Pourquoi les multinationales peuvent parfois se permettre un comportement irresponsable ?

irresponsabilité sociale des entreprises
crédits Unsplash

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) a été très largement adoptée mais de nombreux exemples de manquements commis par des entreprises (scandale des émissions de Volkswagen, effondrement de l’usine du Rana Plaza, crise des opioïdes) démontrent que les comportements répréhensibles sont encore nombreux. Les recherches récentes sur l’irresponsabilité sociale des entreprises de Giulio Nardella et de ses co-auteurs montrent pourquoi, dans certains cas, les risques de réputation pour les entreprises contrevenantes sont beaucoup plus faibles. Des politiques plus nuancées sur le marché intérieur sont nécessaires pour contribuer à dissuader les entreprises multinationales de se comporter de manière irresponsable à l’étranger.

Les événements médiatiques mettant en lumière les actes répréhensibles des entreprises peuvent avoir un effet désastreux, en matière de relations publiques. Pourtant, de nombreuses sociétés de premier plan ayant été mises en cause semblent s’en sortir dans certaines circonstances. L’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, ayant causé la mort de plus de 1 000 ouvriers du secteur de l’habillement, constitue le pire accident industriel dans le commerce de détail. Malgré la vague d’indignation internationale qui a suivi, les multinationales de l’habillement qui y sous-traitaient leur production, comme Primark ou H&M, n’ont enregistré pratiquement aucune baisse de leurs ventes au cours des années suivantes. Les fournisseurs chinois d’Apple font régulièrement la une des journaux pour avoir eu recours au travail forcé des Ouïghours ou avoir commis d’autres violations des droits de l’homme, pourtant la société de Seattle ne semble jamais bouger de la liste des marques les plus cotées au monde. 

Comment expliquer que de telles révélations semblent avoir aussi peu d’effet sur la réputation des multinationales que de l’eau sur les plumes d’un canard ?

Les exemples ci-dessus contredisent la théorie selon laquelle la réputation des entreprises est une ressource fragile et essentielle (bien qu’intangible), ce qui implique que les sociétés multinationales prennent toujours soin de redorer leur image. De fait, lorsqu’elles sont effectivement surprises en train d’exploiter des travailleurs, de déverser des déchets toxiques dans des rivières ou de se livrer à d’autres types de comportements répréhensibles, leur réputation en est entachée au point que les parties prenantes – consommateurs, fournisseurs, investisseurs, etc. – s’en détournent. Cependant, comme le montrent les exemples ci-dessus, les réputations sont parfois plus résilientes que prévu. Pourquoi donc en est-il ainsi ?

Peut-être que l’ISE (irresponsabilité sociale des entreprises) ne présente pas un risque aussi constant qu’on ne le pensait jusqu’à présent. C’est ce que suggèrent nos recherches. En effet, dans notre récent article (en libre accès), nous démontrons que l’ISE peut être perçue de façon subjective et que, par conséquent, divers préjugés des parties prenantes peuvent avoir une influence sur la réputation des entreprises.

Irresponsabilité dans son propre pays contre irresponsabilité à l’étranger

Plus précisément, nous étudions les biais sous la forme d’effets de localisation, à savoir les endroits où se produisent les cas d’ISE. Pourquoi ce facteur en particulier ? Car la prise de décision peut souvent être biaisée en faveur du marché national, ce qui implique que les cas d’ISE se produisant à l’échelle internationale peuvent être pénalisés moins sévèrement que ceux qui se produisent sur le marché intérieur, voire pas du tout.

Pour examiner la nature de la relation entre la localisation des ISE et la réputation des multinationales, nous nous sommes concentrés sur la médiatisation des ISE et avons testé nos hypothèses sur un échantillon de 2 401 cas d’ISE impliquant 465 entreprises multinationales basées aux États-Unis sur une période de 7 ans, dans trois zones géographiques et culturelles : le marché américain, les marchés hôtes occidentaux et les marchés internationaux non occidentaux.

Nous avons constaté une relation négative et statistiquement significative entre ISE et réputation pour le marché intérieur, un effet significatif mais plus faible pour le marché occidental, et aucun effet significatif pour l’irresponsabilité sur un marché non occidental. Les ISE associées aux chaînes de valeur mondiales des multinationales sur de nombreux pays non occidentaux, y compris les cas de recours à des pratiques commerciales discriminatoires, de travail des enfants et d’atteinte aux droits des employés, sont autant d’exemples pertinents d’ISE qui ont un impact répété sur les marchés étrangers, avec des conséquences potentiellement limitées sur la réputation des multinationales.

On peut donc répondre par l’affirmative à la question posée dans le titre de notre article de recherche (« Ce qui se passe à l’étranger reste-t-il à l’étranger ? ») – bien qu’à proprement parler, l’étude ne montre pas exactement que « ce qui se passe à Las Vegas ne sort pas de Las Vegas », puisque les actes répréhensibles des entreprises sont rendus publics dans les médias. Simplement, avec la distance, leurs effets ne résonnent pas aussi fortement.

Ce que doivent faire les managers et les décideurs politiques

Ces résultats sont particulièrement pertinents pour les managers souhaitant mieux comprendre les risques posés par l’irresponsabilité sociale des entreprises : si elle est pratiquée dans un pays d’accueil éloigné, l’impact négatif sur la réputation sera moindre. Pourtant, désinvestir ou dissocier l’entreprise des ISE sur les marchés d’accueil n’est (potentiellement) pas toujours la réponse stratégique la plus appropriée. Même s’il est probable que l’ISE ne soit pas pénalisée, les entreprises seraient bien avisées d’envisager l’autorégulation dans une perspective de RSE. Les recherches existantes ont montré les nombreux avantages potentiels pour les entreprises étrangères qui mènent des actions socialement responsables à l’étranger afin d’éviter les retombées négatives de leurs activités, bien que ces conséquences de l’ISE puissent varier en fonction du lieu.

Enfin, d’un point de vue politique, notre étude montre clairement les limites de l’effet de la réputation des entreprises en tant que « mécanisme d’application informel de la législation », quand il s’agit de dissuader les multinationales de se comporter de manière irresponsable. S’appuyer sur les acteurs du « marché » pour contrôler les mauvaises conduites ne suffit tout simplement pas. En revanche, des politiques plus nuancées (sur le marché intérieur) contribueront à dissuader les multinationales de se rendre coupables d’ISE, tandis que les attentes différentes en matière de légitimité institutionnelle et les vides (potentiels) peuvent minimiser les risques potentiels des ISE pour les multinationales.

Les auteurs sont :

irresponsabilité sociale des entreprises
Giulio Nardella, Professeur agrégé de développement durable et de stratégie globale à ESCP Business School (campus de Londres)

irresponsabilité sociale des entreprises
Irina Surdu, Lectrice de stratégie commerciale internationale à la Warwick Business School

irresponsabilité sociale des entreprises
Stephen Brammer, Doyen de l’École de management de l’Université de Bath

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