Milieux politiques et d’affaires s’accordent pour dénoncer les stéréotypes genrés comme autant d’obstacles à l’égalité. Toutefois, cette approche réformatrice traine un peu le pas. Peut-être ne s’agit-il pas seulement de combattre les stéréotypes et les inégalités induites mais de se demander comment, ensemble, dans l’entreprise, les salariés renouvellent les représentations des différences genrées ?
Stéréotypes genrés : les réformes ont la vie dure !
Par souci de catégoriser et de prendre des décisions plus rapides, toute culture professionnelle tend à exacerber les différences entre le masculin et le féminin. Les personnes en font le plus les frais, tant les femmes qui souffrent du plafond de verre que les hommes qui sont discrédités s’ils ne font pas preuve de carriérisme. Les conséquences s’observent à quatre niveaux : l’organisation du travail et des trajectoires professionnelles, la discrimination salariale, la non-mixité d’une proportion encore importante de métiers et la précarité salariale. En France, la loi Avenir professionnel et égalité de rémunération Femmes/Hommes (2018) renforce une longue série de dispositifs légaux initiés en 1972. On encourage dans les entreprises quatre autres types d’action telle qu’une communication sur la mixité, des opérations de formations et de sensibilisation des salariés, des démarches spécifiques de recrutement et de détection de potentiel et une veille sur les contenus de la communication interne et externe. Le maintien des écarts salariaux entre femmes et hommes à hauteur de 20 % montre que la bataille est loin d’être gagnée.
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Transférer les stéréotypes in situ
Scharnitzky ainsi que Bertereau et ses collègues notent que les études actuelles cherchent à confirmer l’adhésion aux stéréotypes en entreprises pour les combattre et justifier l’importance de l’approche réglementaire plutôt qu’à analyser les expérimentations qui permettent de changer les croyances. En écho, dans la Harvard Business Review, Dobin et Kalev critiquent le recours aux formations ‘réformatrices’ qui visent à persuader le personnel des effets bénéfiques des politiques de diversité ou pire à les menacer s’ils n’en appliquent pas les cadres. Il est plus important de les engager dans une prise de conscience et dans une concertation pour faire évoluer collectivement certaines représentations, en identifiant des situations professionnelles où il s’agit soit d’adapter soit de retourner les stéréotypes. Dans ce type d’approche, à partir d’une première intervention, une action itérative sur un groupe d’employés permet d’observer au fil des mois voire des années l’affirmation des choix individuels, les facteurs de facilitation et les transformations effectives des individus, de l’organisation du travail et des modalités d’apprentissage. Ce type d’expérimentation encadrée mériterait davantage de publications et de débats. Muhr et Sullivan présentent une expérimentation spontanée sur le genre qui a trait aux stéréotypes de leadership. Après plusieurs années de développement fructueux de son entreprise, par ce qu’il estime qu’il aimerait être plus proche de ses salariés, un patron travesti décide de venir au travail un jour travesti un jour non. Les salariés sont d’abord choqués. Toutefois, la parole est libérée et cela permet un échange plus vrai entre le leader et son équipe. Les auteurs suggèrent que la porte est ouverte à la révision d’autres stéréotypes genrés dont souffrent les membres du personnel et qui ont été tus jusqu’alors. En psychanalyse lacanienne, on parlerait d’un phénomène de transfert.
Le temps, ce grand menteur
Qu’il s’agisse de réformer ou d’explorer les stéréotypes, ce sont des démarches longues qui vont à l’encontre d’un impératif permanent de gain de temps et d’efficacité dans le monde du travail. Cependant, il me semble urgent d’analyser comment les stéréotypes gâchent plus que du temps, mais des vies et peut-être même des opportunités stratégiques pour les organisations.
L’auteur est Renaud Redien-Collot, Directeur de l’ISC Research Lab, ISC Paris