Amphis poussiéreux, tableaux noirs oubliés, cahiers portés disparus : les cours « à l’ancienne » ne sont résolument plus en vogue. Aujourd’hui, la tendance est aux espaces de coworking, murs écritoires et écrans interactifs. Un style pédagogique nouveau adopté par les grandes écoles et les universités françaises. A ce titre, les lieux de transmission du savoir sont repensés et relookés. Le campus de demain se construit dès aujourd’hui ! Focus.
Quand on passe les portes d’emlyon business school à Paris, c’est l’effet « waouh ». Les couleurs sont chaudes, les pièces lumineuses et les espaces bien équipés. Implanté dans la capitale française depuis 2016, le campus de la business school reflète son ambition : former des early makers. Le lieu met à disposition des innovateurs tout ce qu’il leur faut pour concrétiser leurs projets. Fab Lab, Learning Hub, robot de téléprésence, bulles de travail, incubateur d’entreprises… Jacques Chaniol, directeur du campus et directeur du global BBA, le présente comme « un point de rencontre entre différents publics (étudiants, cadres, startupers, alumni, entreprises …) et un concentré d’expérientiel. Seulement sept salles de cours ici ! » Sur une surface de 5 500 m², c’est peu en effet.
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Ce qui n’est pas pour déplaire aux étudiants. « Ce campus est un vrai espace professionnel. Nous avons accès à des salles de réunion et des espaces de coworking. Cela nous prépare déjà au monde du travail », témoigne Olivier Fourets, étudiant en Executive MBA, séduit par l’originalité d’emlyon à Paris. « C’est un campus moderne, fonctionnel et très ouvert. Cela se voit qu’il a été pensé pour favoriser l’échange, le partage et la convivialité avant tout », ajoute un de ses camarades, Lucien Kancel. Cet édifice, c’est l’incarnation du campus au service de l’expérience étudiante. Et ce n’est pas le seul. Comment les campus se sont-ils métamorphosés ?
Que le changement soit
Rien n’est permanent, sauf le changement. Surtout chez les étudiants ! Les jeunes générations évoluent inexorablement avec leur temps. Les nouvelles technologies ont transformé leurs usages et les méthodes d’apprentissage au passage. Dopés à l’innovation, ils sont de plus en plus réfractaires à la bonne vieille école façon Jules Ferry. Les pratiques pédagogiques doivent aussi évoluer.
Digital natives certes, mais il ne suffit pas de les faire travailler sur ordinateur pour satisfaire leurs attentes. D’après plusieurs études instiguées auprès des principaux concernés, la digitalisation n’est pas leur principale demande. Face aux sollicitations électroniques du quotidien, ce qu’ils souhaitent avant tout ce sont des moments d’échanges déconnectés qu’ils n’ont pas en dehors de leur formation.
Alors que tout se dématérialise, l’interactivité est plus que jamais de mise. « Dans mes cours, j’ai remarqué que les élèves utilisent les technologies au début mais finissent toujours par préférer les murs écritoires qui permettent de brainstormer ensemble », donne comme exemple Laurent Jeannin, enseignant-chercheur à l’université de Cergy-Pontoise et titulaire de la chaire Transition² : Des espaces en transition à la transition des espaces éducatifs. D’après Florence Kohler, chef de projet à la Mission Expertise Conseil auprès des établissements au Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, « c’est indéniablement l’ère du collaboratif avec des étudiants qui deviennent acteurs et participent au co-design des cours ou de l’aménagement des espaces. Ainsi, les campus tendent à devenir des wiki-campus construits à partir de l’ensemble des interactions individuelles. »
Dans ce contexte, les lieux éducatifs actuels sont devenus caduques. C’est impératif : il faut intégrer ces nouveaux enjeux du numérique et du participatif. L’impact de l’agencement spatial ne doit pas être sous-estimé. Le lieu dynamise les façons de travailler et contribue à créer un esprit positif et convivial. Un environnement agréable peut même conditionner la réussite. « C’est forcément mieux d’être dans un canapé confortable que sur une vieille chaise en bois ! Cela motive plus, on se concentre mieux et on est plus à l’aise forcément. Les étudiants, en quête de sens, ont besoin d’espaces protecteurs qui favorisent leur bien-être », explique Laurent Jeannin. Passant de lieux de travail à lieux de vie, université et grandes écoles se métamorphosent progressivement.
Et le changement fût
Décloisonnement, digitalisation, équipements de pointe, les campus changent de visage. Ces nouveaux lieux design au service de l’apprentissage sont plus collaboratifs, ouverts et connectés. Et pour cause, ils sont centrés sur l’utilisateur. En effet, l’expérience seamless peut aussi s’appliquer dans l’enceinte scolaire pour que l’accomplissement professionnel et personnel de l’apprenant soit garanti. L’étudiant est roi ! Son royaume se compose aujourd’hui de mobiliers modulables qui s’adaptent à ses différents modes de travail, de salles de conception et de prototypage, d’imprimantes 3D, de wifi à volonté, de tablettes tactiles… Super-équipés et super-adaptés. L’aménagement est optimisé de façon à être cohérent et à correspondre au parcours étudiant.
Dans cet esprit, l’EDHEC Business School fait appel à un scénographe pour son projet « Share & Care campus » à Lille. « Nous avons fait appel à un scénographe pour repenser notre campus afin d’optimiser le parcours de l’étudiant sur le campus. On pourrait faire le parallèle avec un enchaînement de décors, à la fois différents et harmonieux, qui permettent de vivre différents moments uniques d’expérience. Le campus sera tout à la fois digital et bienveillant, lieu de partage et d’inclusion», présente Anne Zuccarelli, directrice de l’expérience éducative.
C’est ce que le campus ARTEM a fait. Ouvert en 2012, il réunit les trois écoles alliées : Mines Nancy, ICN Business School et l’Ecole nationale supérieure d’art et de design de Nancy. Pour Alexis Mauzé, élève-ingénieur en 1ère année à Mines Nancy et nouveau président du BDE 2018-2019, « le campus est bien aménagé, agréable et propice à la bonne ambiance. Il reflète bien l’ouverture d’esprit et le partage, valeurs phares de l’alliance ARTEM. Cela montre qu’être étudiant c’est aussi être formé sur le plan humain ».
De la Burgundy Business School à l’ISCOM, en passant par le site de Jussieu de Sorbonne Université, nombreux sont les campus qui rénovent et réaménagent leurs locaux. Mention spéciale à INP Toulouse, qui a remporté l’appel à projet « Conception et développement d’un écosystème de soutien et d’accompagnement des équipes à la transformation des pratiques pédagogiques et numérique » du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. L’école d’ingés construit pour la rentrée 2018 un amphi ultra-connecté (chaises rotatives, murs d’écrans, boîtiers de vote …). Unique en France ! Cette montée en gamme des établissements du sup’ booste et inspire la créativité, la qualité de vie et l’interaction, favorisant le développement de pédagogies alternatives.
(Dé)formation ?
Les espaces ne sont pas les seuls à être rénovés. Les méthodes d’apprentissage aussi prennent un coup de frais. D’un enseignement transmissif à participatif, les innovations pédagogiques se développent, hors des sentiers battus. Retours d’expérience de trois professeurs :
Twitter en cours – Gilles Certhoux, professeur en entrepreneuriat et marketing à Audencia Business School « Il y a cinq ans, j’ai proposé à mes étudiants d’utiliser Twitter en cours. L’objectif était de leur permettre d’interagir en direct pendant la présentation d’un groupe de son projet d’entrepreneuriat. Ils pouvaient poser leurs questions en live. J’ai utilisé Twitter une année seulement : c’était trop « lourd » à cause de la création de comptes et les problèmes de connexion. Mais cet outil a permis plus d’interactivité, de réactivité et d’engagement.»
Gamification – Hélène Michel, professeur de management et innovation à Grenoble Ecole de Management « Depuis 2 ans, nous avons créé au sein de l’école un espace de jeux appelé « Playground » dans lequel tout le monde est invité à jouer, créer, échanger et surtout apprendre : cartes, ateliers de bricolage, lego, logiciels de développement de jeux … En jouant, les étudiants modélisent leur pensée et améliorent ainsi leur réflexion sur des sujets complexes. Ils deviennent plus actifs et impliqués dans le processus d’apprentissage. »
Casques de réalité virtuelle – Alain Goudey, professeur de marketing et directeur de la transformation digitale chez NEOMA Business School « Grâce aux casques de réalité virtuelle, on favorise une approche pédagogique expérientielle. En immersion, c’est une mise en situation professionnelle plus rapide qu’un stage ! Cette expérience plaît beaucoup aux étudiants au point que l’on me demande des heures de cours supplémentaires. Quand ils prennent plaisir à apprendre, ils sont plus motivés et attentifs. Ils mémorisent mieux aussi. »
Retour d’expérience sur l’étude de cas en réalité virtuelle en vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=_SSRXg215xQ
Espaces en voie d’expansion
« Même les halls deviennent des espaces d’apprentissage informels où les étudiants peuvent échanger, travailler, déjeuner, se poser à partir du moment où il y a du wifi, des prises et du mobilier confortable. Il faut penser pluri-usages », conseille Florence Kohler. « L’hybridité c’est la clé : mélanger les activités et les publics donne une âme au campus. Faire ensemble crée une dynamique nouvelle d’interactivité et de sérendipité », surenchérit Thierry Picq, directeur académique d’emlyon. Transformer les espaces de travail, c’est un big bang d’idées et de potentialités. Pour attirer de nouveaux étudiants et se démarquer, les écoles et les universités rivalisent d’imagination dans la conception de leur campus. Elles pensent le changement. Toujours au service de l’étudiant ! Alors heureux les profitants ? « Si je pouvais rester 24h sur 24 sur ce genre de campus tellement agréable, je le ferais ! », sourit Kidme Ouedraogo, étudiant ravi.