Phénomène mondial, l’application TikTok est présente dans 120 pays. Avec ses vidéos courtes prônant la mise en scène du soi, le réseau social est parfois décrié par les non-adeptes. Il n’en a pas fallu plus pour Eliott Nouaille, professeur de rhétorique à l’ISCOM, et son confrère Quentin Demé, professeur d’économie, pour créer Le Procès de TikTok, une pièce d’éloquence sur cette appli tendance. Lever de rideau !
« Le spectacle est né d’une volonté de questionner une application sociale, qui comptabilise en France quatre millions d’utilisateurs quotidiens, et se retrouve à la croisée des conflits géopolitiques, des enjeux sociétaux, mais aussi de la mise en scène du soi, du narcissisme » introduit Eliott Nouaille, co-organisateur de l’événement.
La genèse du Procès de TikTok
Ce passionné de rhétorique et de philosophie se questionnait depuis le confinement sur l’utilisation de TikTok, application qui « interroge sur la captation de l’attention » et fait la part belle à la « civilisation poisson rouge. » Régie par un phénomène de « trend » (tendance), elle donne aussi lieu à de l’exclusion si on n’est pas au parfum de la dernière référence qui tourne sur l’appli. « Le milieu institutionnel avait un regard assez critique, et même condescendant vis-à-vis de TikTok, en ne considérant pas ses atouts. Pourtant, comme tous les outils, cela dépend de ce que l’on en fait. » A peine déconfiné, Eliott Nouaille parle de son envie d’organiser une pièce de théâtre d’éloquence sur le sujet à son ami Quentin Demé. « Mon objectif, c’était de proposer une soirée qui permettait de rire et réfléchir. Réunir un public habitué de TikTok mais qui ne va jamais au théâtre, mais aussi un public qui va au théâtre mais pas sur TikTok. » Alors, pari réussi ?
>>>> Pour aller plus loin sur les réseaux sociaux en 2022 : les jeunes abandonnent Facebook pour TikTok
Le cercle des orateurs disparus
C’est au sein de son club d’éloquence Le cercle des orateurs disparus qu’Eliott Nouaille fait naître le projet. Déplorant le caractère parfois excluant des concours d’éloquence, le groupe d’orateurs passionnés préfère montrer la diversité des expressions orales sur scène. En rassemblant philosophes, comédiens, standuppers, chanteurs ou encore avocats, le cercle popularise le genre de la pièce d’éloquence. Pour monter le Procès de TikTok, Eliott et Quentin ont « sélectionné les orateurs par un processus de casting en plusieurs tours. Nous recherchions des personnes ayant la capacité de retenir l’attention, tout en menant une véritable réflexion sur le sujet. Il fallait répondre à la question tout en répondant à la dimension divertissement » se remémore le professeur. Pour lui, un seul objectif primait : la diversité des profils. Et pour couronner le tout, ils n’ont pas hésité à faire appel aux plus populaires des Tiktokeurs français pour créer des sketchs détonants entre les plaidoiries des orateurs. Après un accompagnement de deux mois pour l’écriture des sketchs et les répétitions, le show prenait enfin vie.
Bienvenue à Mogador !
Lundi 21 mars à 20h30, sur la scène mythique de Mogador, se tenait enfin la pièce d’éloquence du Procès de TikTok, après des mois de répétitions. Est-ce que le défi de rassembler des talents d’univers complètements différents a été relevé ? Complétement ! Côté Tiktokeurs, le casting en jetait : Logan aka Logfive, Eva Cstt, Monsieur Pof ou encore Mayariif, pour ne citer qu’eux. Dans la team des orateurs, le niveau était tout aussi élevé : le philosophe Gilles Vervisch, l’humoriste Mahaut Drama et Gabriel Mabilat, chanteur de MAB, ont notamment plaidé devant un public de 1 600 personnes. Des étudiants de nombreuses écoles sont ainsi venus applaudir les stars de TikTok mais surtout, ont pu réfléchir sur les trois axes du spectacle, à savoir l’hypersexualisation des corps et des contenus sur TikTok, le narcissisme et l’expression de créativité sur l’appli et enfin, le rôle politique du réseau social. Rythmée par les sons d’un orchestre d’étudiants de CentraleSupelec, la soirée s’est terminée sur une ode à la créativité par Eliott Nouaille, qui nous confie déjà « vouloir continuer à questionner des objets populaires qui méritent de l’être. Notre but est de créer d’autres formats qui permettent de plaire, questionner et émouvoir. »
Coup de cœur pour MAB
Dans la série des passages remarqués sur la scène de Mogador, MAB a fait vivre un moment « stromaesque » à l’auditoire. Tombé dans l’éloquence depuis sa double-licence à La Sorbonne, la discipline a aidé Gabriel Mabilat à combattre son stress lors de ses performances scéniques. Contacté par Eliott Nouaille, le concept du Procès de TikTok l’a tout de suite séduit. « Je n’ai pas une dent particulière contre TikTok. En revanche, les thématiques qu’Eliott voulait aborder m’ont tout de suite intéressé car, comme beaucoup d’artistes, j’essaye d’avoir la conscience la plus éveillée possible sur les réseaux sociaux. » Pour cette soirée inédite, le groupe composé de Gabriel et de son frère Hadrien a proposé une plaidoirie suivie d’un morceau inédit, « Qui vaut quoi ? », qui sortira en mai. Une performance puissante mettant en scène un personnage « complétement bouffé par les réseaux sociaux » explique Gabriel. En attendant de découvrir le clip issu de la captation vidéo de la pièce de théâtre, le groupe vient de sortir un nouveau single intitulé « Clap Clap » sur la thématique de l’engagement pour l’environnement. A découvrir d’urgence !