérience.
Des alumni très investies
Les écoles ont choisi de miser sur l’expérience de femmes scientifiques, issues, ou non, de leurs promotions. « L’abolition ou du moins la déconstruction des préjugés quant à la réussite des filles sont dues au travail des femmes scientifiques qui ont commencé à s’affirmer avec plus d’audace dans le milieu professionnel et universitaire », affirme Annick Fitoussi. Cela implique une forte communauté d’anciens et des partenaires professionnels, notamment à l’X. « Nous avons également féminisé le personnel et nous faisons attention de représenter les femmes dans les supports de communication », précise Alice Carpentier. A l’ISAE-SUPAERO, c’est l’association ISA’Elles qui prend le relais. Elle est composée d’anciennes et actuelles étudiantes, qui se déplacent dans les lycées et les prépas. « Dans les classes prépas, nous insistons sur le fait qu’il y a l’embarra du choix pour du travail… car justement il y a peu de filles », précise Caroline Bérard. En partenariat avec le club étudiant ISA’Elles, le programme d’ouverture sociale OSE l’ISAE-SUPAERO a lancé récemment un Campus au féminin à destination des lycéennes. Au programme : ateliers sur la déconstruction des stéréotypes ou encore rencontres avec des ingénieures en poste.
La mixité des écoles d’ingés IRL A Efrei Paris, les jeunes filles ont atteint 25 % des effectifs d’élèves ingénieurs. L’ISAE-SUPAERO a connu « un gros boum en 2018. Les autres années on oscillait toujours autour des 16-17 %, cette année est exceptionnelle », explique Caroline Bérard. Même chose du côté de l’X, les effectifs sont en croissance depuis 2012 et ont atteint 22 %.
Des aspirations genrées Avec son équipe (une ingénieure de recherche et une sociologue), Manuelle Malot, Directrice de l’EDHEC NewGen Talent Centre, a publié une étude en mars 2019 intitulée « Les aspirations de carrières ont-elles un genre ? ». « Le NewGen est un centre d’étude plus que de recherche. Il a été créé à la demande des entreprises, déconcertées par la jeune génération de diplômés. Nous donnons des conseils aux entreprises et publions les études en open source », explique Manuelle Malot. L’étude a été réalisée en 2018 sur 2392 élèves en fin de prépa, âgés de 20 ans en moyenne. Résultat ? Des différences spectaculaires – et très cliché – entre les aspirations des filles et des garçons : « c’est incroyable, on avait du mal à la croire ! ». Les jeunes filles sont finalement attirées par les entreprises de taille moyenne, sont moins motivées par les questions de rémunération, se voient plus dans une ONG ou une association mais privilégient également des secteurs différents. Elles auront tendance à viser les secteurs des agences de communication/évènementiel et les médias/la culture quand les hommes leur préfèrent la banque/assurance et les cabinets de conseil. Aspirations caricaturales toujours, les jeunes femmes considèrent les services pour la vie quotidienne (crèche, pressing…) plus importants que les loisirs. « Les jeunes filles s’autocensurent. Elles sortent d’une enfance un peu naïve puis deviennent pragmatique. Leurs rêves sont rattrapés par la danse du ventre des boîtes qui embauchent et elles se tournent finalement vers la finance et le conseil. »