Le numérique n’est pas qu’une révolution des outils, elle entraîne une mutation des postures et des compétences. Le manager n’est pas épargné par ces transformations. Comment son rôle évolue-t-il et comment accompagne-t-il ses équipes ? Cécile Dejoux, professeur d’université au CNAM, professeur affilié à ESCP Europe, cofondatrice de la Chaire Learning Lab Human Change et Emmanuel Baudoin, professeur à Télécom EM répondent.
Le rôle du manager est de décider, motiver et développer ses équipes. Aujourd’hui, il se transforme avec l’arrivée du numérique. Emmanuel Baudoin observe trois changements majeurs :
« – Un renforcement de son rôle de garant de la performance. Le manager fixe et fait respecter les objectifs à atteindre. Il définit les modes relationnels de travail.
– Il facilite l’émergence et la mise en œuvre de pratiques et d’idées innovantes, tant au niveau des modes de travail de l’équipe que des produits et services proposés par l’entreprise. Le numérique est un fabuleux libérateur d’énergie. Le manager doit favoriser l’émergence des idées au sein de son équipe, de les repérer et de faciliter leur mise en œuvre effective. Par exemple, à la SNCF, un collaborateur de l’équipe des géomètres a proposé de réaliser les mesures avec les drones. Cette idée a abouti au lancement de la filiale Altametris, dédiée à l’utilisation de drones pour la maintenance et la sureté. Cet exemple n’est pas isolé.
– Le manager régule les pratiques numériques de ses collaborateurs afin de les protéger. Nous faisons en effet face à un empilement d’outils et de pratiques qui peuvent conduire les collaborateurs à la suractivité »
Pour Cécile Dejoux, le numérique va au-delà d’une transformation du rôle du manager. « Avant le manager, c’était un métier. Aujourd’hui, c’est plutôt un rôle qui change selon les circonstances. On peut être manager d’une équipe sur un projet puis redevenir un collaborateur de l’entreprise. Il faut cependant se méfier de la fausse idée qui consiste à croire que le manager ne décide plus. C’est faux. Dans tous les groupes, le manager est le médiateur qui gère les conflits et prendra les décisions. »
Savoir accompagner ses équipes
La mission n°1 du manager est d’accompagner ses équipes. Il est donc le mieux placé pour aider ses collaborateurs à affronter la révolution numérique. Mais avant de pouvoir transformer l’entreprise, le manager doit adopter de nouvelles postures. Cécile Dejoux préconise une liste d’étapes pour faciliter l’intégration de ces compétences :
« – Première étape : intégrer ses compétences numériques pour savoir rechercher, stocker, partager et valoriser l’information
– Deuxième étape : développer ses compétences d’agilité. Il faut apprendre aux collaborateurs à travailler différemment, aller plus vite, savoir se tromper et savoir travailler par itération et prototypage plutôt que dans la planification
– Troisième étape : développer les compétences de design thinking pour innover au quotidien et penser « avec ses mains »
– Quatrième étape : savoir interagir avec les systèmes d’intelligence artificielle et acculturer ses collaborateurs pour qu’ils performent et imaginent de nouveaux métiers avec les IA »
Former les leaders de demain : Face au besoin de doter les managers d’aujourd’hui et de demain de ces aptitudes, Cecile Dejoux propose deux MOOCs gratuits : « Du manager agile au leader designer » et « Manager augmenté par l’IA ? » sur FUN-Mooc. En outre, elle a publié « du manager agile au leader designer » chez Dunod (2017) et également détaillé les bonnes pratiques dans un ouvrage coécrit avec Emmanuelle Léon chez Pearson (2018) : « Métamorphose des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle »
« Il est important d’accepter que l’humain fonctionne avec un temps humain qui n’est pas celui de la machine et de l’IA »
Quid de la surconnexion ?
Affronter la révolution numérique, c’est également s’adapter à ses implications : surconnexion, télétravail, fin des limites vie personnelle-vie professionnelle, etc. Emmanuel Baudoin établit quelques éléments à prendre en compte: « le manager doit définir, en concertation avec son équipe, les bons modes d’usage des outils numériques. Il a ensuite un devoir d’exemplarité. S’il demande aux membres de son équipe de ne pas se connecter le week-end, il doit être le premier respecter cela. Il doit enfin parfois faire preuve de flexibilité pour respecter les pratiques et le rythme de chacun, lorsque ceux-ci ne vont pas à l’encontre du bon fonctionnement du service ou de l’équipe. »
Au cœur de ces mutations des métiers et des organisations, Cécile Dejoux recommande de faire preuve de bienveillance. « L’environnement est beaucoup trop stressant. Il est important d’accepter que l’humain fonctionne avec un temps humain qui n’est pas celui de la machine et de l’IA. Il faut arrêter de vouloir être multitâches et donner à ses collaborateurs le temps de se ressourcer. Le manager doit savoir débrancher, il faut des périodes sans numérique. En termes d’informations, fini l’infobésite ! Il faut privilégier la qualité à la quantité. »
Aujourd’hui, le manager ne pourra pas réussir le virage numérique sans être doté des compétences clés d’innovation nécessaires et définies par Cécile Dejoux : maîtrise des outils informatiques, agilité, design thinking et collaboration avec l’intelligence artificielle.
L’art contre l’hyperconnexion ? L’art est-il le moyen de contrer l’hyperconnexion que les managers affrontent tous les jours ? C’est ce que semble penser Barbara Albasio, coauteure du livre Creative Attitude : Pour inspirer, motiver, collaborer et innover en entreprise aux Éditions Dunod, écrit avec Guillaume Cravero.
Qu’est-ce que la Creative Attitude ? C’est un état d’esprit et un comportement. C’est d’être ouvert, curieux et agile pour pouvoir rebondir et s’adapter à toute situation. Pour cela, il faut être connecté à ses sens et à ses émotions. C’est très important de savoir s’écouter et faire confiance à son intuition, surtout en situation de crise. La pratique de l’art, que ce soit le théâtre, la danse ou la sculpture nous permet de nous reconnecter avec nous-même. Afin de mieux manager, il est très important de connaître sa palette d’émotions. Cela permet d’être plus dans l’empathie et dans l’écoute.
Comment le manager fait-il face au numérique ? Certains adorent le numérique, d’autres se l’imposent et voient cela comme une corvée. Les mails, les messages, les appels, tout cela peut générer du stress, des situations de mal-être et d’angoisse. Ces symptômes sont envoyés par notre corps pour nous dire qu’il faut prendre du temps pour soi et recharger ses batteries. J’essaie de reconnecter les gens à eux-mêmes, à leur corps et à leur être intérieur en coupant les automatismes développés en entreprise. Le fait d’ouvrir notre esprit permet de faire apparaître d’autres solutions et de sortir de cette impression de tourner en rond.
La Creative Attitude est donc la clé pour réussir à manager aujourd’hui ? Dans le management, c’est la solution pour faire face à ce monde de plus en plus virtuel, accéléré et frénétique. Cela permet de se poser et de prendre son temps pour faire face à cette situation d’ultra-stress. Il est de plus en plus difficile de s’éloigner du portable et de l’ordinateur. Il est important de réaliser des petites actions quotidiennes pour sortir du numérique : regarder les plantes qui bougent sous l’effet du vent, se mettre devant le soleil et capter la chaleur des rayons, pratiquer du dessin méditatif, réaliser quelques exercices de respiration, jouer de la guitare, etc.