Deux jeunes agronomes ont réalisé la websérie PAMacée, qui vient de sortir en accès libre, pour donner la parole à celles et ceux qui soignent avec plantes à travers la France et le Cap-vert. Entretien avec Lola Keraron, l’une des réalisatrices.
Qu’est ce qui vous a poussé à faire la websérie PAMacée ? Quelle était votre ambition en réalisant ce documentaire ?
J’ai grandi dans une famille qui n’avait pas du tout l’habitude de se soigner avec des plantes. J’ai commencé à m’intéresser en 2017 à l’armoise annuelle (Artemisia annua), connue pour ses vertus contre le paludisme. La lecture d’études et les nombreux témoignages que j’ai pu recevoir m’ont fait réaliser la puissance des plantes, même sous la forme simple de tisane. J’ai pris conscience de mon ignorance, mais aussi de sa cause. Des choix politiques ont confisqué ces savoirs locaux en supprimant le diplôme national d’herboriste en France et en retirant de plus en plus de plantes médicinales de la vente libre. Au fond, cela traduit une domination d’un savoir dit « scientifique » au service d’intérêts privés, en l’occurrence l’industrie pharmaceutique, qui écrase les autres formes de savoir et nous enlève toute autonomie. Notre objectif avec Anne, la co-réalisatrice de la websérie PAMacée, était de questionner notre conception de la santé et de revaloriser des savoirs locaux menacés.
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Vous avez tourné la websérie PAMacée en France et au Cap Vert. Pourquoi ce parallèle et pourquoi avoir choisit le Cap-Vert ?
Nous avons tourné ce documentaire dans deux pays : Anne était dans le Sud-Est de la France pendant que j’étais sur les îles de Santo Antao et Sao Vicente, dans l’archipel du Cap-Vert. Nous voulions donner la parole à des personnes peu entendues et rendre visible leurs savoirs : à la fois les savoirs paysans, qui persistent encore en France, que les savoirs des pays colonisés. Nous souhaitions sortir d’une vision occidentalo-centrée de la santé et de notre rapport aux plantes.
J’ai choisi l’Afrique de l’Ouest car un voyage au Sénégal m’a donné un aperçu de la richesse de la médecine traditionnelle africaine. De plus, je tenais à me déplacer sans avion et l’Afrique de l’Ouest était une destination accessible en bus et en bateau. Le Cap-vert ne devait être qu’une escale dans une navigation jusqu’au Sénégal, mais les imprévus du bateau-stop et la fermeture des frontières due au Covid m’ont amené à y rester vivre quatre mois. C’est ainsi que j’ai mené mon enquête documentaire en immersion sur l’île de Santo Antao, où les plantes sont encore le premier moyen de se soigner.
Pensez-vous que nous allons nous tourner en France vers des modes soin plus autonomes ?
La situation en France et au Cap-Vert est complètement opposée. À Santo Antao, la médecine occidentale coûte très cher, et les plantes, cueillies localement et utilisées en tisane, inhalation ou en bain, constituent des remèdes gratuits et à portée de main. À l’inverse, en France, les médicaments pharmaceutiques sont les plus accessibles, et la phytothérapie est surtout connue sous forme d’huile essentielle, généralement très coûteuse. Les plantes sont peu utilisées en France car elles n’ont aucune place dans notre système de santé, contrairement à la plupart des autres pays européens. Elles ne sont pas remboursées, les médecins ne sont pas formés en phytothérapie, les herbalistes ont interdiction de parler de leurs vertus thérapeutiques et les recherches académiques sont très difficilement financées et publiées.
Les naturopathes français et médecins Cap-verdiens présentent leur approche holistique de la santé, qui considère la personne dans sa globalité. Pouvez-vous nous expliquer en quoi en consiste ?
Cette approche holistique est à mes yeux le grand manque de notre système médical « conventionnel ». Dans notre médecine moderne, on traite le symptôme, c’est une approche « symptomatique ». Une personne ressent un mal de ventre ? On lui donne tel médicament. Dans les médecines traditionnelles cap-verdiennes et occidentales (ce qu’on appelle aujourd’hui la « naturopathie »), on va non seulement mettre fin aux symptômes, mais également s’intéresser à la cause : « Est-ce que la personne n’est pas stressée ? » Dans ce cas, on peut chercher à atténuer la source du stress et à relaxer la personne par des méthodes naturelles. Sans cela, le problème risque de se reproduire. La France est particulièrement fermée sur ce sujet. Les pratiques naturelles et holistiques sont reconnues dans de nombreux pays, comme en Allemagne où les praticiens de santé (l’équivalent des naturopathes en France) possèdent un statut reconnu par le ministère de la santé.
Quelles sont les actions en cours autour sur l’herboristerie ?
En France la vente des plantes médicinales est très contrôlée. Aujourd’hui les herboristes ne peuvent vendre que 148 plantes dites « plantes libérées » sans toutefois avoir le droit d’en donner les usages. Il est interdit par exemple de vendre du thym pour aider à soigner une bronchite. En 2013, les paysans-herboristes se sont mobilisés pour faire reconnaître leur métier et sortir de cette situation d’illégalité, à travers le syndicat les SIMPLES. Le sénateur écologiste Joël Labbé s’est emparé du sujet et a lancé une mission d’information parlementaire en 2018 qui a abouti à une série de propositions sur la reconnaissance du métier d’herboriste et le développement de la filière des plantes aromatiques et médicinales. Il prévoit de proposer une loi dans les cinq prochaines années, qui ne passera qu’à condition d’une mobilisation massive, face aux pressions de l’ordre des médecins et des pharmaciens. De nombreuses personnes se mobilisent pour faire vivre ces savoirs, que ce soient les paysan.nes, cueilleu.ses et productrices des SIMPLES, les écoles d’herboristerie, les médecins, pharmacien.nes, infirmières qui se forment et introduisent la phytothérapie dans le système officiel ou encore des collectifs qui s’organisent localement pour cultiver des plantes, transmettre ces savoirs et rendre accessible des soins naturels.
Les épisodes sont accessibles en accès libre sur le site de PAMacée à cette adresse.
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