Les inégalités [sociales] les plus inacceptables sont celles qui durent

inégalités sociales
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Programmes égalité des chances, politique d’ouverture sociale, chaire inclusion… Les dispositifs visant à limiter différentes formes d’inégalités sociales dans les grandes écoles se multiplient ces dernières années. Mais si le principe général de réduction des inégalités fait consensus (objectif adopté à l’ONU en 2015), une question sous-jacente mérite réflexion : toute forme d’inégalité est-elle inacceptable ?

Inégalités et justice sociale

Dans son livre intitulé la Théorie de la justice (1971), le philosophe politique américain John Rawls propose un cadre d’analyse de cette question qui s’est imposé comme une référence dans nos démocraties contemporaines. Il explique que dans un système qui défend la liberté individuelle, on ne peut pas s’attendre à une égalité parfaite entre tous, mais que la société doit s’assurer, d’une part que la fortune des mieux lotis bénéficie aux moins bien lotis, et d’autre part que chacun ait les mêmes chances de devenir le mieux loti. C’est sur cette base théorique que repose la mise en place de mécanismes redistributifs (ex : impôts sur les revenus), mais aussi correctifs, là où des inégalités d’accès sont observées (ex : discrimination positive). Dans l’approche de Rawls certaines inégalités restent donc acceptables. Mais jusqu’à quel point ?

Lutter contre la persistance des inégalités sociales

Si l’on pense généralement cette question en terme d’ampleur acceptable, je souhaite appuyer ici sur une dimension moins souvent évoquée : la durée acceptable. En effet, comme le montre la théorie de la gestion des paradoxes, et notamment son application à la « soutenabilité sociale », ce qui génère le plus de frustrations au sein d’une population, c’est le sentiment que les mêmes schémas inégalitaires perdurent et se reproduisent au fil du temps, malgré la mise en place de mécanismes correctifs. C’est ce paradoxe qui érode la capacité à croire en une réelle égalité des chances, et qui créée un vif sentiment d’injustice, lequel finit même parfois par se manifester de manière violente. La crise des gilets jaunes ou les émeutes en banlieue en sont deux exemples. Ainsi, si l’existence d’inégalités peut être considérée comme compatible avec la justice sociale, c’est la persistance de schémas inégalitaires qui ne l’est pas.

Or cette persistance est souvent le résultat de mécanismes socio-économiques complexes et systémiques. Pour les enrayer, l’émergence d’innovations sociales disruptives joue un rôle déterminant, comme nous l’avons montré dans une recherche sur le lien entre innovation sociale et soutenabilité sociale. Et si les personnes les mieux placées pour imaginer et porter ces innovations sont celles qui subissent au quotidien des schémas inégalitaires, d’autres acteurs ont également un rôle à y jouer, à commencer par les grandes écoles. 

Quels modes d’action pour les grandes écoles ?

En tant que formatrices des managers de demain, ces dernières peuvent en effet agir au moins de deux manières. D’abord, en facilitant l’accès à des personnes sous-représentées, de manière à ce qu’elles puissent acquérir le capital humain, social et symbolique nécessaire au développement d’innovations sociales. Ensuite en contribuant à faire évoluer les mentalités quant au rôle des entreprises dans la société, et notamment en matière de lutte contre les inégalités. Exit les modèles de management essentiellement centrés sur la maximisation du profit, qui jouent un rôle significatif dans la reproduction des inégalités; Cap sur les modèles d’entreprises qui s’attachent structurellement à combiner valeurs égalitaires et performance, à l’image de l’ESS ou de l’entrepreneuriat social. De telles évolutions voient le jour dans beaucoup d’écoles, mais il reste du chemin à parcourir. C’est tout le sens de mon engagement personnel auprès de grandes écoles, tant par la recherche, que par l’enseignement et par la création de jeux de sensibilisation au management responsable.

inégalités sociales

Par Fabrice Periac, professeur associé à Paris School of Business, Président-fondateur S-Team experience SAS (jeux de sensibilisation au management responsable)

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