On ne compte que 24 % de femmes ingénieures. Alors que l’industrie française et européenne n’a jamais eu autant besoin de compétences scientifiques et techniques, les femmes sont encore trop peu nombreuses à faire ce choix. En cause : une orientation genrée toujours drivée par des stéréotypes. Si la situation est préoccupante, des initiatives se développent dans le monde éducatif et professionnel pour faire bouger les mentalités et les réalités. On fait le point.
Carrières en sciences : l’orientation est-elle toujours genrée en 2024 ? La dernière enquête Elles Bougent-OpinionWay publiée le 23 septembre dernier aurait pu remplacer cette interrogation par une phrase affirmative. Car le constat est là : les femmes sont de moins en moins nombreuses à s’orienter vers une carrière scientifique ou technique.
Orientation genrée : un risque réel pour l’industrie et l’économie
« Les stéréotypes de genre influencent dès l’enfance l’orientation des filles. Il y a un manque cruel de modèles féminins dans toutes les strates de la société (dans les entreprises mais aussi dans les médias, les dessins animés etc.) qui renforce l’idée que ces filières ne sont pas destinées aux femmes. Un sentiment renforcé par un environnement industriel pas toujours inclusif, qui dissuade les filles de persévérer » explique Amel Kefif, directrice générale de l’association Elles Bougent. Et ce alors même que la plus-value de la féminisation de l’industrie est réelle. « C’est un lieu où on crée des solutions techniques, efficaces, à moindre coût, pour répondre à un besoin client. Plus de femmes dans l’industrie, c’est plus de confrontation de points de vue et donc, plus d’innovation. Il s’agit également d’un enjeu marketing : puisque les femmes sont prescriptrices d’achat, il est essentiel que les produits soient aussi conçus par elles. Plus de femmes dans l’industrie c’est donc une question de posture, un enjeu business, mais aussi un enjeu de marque employeur de plus en plus crucial pour les entreprises » ajoute Valérie Brusseau, présidente de l’association.
Avis aux entreprises : plus de féminisation = + de rentabilité et + de durabilité
Sans compter que les femmes seraient aussi un véritable atout en matière de rentabilité opérationnelle et de RSE pour leur entreprise. Et ce à tous les niveaux de la hiérarchie, comme le constate l’étude 2024 de l’Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises. Celle-ci atteste que la rentabilité opérationnelle et la responsabilité environnementale sont même plus corrélées à la féminisation de l’encadrement et à la féminisation des effectifs qu’à la féminisation du ComEx. Quant à la responsabilité sociale, elle est moyennement corrélée à la féminisation du ComEx, intimement liée la féminisation de l’encadrement et encore plus à la féminisation des effectifs. Féminiser son entreprise est donc sans doute aujourd’hui un des meilleurs leviers pour répondre aux grands enjeux des transitions sociales, sociétales et environnementales.
Spoiler alert : oui les filles aiment les maths !
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en termes de féminisation des carrières scientifiques et techniques, les marges de progression sont grandes ! L’enquête Elles Bougent-OpinionWay indique en effet que 82 % des femmes actives (ingénieures et techniciennes) et des étudiantes (futures ingénieures et techniciennes) se souviennent avoir été confrontées à l’école à des stéréotypes de genre durant leur scolarité. Parmi les préjugés et commentaires qu’elles ont le plus entendus : « les filles sont plutôt faites pour les études littéraires », « les filles aiment moins les maths que les garçons » et même « les filles sont moins compétentes en maths » ou « les filles ne sont pas faites pour les maths ». Et ce alors même qu’elles ont un vrai goût pour les sciences. 88 % des femmes interrogées par l’enquête indiquent que les mathématiques et les sciences faisaient partie de leurs matières préférées. Un goût affirmé et revendiqué : elles attribuent majoritairement leur choix de carrière à leur passion pour une matière scientifique et à leurs bons résultats scolaires.
Inégalités professionnelles et syndrome de l’imposteur : le terreau de l’orientation genrée
Mais alors, quels sont les obstacles qui persistent face aux parcours des femmes dans l’industrie ? Au-delà de l’orientation, des choses se jouent dans le cadre des études : leur caractère compétitif, les compétences exigées et le coût des études sont cités par les femmes interrogées par l’enquête. Des facteurs combinés à un sentiment de ne pas être à sa place (pour 50 % des étudiantes et 39 % des actives qui se remémorent leurs études), le manque de soutien et de modèles féminins et l’existence de violences (citée par 20 % des étudiantes).
Ceci étant renforcé par des inégalités femmes-hommes encore marquées dans le monde professionnel. 81 % des femmes interrogées estiment en effet que les hommes accèdent plus facilement aux postes à responsabilités et 75 % pensent qu’à poste égal, les hommes ont un meilleur salaire. Et elles n’ont pas tort. La dernière enquête menée par Ingénieurs et Scientifiques de France évalue en effet le salaire médian des ingénieurs à 66 500 euros pour les hommes et à 50 000 euros pour les femmes. Parmi les critères de discriminations liées à leur genre, les femmes interrogées par l’enquête citent notamment la parentalité, les remarques sexistes, les préjugés sur leurs compétences techniques et le harcèlement. De fait, face à ces obstacles, 63 % des étudiantes et 53 % des femmes actives disent avoir peur de ne pas y arriver.
Les choses bougent… mais devraient bouger plus vite !
Un constat qui ne les empêche pas d’observer le développement de mesures visant à améliorer l’égalité femme-homme. La majorité des étudiantes et des actives constatent en effet que leur école ou leur entreprise a mis en place des initiatives pour soutenir les femmes dans leur parcours, que les infrastructures de leur structure sont inclusives pour les femmes et qu’une plateforme pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) a été créée. Mais cela reste insuffisant pour 48 % des étudiantes et 67 % des actives. Parmi les actions qu’elles souhaitent voir initiées ou renforcées : la mise en place de programmes de sensibilisation dans les écoles et les entreprises, plus de mesures de lutte contre les VSS et la création d’un programme de mentorat ou de marrainage entre les femmes en poste et les jeunes filles intéressées par les métiers techniques.
« Une femme sur cinq est découragée de suivre des études scientifiques et 63 % des filles pensent que c’est difficile d’aller dans l’industrie. Ces résultats nous alertent et nous obligent : il y a urgence à agir. »
Valérie Brusseau, Présidente de l’association Elles Bougent
Comment faire reculer l’orientation genrée ? Les quatre recommandations d’Elles Bougent
Les résultats de cette enquête ont donc poussé l’association Elles Bougent à formuler quatre grandes recommandations.
Au Gouvernement. Investir en faveur de l’égalité, en menant une campagne nationale de sensibilisation du grand public notamment.
A l’Éducation nationale. Former les enseignants dès la maternelle pour promouvoir une culture de l’égalité et déconstruire les stéréotypes de genre, accroitre la présence des mathématiques dans les programmes en augmentant le nombre d’heures obligatoires dans le tronc commun afin de diversifier les choix d’orientation. « Il faut dire les choses : la réforme du bac a anéanti 25 ans d’efforts. Jusqu’en 2019, on comptait quasiment 50 % de filles et de garçons en Terminale S. Et en à peine trois ans, la proportion de filles ayant des mathématiques et des sciences en tronc commun a diminué de 67 %. Une baisse qui a aussi touché les garçons (- 32 %) » insiste Valérie Brusseau.
A l’Enseignement supérieur. Promouvoir activement les filles en instaurant une politique de promotion des filles à l’entrée des écoles, à l’instar de la loi Rixain. « Les quotas aident à accélérer les choses. Si on ne change pas de braquet, on ne va pas y arriver » ajoute-t-elle. Pour rappel, la Loi Rixain a fixé l’objectif de 30 % de femmes dans les comités exécutifs en 2026 et 40 % en 2029. La dernière étude de l’Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises estimant qu’en 2023, les femmes représentaient en moyenne 25.75 % des comités exécutifs du CAC40 et 37.09 % de la population cadre.
Aux entreprises. Créer une culture inclusive et une culture de l’égalité en entreprise, notamment en formant les managers et les employés aux pratiques inclusives et à la RSE.