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Les stratégies disruptives gagnantes décryptées par deux professeurs de MBA

Les stratégies « à la papa » ont vécu. Il faut innover et même disrupter pour espérer faire réussir son entreprise. L’incertitude, la complexité et la rapidité des changements règnent en maîtres. No choice pour les leaders, innover ou disparaître ! Deux professeurs de MBA parmi les meilleurs, Laurence Lehmann Ortega à HEC Paris et Nathan Furr à l’INSEAD, nous livrent quelques secrets des leaders et entreprises qui réussissent grâce à des stratégies disruptives.

 

« Le monde de changements rend la tâche de plus en plus complexe pour les entreprises et leurs leaders », attaque d’emblée Nathan Furr, assistant professeur en stratégie à l’INSEAD spécialiste de l’incertitude. « Le plus important est de penser les business models de demain pour ne pas se laisser doubler par de nouveaux entrants », abonde Laurence Lehmann Ortega, professeure affiliée en stratégie et politique d’entreprise à HEC Paris. Préparer demain demande de réfléchir à des modèles disruptifs. « Ils peuvent être nouveaux ou exploiter autrement une stratégie business actuelle » détaille la spécialiste des innovations radicales portant sur des BM d’entreprises établies.

De la dynamique entre exploitation et exploration

Tout le problème des entreprises existantes, contrairement aux jeunes startups qui par définition partent d’une feuille blanche et peuvent donc inventer à tout va, c’est de faire tourner le business tout en inventant celui de demain. « C’est complexe, car les équipes ont le nez dans le guidon. Or, inventer prend du temps, suppose de prendre du recul. Il faut tester, poser des jalons, expérimenter », résume la professeure d‘HEC. Cela ne rapporte en outre pas d’argent à court terme… Cette contrainte est bien souvent résolue en déconnectant l’exploitation de l’exploration. « Les meilleurs disrupteurs n’ont pas de comptes à rendre, ni d’urgence », note Laurence Lehmann Ortega qui prévient aussi que « pour être acceptée et déployée, l’idée disruptive doit créer une dynamique entre exploration et exploitation. » La légitimité de la personne qui porte la disruption est donc essentielle.

La culture de la gagne et de l’innovation

Autre frein pour innover, le statu quo, l’habitude et la routine stratégique qui induisent une peur du changement. « Pour lever ce frein, il faut que les personnes s’autorisent à innover, à penser autrement, souligne Nathan Furr. Adopter cette posture est très lié à la culture de l’entreprise, si elle promeut ou non l’innovation, le risque, le droit à l’erreur, laisse de la place pour révéler sa créativité. » Les entreprises ayant une culture tournée vers le long terme sont très habiles pour innover. « Par exemple, chez Michelin, entreprise aux valeurs fortes et ancrées, c’est l’affaire de tous de préparer demain » illustre Laurence Lehmann Ortega.

Disrupter le futur

Nathan Furr raconte aussi que certaines entreprises ont bien compris l’enjeu de cette liberté d’innover, créant des postes de Chief experimentors ! « Leur rôle est de développer l’habileté à créer et à inventer dans les équipes, très complémentaire de celui des décideurs. » Autre moteur de la disruption, cette fois-ci chez Linkedin, le Chief hacker in residence. Son rôle : casser le modèle existant et trouver celui de demain avant les concurrents ! Le professeur de l’INSEAD a imaginé un exercice très efficace, le récit de science-fiction. « Je demande aux leaders de décrire ce que sera leur entreprise dans 10 ans. Cet outil oblige à penser ce qui est possible ou pas et à imaginer les actions qui en découlent. » La vision est ainsi posée ! Et logiquement, la prochaine étape est de convaincre les équipes. « Pour cela nous faisons du mapping, ciblant les habitudes qui devront être surmontées pour réaliser la vision » précise l’expert. Il complète l’exercice par l’usage des neurosciences pour mesurer les réactions émotionnelles et rationnelles face à ces prototypes du futur. « Nous mesurons ainsi s’ils inspirent la confiance, convainquent, s’il faut creuser » conclut-t-il.

Ces entreprises qui savent disrupter

Amazon. L’entreprise existe depuis 22 ans seulement et emploie 600 000 personnes dans le monde ! Son secret stratégique ? Avoir switché d’une logique b to c à une logique b to b. « Au départ, c’était un acteur grand public de vente online, explique Nathan Furr. L’idée géniale a été de vendre son expertise de la vente sur internet à d’autres entreprises. C’est ainsi qu’est né Amazaon web service. » Amazon a su considérer son expertise d’un autre point de vue. L’idée est née lors d’une réunion entre senior leaders. Ils se sont posé cette question : à quoi sommes-nous bons ? Réponse unanime : le e-commerce ! En creusant, ils ont déterminé qu’ils savaient mieux que les autres opérer le système internet. Un nouveau business était né : vendre cette expertise à d’autres pour booster leurs ventes online.

BMW a su faire de l’innovation incrémentale elle aussi. « Cette innovation consiste à changer une manière de faire habituelle », décrypte Laurence Lehmann Ortega. BMW a toujours vendu des voitures ? Qu’à cela ne tienne, désormais elle vendra autrement. « Le constructeur a misé sur le digital pour personnaliser les ventes. BMW construit tout simplement à la demande ! La connectivité lui permet aussi d’offrir des services nouveaux comme le suivi à distance des véhicules. » BMW a aussi lancé Drive now, service d’automobile en libre-service. L’entreprise possède les véhicules, engage le capital et les loue à l’usage. Le business reste modeste mais surtout il prépare demain, contrant de nouveaux entrants sur ses marchés.

Alenvi, une entreprise exemplaire qui a donné du sens et de la liberté au métier d’aide-soignante. Les créateurs (formés à HEC) ont constaté à titre personnel le paradoxe de ce métier exercé auprès de personnes âgées ou dépendantes. « On leur confie des personnes chères, les clés de la maison, et elles sont mal rémunérées, surveillées et minutées, à en devenir des robots, explique Laurence Lehmann Ortega. Alenvi a créé un statut libéral d’autogestion, des groupes locaux se forment, définissent leur agenda ensemble, se cooptent. Plus besoin de manager, elles sont autonomes, motivées, mieux rémunérées et font leur auto-promo sur les réseaux sociaux ! » Ce modèle disruptif est très attractif et déjà une dizaine de réseaux ont été montés en France.