La vitesse à laquelle le cœur du sujet de la transformation digitale s’est déplacé du Big Data au Machine Learning puis enfin à l’Intelligence artificielle est assez stupéfiante. Par Valery Yakubovich, professeur de management à l’ESSEC Business School
Dans un article co-rédigé avec Peter Cappelli et Prasanna Tambe (Wharton School), nous avons identifié quatre défis que rencontrent les équipes RH dans la mise en place d’outils analytiques et proposons des réponses pratiques.
Les promesses de l’analyse de données font rêver… Cependant, on peut se douter qu’il est plus acceptable qu’un ordinateur interagisse avec des clients anonymes qu’avec des employés qui disposent déjà de managers identifiés. De plus, les jeux de données RH sont assez restreints par rapport aux données collectées chez les clients, et l’analyse de données est moins performante lorsqu’elle doit traiter des cas isolés.
Comment faire pour…
A) Créer de la donnée
Savez-vous ce qu’est un bon employé ? Probablement pas, et moi non plus d’ailleurs. Personne ne sait. Les qualités attendues sont très larges et il existe inévitablement un parti pris lorsqu’il s’agit d’évaluer les performances individuelles. C’est pourquoi il est vain de chercher les parfaites cases à remplir car elles n’existent pas. Cherchez plutôt les plus raisonnables d’entre elles et conservez-les dans la durée.
Conservez-vous les données des candidatures que vous évaluez ? La plupart des entreprises ne conservent pas au format numérique les données qu’elles reçoivent. Gardez à l’esprit qu’il est toujours bon de conserver des données agrégées de sources différentes et à travers le temps.
Vous pensez ne pas avoir assez de données pour construire un algorithme ? Quelques données peuvent suffire à identifier des relations causales que les managers doivent par ailleurs comprendre pour agir en conséquence.
B) Utiliser le machine learning dans les processus de recrutement
Dans le domaine du recrutement, le recours au machine learning et aux algorithmes de prédiction donnent parfois des meilleurs résultats que de recourir à des recruteurs. En revanche, il peut être très compliqué de trouver les bonnes données sur lesquelles fonder cet algorithme. Certains employeurs se fondent sur les données de leurs “meilleurs employés”, mais générer un algorithme de cette façon-là pose problème car il prendra en compte seulement ceux qui ont réussi. Cela pose un problème d’auto-sélection. La capacité de l’algorithme à continuer son apprentissage et à s’adapter aux nouvelles informations disparaît lorsque l’arrivée de nouveaux employés est contrainte par les prédictions de l’algorithme actuel. De plus, si on considère les différences entre les populations majoritaires et minoritaires, les algorithmes qui maximisent la probabilité de succès pour l’ensemble de la population peuvent être discriminants pour les populations minoritaires.
C) La prise de décision
Beaucoup de questions relatives à l’équité doivent être soulevées. L’algorithme peut-il être biaisé ? Si des actes de discrimination existaient déjà dans les données historiques, il est fort probable que l’algorithme réplique ces mêmes discriminations. Mais qui peut nous assurer que les recruteurs ne soient pas biaisés lorsqu’ils rencontrent des candidats ? Les algorithmes pourraient diminuer ce biais en standardisant les critères de recrutement et en faisant fi des critères non-pertinents tels que la race ou le sexe des candidats. Les défis juridiques sont d’un autre ordre. Laisser le recrutement à des individus est susceptible de générer bien plus de biais que de le confier à un algorithme. En revanche, la partialité introduite par un algorithme serait bien plus facile à déceler, et pourrait plus aisément mener l’entreprise devant un tribunal. En d’autres termes, la randomisation devrait être un outil de management par l’IA.
Croire ou ne pas croire en l’IA
Lorsqu’il s’agit de recruter, de donner des promotions ou des récompenses, les managers se reposent sans difficulté sur les algorithmes pour appuyer leurs décisions. Par contre, lorsqu’il s’agit de les punir, l’utilisation d’un algorithme soulève quelques questions : que se passerait-il le jour où un algorithme pourrait prédire qu’un employé va voler l’entreprise ou commettre un meurtre ? Peut-on juger un individu sur autre chose que sur ses actes ?
Avec les machines, il est beaucoup plus difficile d’expliquer la façon dont un algorithme rend ses prédictions, car le modèle est souvent une association de plusieurs facteurs qui sont immensément plus difficiles à comprendre que le traditionnel mais simple.
Un processus d’Action-Réaction
Les changements dans la manière de prendre des décisions agissent inévitablement sur le comportement des employés. Comment réagiront-ils à des décisions prises par un algorithme plutôt que par leur manager ? Alors que les employés ne sont pas toujours dévoués à leur entreprise, ils peuvent l’être à l’égard de leur manager. On peut prendre l’exemple suivant : au travail, si mon manager me demande d’effectuer une tâche un week-end, je pourrais m’exécuter si je considère que sa demande est juste. Si mon emploi du temps est généré par un logiciel, ma réponse sera sûrement différente, comme il n’y a pas de relation préexistante entre l’algorithme et moi. En revanche, il y a des décisions qui sont plus faciles à accepter de la part d’un algorithme, en particulier lorsqu’elles ont un impact négatif sur nous, comme la montée des prix par exemple.
Pour conclure, voici les quelques questions qu’il faut vous poser avant d’utiliser l’IA dans vos process RH. Souvenez-vous que :
- Les relations causales sont essentielles pour l’analyse de données et la prise de décision en matière RH, car elles garantissent l’égalité de traitement et peuvent être comprises par les parties prenantes, voire défendues devant un tribunal.
- Les entreprises doivent accepter que les algorithmes RH ont un faible pouvoir de prédiction.
- La randomisation peut aider à établir une causalité et peut compenser en partie le faible pouvoir de prédiction des algorithmes.
- La formalisation des processus de développement des algorithmes et la sollicitation de toutes les parties prenantes aideront les employés à établir un consensus autour de l’utilisation des algorithmes RH, et à accepter leurs résultats.