Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF), ouvre la 10e édition des JNI 2023 (Journées Nationales de l’Ingénieur) le samedi 4 mars avec un colloque inaugural placé cette année sous le thème – éminemment d’actualité – de la transition énergétique et écologique. Accessible sur YouTube de 9h à 12h, cet événement emblématique pour la communauté des ingénieurs de France attend 15 000 participants.
Organisées sous le haut patronage du Président de la République Emmanuel Macron, les JNI 2023 s’ouvriront donc autour de débats sur les questions du nouveau nucléaire, de la décarbonation, du déploiement de l’hydrogène, de la place stratégique des minéraux en termes de souveraineté et d’indépendance énergétique ou encore, de la façon d’aborder la transition écologique et énergétique dans l’éducation, avec des acteurs industriels et de l’Enseignement supérieur. Ce colloque inaugural sera clôturé par Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie. Cette année encore, les JNI se déroulent en lien avec la Journée Mondiale de l’Ingénieur (World Engineering Day – WED), placée sous l’égide de l’UNESCO et organisée par la Fédération Mondiale des Organisations d’Ingénieurs (FMOI). Elles s’illustrent ainsi comme une occasion privilégiée pour rendre les ingénieurs français plus visibles à l’international.
A l’occasion des JNI 2023, Marc Rumeau président d’IESF, revient sur les grands enjeux qui se posent aujourd’hui à la communauté des ingénieurs de France.
Quel message les JNI 2023 souhaitent adresser aux ingénieurs sur la transition énergétique et écologique ?
Qu’ils y ont toute leur place ! Je pense qu’il ne faut pas succomber à la panique et aux discours ambiants mais faire preuve, vis-à-vis de ces questions, d’une approche pragmatique et rationnelle d’ingénieur. Autrement dit, définir les problèmes et distinguer les alternatives.
Une approche qui remet les ingénieurs au cœur du débat ?
Absolument. Et c’est là une question absolument centrale. En tant qu’ingénieurs et / ou industriels, nous avons beaucoup de choses à dire sur ce qu’on pourrait faire autrement et mieux. Or, nous sommes quasiment absents du débat public. En effet, les débats médiatiques sur les questions de transitions énergétique et écologique font intervenir des gens pour, des gens contre, mais jamais celles et ceux qui parlent du comment, autrement dit les ingénieurs. Il ne faut pas oublier que les ingénieurs ont accompagné toutes les transitions industrielles depuis deux siècles : ils connaissent le terrain et ils ont une voix à porter dans les transitions contemporaines !
Et ce alors même que la France manque d’ingénieurs.
La dernière enquête d’IESF atteste d’un taux de chômage extrêmement bas chez les ingénieurs en 2022, à 3.2 %, un des plus bas jamais enregistrés. On comptait 1 191 000 ingénieurs en France fin 2021, un chiffre en augmentation de presque 3 % en un an. L’emploi des ingénieurs est aussi marqué par 43 000 nouveaux diplômés (dont 28 % de femmes) en 22 %. Un chiffre à relativiser face à l’effort de réindustrialisation de la France qui en requière au moins 55 000 ! Notre enquête indique d’ailleurs que 20 % des entreprises ont eu des difficultés à recruter sur tous les profils ingénieurs, un niveau inégalé depuis huit ans. Parmi les principales difficultés évoquées : les exigences salariales trop élevées des experts en IA ou en cybersécurité, la pénurie de certains profils d’experts techniques ou des contraintes géographiques pour les ingénieurs de production par exemple. De fait, les profils les plus recherchés sont encore aujourd’hui les ingénieurs d’études, mais également les chefs de projet et experts en numérique.
« L’industrie c’est l’avenir et il n’y a pas d’avenir sans industrie »
Marc Rumeau, président d’IESF
Quels sont les grands secteurs en tension en 2023 ?
Tous les secteurs sont touchés par la pénurie aujourd’hui. Y compris les secteurs traditionnels comme la mécanique, qui a besoin de nouvelles compétences (IoT, manufacturing 4.0, intelligence artificielle appliqué à la production etc.) pour prendre le virage de la mécanique 4.0. Idem pour l’industrie nucléaire. Si sa relance a été déclarée par le Président Macron, ilmanque aujourd’hui 5 000 ingénieurs compétents dans le nucléaire. On pourrait aussi parler de l’aéronautique, en forte demande d’ingénieurs pour être accompagnée dans sa décarbonation et sa digitalisation (éco carburants, hydrogène, cybersécurité, nanomatériaux, nouvelles technologies de matériaux requérant des métaux rares etc.). Mais la question sous-jacente derrière tout cela est la suivante : nos grandes écoles et universités sont-elles prêtes et équipées pour former les ingénieurs aux nouvelles technologies répondant à ces nouveaux besoins ? Elles vont devoir former les formateurs qui formeront ces jeunes, s’organiser et se structurer pour former à ces nouveaux métiers et développer de nouvelles pédagogies prenant en compte les nouvelles réalités des entreprises, comme le télétravail par exemple. Tout cela demande d’agir vite !
>>>> Pour aller plus loin sur les questions évoquées lors des JNI 2023 : Pénurie de talents ingénieurs, comment y remédier ?
Mais pour que plus de jeunes se dirigent vers l’industrie, il faudrait aussi que l’industrie jouisse d’une meilleure image ?
Tant qu’on pensera que l’industrie se résume à une usine à la Zola, nos jeunes n’auront effectivement pas envie de se diriger vers l’industrie. Quand je vais dans les collèges et les lycées pour faire la promotion des métiers d’ingénieurs, je fais souvent face à des parents qui me disent qu’il ne faut pas être ingénieur en France car il n’y a plus d’industrie dans notre pays. Or, je le dis et le répète : l’industrie c’est l’avenir et il n’y a pas d’avenir sans industrie. A nous de créer de la vraie innovation qui se traduit par des produits et services développés en France, ou au moins en Europe. Donnons envie à nos ingénieurs de rester en France et de travailler dans l’industrie plutôt que dans des grands cabinets de conseil !
Les JNI 2023 sont aussi l’occasion de pointer du doigt la question de la féminisation des métiers d’ingénieurs et de scientifiques. Où en est-on aujourd’hui ?
La réalité est la suivante : nous avons perdu 28 % des filles dans les filières scientifiques et 68 % dans les filières maths expert. C’est calamiteux et catastrophique. Et cela se répercute évidemment sur les promos 2022 de nos grandes écoles d’ingénieurs, y compris celles (rares) qui dépassaient les 50 %. Aujourd’hui nous plafonnons autour de 28 %. Et ce n’est que le début : la suppression d’une heure de technologie en classe de 6e est délétère car les cours de technologie sont un des derniers moyens de toucher au monde de la science et de la technique pour les collégiennes et les collégiens. Il faut vraiment faire changer les discours et les paradigmes, sinon on n’y arrivera pas !
Les JNI 2023 sont également le moment pour faire changer les paradigmes justement ! Quel est votre message en ce sens ?
Je m’adresse d’abord aux ingénieurs : témoignez. Prenez par exemple quelques minutes pour réaliser une vignette vidéo présentant votre filière et votre rôle pour la faire bouger. Je m’adresse aussi aux collèges et aux lycées : aidez vos conseillers d’orientation à mieux connaître nos filières. Proposez-leur par exemple de passer des semaines d’immersion dans nos entreprises. Et je n’oublie pas bien sûr de m’adresser aux jeunes : réalisez le ROI incroyable que représente une formation d’ingénieurs. 83 % des jeunes diplômés de nos écoles débutent en CDI, avec un salaire entre 36 et 40 000 euros et dans des métiers où ils ont tout pour s’éclater !