« S’il reste du chemin à faire, on ne lâche rien sur le terrain de l’inclusion du handicap ! ». Sophie Cluzel Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des Personnes handicapées revient sur les dernières actions emblématiques du Gouvernement. Interview réalisée par Clarisse Watine
Une école pleinement inclusive, votre objectif pour 2022 ?
Nous bâtissons un grand service public de l’école inclusive avec Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal. Quantitativement, c’est un vrai succès. Le chemin de l’école est inscrit dans l’esprit des familles et plus de 100 000 élèves ont été accueillis depuis 2017. En 2020, 385 000 élèves en situation de handicap étaient scolarisés en « n milieu ordinaire » au primaire, au collège et au lycée.
Nous insistons aussi sur la formation avec le dispositif Cap école inclusive. Une plateforme qui s’adresse à tous les enseignants pour favoriser la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap. Des ressources pédagogiques aujourd’hui disponibles en open data. Pour aller encore plus loin, un module de formation initiale de 25h sur l’école inclusive sera mis en place dès la rentrée 2021, afin d’outiller les enseignants face aux spécificités de chaque enfant et aux adaptations nécessaires. Des aménagements et des droits qui doivent suivre automatiquement les élèves tout au long de leur parcours scolaire.
Est-ce aussi un grand pas pour « l’enseignement supérieur inclusif » alors que les jeunes en situation de handicap ne représentent que 2 % des élèves des grandes écoles ?
Ce chiffre ne concerne que les étudiants qui ont déclaré leur situation de handicap, ils sont donc en réalité plus nombreux. Mais il reste effectivement du chemin à faire et nous ne lâchons rien ! Si les grandes écoles et les universités se sont emparées du sujet de l’inclusion du handicap (tutorat, aide à la prise de notes, adaptation des locaux, accessibilité du bâti…), nous travaillons également sur l’accompagnement à la vie sociale et au logement des étudiants et sur une accessibilité globale des savoirs (LSF, logiciels de type AVA pour favoriser la participation en cours…). La création du Comité National de Suivi de l’Enseignement Supérieur Inclusif est aussi une étape importante. Notre objectif : augmenter le choix de parcours des étudiants, en université mais aussi en grande école.
Comment accompagner l’insertion sur le marché de l’emploi des personnes handicapées, impactée par la crise Covid ?
Durant cette année de confinement, de restriction du présentiel en cours et dans les stages, nous avons mobilisé tout l’écosystème. Les employeurs d’abord, à travers le Manifeste pour l’inclusion des personnes handicapées dans la vie économique qui compte déjà 140 entreprises signataires engagées sur 10 critères concrets, dont les stages, l’apprentissage et l’emploi. Mais aussi les organisations syndicales et patronales et l’ensemble des associations venant en appui.
Par ailleurs, le Plan de Relance flèche 4 000 euros d’aide à l’emploi pour toute embauche d’un collaborateur handicapé pour un CDD de plus 3 mois ou un CDI (sans limite d’âge). 10 000 contrats ont déjà été signés, dont 60 % en CDI. Nous fléchons aussi 8 000 euros d’aide pour tout contrat d’apprentissage d’un jeune en situation de handicap, auxquels s’ajoutent les aides spécifiques de l’Agefiph et le FIPHFP. 6 100 contrats de contrats supplémentaires ont été signés cette année, soit + 70 %. Ces chiffres sont encourageants : les personnes en situation de handicap ne sont pas la variable d’ajustement de la crise économique.
« Je le dis haut et fort : embaucher un apprenti en situation de handicap ne coûte rien à une entreprise ! » – Sophie Cluzel Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées
Selon l’étude Michael Page / Agefiph « Travailleurs handicapés : quelle réalité en entreprise ? », 66 % des entreprises considéraient en 2020 que le recrutement des personnes handicapées est complexe. Prouvez-leur le contraire !
La complexité ne réside que dans les préjugés, qu’il faut vaincre. Nous avons encore en France une vision très restrictive du handicap. Alors que 80 % des handicaps sont invisibles, 80 % des représentations du handicap se résument au fauteuil roulant et à la canne blanche.
Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut nier le besoin d’accompagnement des collaborateurs handicapés et de leurs employeurs. C’est pour cela que nous consacrons 15 millions d’euros au job coaching via le Plan de Relance. Un accompagnement pérenne à l’insertion et au maintien dans l’emploi, financé par l’Etat, totalement gratuit pour l’entreprise et assuré par des spécialistes des différents troubles.
Seuls 10 % des actifs en situation de handicap ont le statut cadre (vs 19 % de moyenne nationale). Comment expliquez-vous ce gap ?
C’est le même processus qui conduit aux inégalités entre les femmes et les hommes. Nous mettons donc en place une politique volontariste reposant sur la montée en qualification (via l’enseignement supérieur et la formation professionnelle) et la publication des résultats des entreprises en matière d’inclusion. Cela nécessite pour les entreprises de lever le plafond de verre, de ne pas transformer une RQTH en porte vers un placard et d’accompagner la performance de leurs collaborateurs. Avec un taux moyen de 3.8 %, le taux d’emploi des personnes handicapées augmente, mais les entreprises doivent accélérer pour atteindre l’obligation de 6 %. Je leur rappelle d’ailleurs que la seule charge sociale qu’elles peuvent éviter de payer c’est la contribution à l’Agefiph… il suffit de recruter un collaborateur en situation de handicap. D’autant qu’afficher les résultats d’une politique RH inclusive est un message fort à destination des jeunes qui cherchent du sens dans leur travail.
La prochaine édition des DuoDays aura lieu le 18 novembre 2021. Comment convaincre un top manager d’y participer ?
C’est une porte d’entrée pour mettre sur la table votre politique d’embauche des personnes en situation de handicap, un vrai levier de dépassement de l’ensemble des collaborateurs et de performance de l’entreprise, ça permet de découvrir des situations de handicap auxquelles vous n’auriez jamais pensé, ça peut aider certains collaborateurs handicapés à franchir le pas de la RQTH… Surtout, cela vous permettra de mettre en avant les différences et de vous enrichir. Et tout cela pendant une journée, sans aucune prise de risque. Alors inscrivez-vous, inscrivez-vous, inscrivez-vous !
Je suis un jeune en situation de handicap et j’hésite à poursuivre mes études au-delà du bac. Votre message pour m’aider à franchir le pas ?
Le même message qu’à tout jeune qui se pose des questions. Dépassez le poids du « c’est pas pour toi » qui pèse sur vos épaules. Aujourd’hui, nous avons progressé sur tous les plans : la technologie permet de compenser nombre de situations de handicap et beaucoup ont pris conscience que notre richesse, c’est la différence. La clé du marché du travail c’est la qualification, alors allez-y, montez en qualification. Et surtout, n’hésitez pas à parler de vos difficultés. Car en travaillant sur votre environnement, vous vous mettez en situation de performance… et vous pourrez découvrir que tout est possible. N’oubliez pas non plus qu’Erasmus est fait pour vous ! Nous travaillons d’ailleurs avec Frédérique Vidal et Jean-Yves le Drian pour permettre ces échanges dans des conditions optimales.
Le conseil de Sophie Cluzel à un jeune en situation de handicap qui cherche son premier job
Faites de la politique RH inclusive d’entreprises engagées, une force. Osez parler de votre handicap et l’inscrire sur votre CV. Expliquez votre situation, son impact, les compensations nécessaires et surtout faites-vous accompagner si vous ne vous sentez pas encore assez armé pour ça.