Rencontre avec Thibaut Gress : « Les sentiers inédits de la Connaissance »

Que ce soit sous les auspices d’un cours de terminale sur Descartes, d’un ouvrage de premier accès à l’œuvre de Kant, ou encore en abordant des sujets relativement peu traités par les philosophes contemporains (la question extraterrestre par exemple), Thibaut Gress, Normalien, Docteur et agrégé, n’a pas son pareil pour surprendre en ouvrant des pistes inexplorées…

 

En guise de présentation, il semble que vos auteurs de prédilection se caractérisent d’abord par une attention particulière au regard, à ceux qui abordent pensent notre perception du réel, c’est-à-dire, philosophiquement, aux conditions de possibilité d’appréhender celui-ci, voire d’accéder éventuellement à la Connaissance… Ainsi, bien qu’évidemment de manières différentes, de Descartes ou de Kant… Il y a, encore, une certaine prégnance de la dimension visuelle dans votre intérêt pour la Peinture, ou encore ce rapport aux formes et à l’Histoire-géographie des idées qui se fait jour dans vos Balades philosophiques

 Oui, c’est une question à laquelle je ne m’attendais pas mais qui me semble très juste. A titre personnel, il est vrai que la vue est chez moi le sens prégnant, et que celle-ci détermine en grande partie mon rapport au monde. De ce fait, si l’on conjugue cette prégnance de la vue – les postmodernes m’accuseront d’optocentrisme ! – avec le besoin philosophique de trouver du sens, alors en effet en découle une manière de faire qui consiste à scruter dans toutes les formes du monde visible les dépôts de sens.  Se promener à Paris devient ainsi l’occasion de se demander qui a vécu à tel ou tel endroit, c’est-à-dire rechercher le sens spécifique de tel ou tel immeuble, de telle ou telle habitation ; idem, face à une peinture, se fait jour l’exigence de comprendre pourquoi l’effet visuel n’est pas le même d’un peintre à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre ; tout cela impose d’admettre que ce qui se montre est doté d’un sens et que l’activité philosophique consiste à élucider ce dernier. Mais il est également vrai que cette prégnance de la vue est inhérente à la démarche philosophique théorique, puisque « théorique » vient du grec theôreo signifiant « regarder », « contempler ». D’une certaine manière, lorsque le philosophe théorise quelque chose, il propose une manière de bien regarder le monde mais aussi de savoir le contempler, voire de l’admirer.

 

Vous n’êtes pas seulement historien des idées mais développez aussi des intuitions nouvelles au sujet de certains classiques, Kant est ainsi selon vous moins strictement humaniste que ne lui vaut sa pourtant solide réputation de penseur-phare des Lumières, et surtout, contre toute attente, vous débusquez un Descartes baroque, lui dont l’œuvre est censée hypostasier la clarté de la Raison… Pouvez-vous nous exposer les fondements de cette hypothèse peu ou prou inédite…

Oui, je vous remercie également de poser ces questions visant à cerner l’écart qu’il peut y avoir entre le cliché que l’on peut avoir de certains grands auteurs de la Tradition et la réalité de leur discours. Concernant Kant, le problème me semble moins résider en ses textes qu’en l’idée que l’on se fait des Lumières : d’une part, celles-ci sont extrêmement contrastées quant au rapport à la raison. Les uns vont l’exalter, quitte à réduire la dignité de toutes les autres facultés, les autres vont s’en méfier comme de la peste et en faire l’origine de toutes les misères humaines. Kant appartient à la première catégorie, Rousseau à la seconde. D’autre part, ce que l’on appelle l’ « humanisme » des Lumières m’a toujours semblé difficile à établir car il s’agit d’abord d’une période de combat dont l’ambition est moins d’exalter l’homme pour lui-même que de trouver un prétexte – l’homme en est un – pour mettre fin aux principes du monde ancien. Je partage à cet égard la formule de Rémi Brague évoquant au sujet du rapport à l’homme des auteurs des Lumières « une défiance qui frise la misanthropie. »

Pour cibler Kant de manière plus particulière, il me paraît décisif de bien comprendre que le cœur de sa pensée consiste à penser la raison indépendamment de l’homme ; pour le dire autrement, l’homme est très loin d’être le seul être à disposer d’une raison et, pis encore, de tous les êtres raisonnables que comprend l’Univers, l’homme est sans doute celui pour qui l’usage de la raison est le plus entravé par sa pesanteur matérielle, c’est-à-dire ses affects, ses sentiments, ses désirs immédiats. Par conséquent, Kant élabore une morale pour les êtres raisonnables en général, et non pour l’homme en particulier ; ce dernier se révèle même inapte à se hisser à la hauteur de la Loi morale issue de la raison, et sans le postulat (indémontrable) d’un progrès indéfini de la moralité en l’homme, on serait bien étonné de contempler cet effort sans précédent pour penser une morale que l’homme n’a jamais atteint et ne peut, en l’état actuel, atteindre.

Bref, si la destination de l’homme est de se hisser à la raison, il est néanmoins patent qu’il n’y parvient pas et que de tous les êtres raisonnables qu’envisage Kant, ce dernier semble le moins abouti, le plus empêtré dans l’infra-rationnel. Or, puisque seule la raison semble revêtir quelque dignité chez Kant, il faut en déduire que l’homme est le moins digne et le moins grand de tous les êtres raisonnables, ce dont d’ailleurs le « sublime » est le symptôme, puisque ce dernier n’est jamais que l’épreuve douloureuse de l’écart infranchissable, irrésorbable, entre la destination rationnelle de l’homme et la limitation matérielle de celui-ci. Le sublime est l’épreuve de l’échec même de notre humanité, l’épreuve de cette grandeur que nous ne saurions atteindre ni accomplir. Je n’appelle pas cela une pensée « humaniste »…

 

Concernant Descartes, j’ai en effet essayé de montrer que, dans un texte spécifique, les Méditations Métaphysiques de 1641, le lexique, les raisonnements, les images, relevaient du monde baroque au sens où l’on évolue parmi des Génies, des Dieux trompeurs, des jeux de miroirs, des chapeaux sans têtes, etc. Cela ne signifie pas, d’une part, que les Méditations – que je tiens pour le chef-d’œuvre métaphysique de Descartes – heurtent la raison, mais cela signifie que la mise en scène de la raison n’obéit pas aux codes habituels de l’esthétique classique : les démonstrations ne s’y font pas de manière linéaire, les images ne sont pas sages ni toujours mesurées, et l’excès ne s’y trouve nullement congédié. Le texte de 1641 présente ainsi quelque chose d’excessif, de démesuré, qui tranche avec l’habituelle modération du classicisme. D’autre part, si mon propos s’est limité aux Méditations, il ne faudrait pas en conclure que le reste de l’œuvre de Descartes serait parfaitement classique et plein d’une froide et sage raison. Souvenons-nous par exemple que, dès les années 1630, il présente les résultats de sa Physique sous la forme d’une « fable », terme qui sera régulièrement repris pour qualifier une série de propositions dont il sait que ce ne sont là que des manières plaisantes et presque romancées de rendre compte d’une Nature dont le fond nous reste à jamais inconnu.

 

Selon vous non seulement Descartes aurait pu ainsi arrêter son travail dès la Troisième méditation, sa poursuite tenant à un saisissement par l’ « art d’écrire » baroque, mais qui plus est, de manière extrêmement subtile, il n’ambitionnerait rien moins que de saper les certitudes énoncées par les théologiens de son temps, substituant au leur…

 Oui, tout à fait ; il est très étrange que les Méditations se poursuivent au-delà de la troisième Méditation, si l’on prend au sérieux l’ambition affichée de l’ouvrage : Descartes prétend en effet démontrer l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Or, l’immatérialité de l’âme est conquise dans la Seconde Méditation, tandis que l’existence de Dieu est prouvée à deux reprises dans la Troisième Méditation ; dans ces conditions, pourquoi poursuivre l’ouvrage, et introduire des thématiques étrangères au projet affiché, à savoir une réflexion sur l’erreur, une nouvelle démonstration de l’existence de Dieu et une réflexion sur l’union de l’âme et du corps ? La logique même de l’ouvrage eût été de conclure après la Troisième Méditation où l’analyse de l’idée de l’infini avait permis de démontrer l’existence d’un Être infini – Dieu. La poursuite du texte surprend le lecteur, d’autant plus que les arguments utilisés à partir de la Quatrième Méditation deviennent de moins en moins clairs, voire de plus en plus absurdes. Il est fort probable que Descartes ait usé d’un certain « art d’écrire », c’est-à-dire qu’il ait écrit le contraire de ce qu’il pensait, sous une forme tellement étrange et absurde que le lecteur avisé pouvait comprendre que le sens du texte devait être renversé pour être compris quant à ses intentions réelles.

 

Quant aux théologiens, à qui s’adresse le tout début des Méditations, ils font l’objet d’une certaine moquerie ; ceux-ci se voient accusés par Descartes de n’avoir jamais été en mesure de prouver l’existence de Dieu, et d’avoir succombé à des pétitions de principe pour lesquelles il fallait déjà croire en Dieu pour démontrer l’existence de ce dernier. Au fond, le véritable danger n’est pas le philosophe proposant de démontrer rationnellement l’existence de Dieu mais  le théologien tentant de convaincre de l’existence de Dieu par des arguments si faibles que la tentation d’être athée en découle aussitôt… L’insolence cartésienne est sensible dès les premières lignes des Méditations, et rien n’est plus plaisant que de comprendre la manière par laquelle Descartes leur annonce qu’il va les dépasser sur leur propre terrain – celui de l’existence de Dieu mais aussi de l’âme !

 

Plus généralement pensez-vous que la théologie puisse se substituer à la philosophie ?

Que l’on soit bien clair : Descartes ne cesse de dire que la Philosophie et la Théologie ne sauraient être confondues et, en aucun cas, il ne statue sur les questions théologiques. Cela revient à dire que l’existence de Dieu n’est pas une question de foi mais une question de raison. Cette dernière permet de comprendre que Dieu existe assurément – en tout cas, qu’un Être infini existe réellement – ; l’enjeu de bien des textes cartésiens consiste donc à distinguer deux ordres de problèmes : l’existence d’un Être parfait ou infini doit être traitée par la raison et, partant, par la philosophie. La nature de cet Être, ses actions, son rapport avec les hommes, voilà ce dont parlent les textes sacrés et les théologiens, et que la Philosophie n’a pas à aborder. En somme, lorsque Descartes prouve l’existence de cet Être infini, il ne pense pas un instant faire œuvre de théologien, il pense faire œuvre de philosophe et ce sont au fond les théologiens qui ont tort de cantonner l’existence de Dieu au domaine de la foi en occultant la dimension démontrable de son existence.

 

Revenons à vos travaux dans le domaine de l’Esthétique et à L’œil et l’intelligible : en quoi une toile de maître peut-elle figurer une pensée, être déterminée par celle-ci? Existe-t-il des liaisons évidentes, indéniables entre la pensée des philosophes et l’art des peintres d’une même époque ?

Il y a plusieurs manières de répondre à votre question ; la plus fréquente, mais aussi la plus aisée, consiste dans le domaine figuratif à convoquer l’iconographie à laquelle Panofsky avait donné ses lettres de noblesse, et à étudier l’image, c’est-à-dire l’histoire cohérente et sensée que représente le tableau ou la fresque ; il s’agit alors de comprendre à quelle référence renvoie chacun des éléments en identifiant les textes et les sources auxquels songe le peintre. C’est une entreprise d’identification des référents permettant de retrouver les connaissances objectives de celui qui a réalisé l’œuvre ; mais c’est aussi une entreprise d’interprétation en ceci que l’agencement des différents éléments référencés révèle la manière spécifique par laquelle le peintre comprend lui-même tel ou tel texte, tel ou tel mythe, tel ou tel épisode historique. Il s’agit en somme de reconstruire par identification des éléments iconiques la pensée originale du peintre dont on étudie les œuvres.

Cette façon de faire présente d’innombrables vertus mais j’ai essayé de montrer qu’elle ne cernait pas la singularité de l’œuvre d’art ; d’une certaine manière, un panneau routier un peu complexe pourrait faire l’objet d’une approche iconographique, ce qui n’en ferait pas pour autant une œuvre d’art.

Il m’a donc semblé nécessaire de chercher non pas dans l’image mais dans la forme elle-même, c’est-à-dire dans les choix perspectifs, spatiaux, chromatiques, etc., la trace de la pensée des peintres. La représentation ne peut adopter une forme que relativement à ce que le peintre peut penser ; la philosophie produit une manière de penser le monde qui devient au bout d’un certain temps le cadre habituel déterminant les bornes du pensable, non pas au sens où elle fixerait des interdits mais au sens où elle crée des habitudes intellectuelles qui ont pour effet de générer de l’inconcevable. Par exemple, les concepts d’espace ou de lieu ne vont par exemple nullement de soi et l’idée d’un espace parfaitement unifié, formant une unité cohérente, est une idée récente, émergeant vers le XVè siècle ; avant cette date, aucun peintre ne peut concevoir un espace unifié, chacun demeurant tributaire d’une approche découpée ou segmentée de l’espace que résume fort bien l’idée aristotélicienne de « lieu » : ce dernier n’est jamais que ce qui est défini par l’emplacement de l’objet, et tant que l’on ne pense pas la cohérence globale des différents lieux, la peinture ne peut pas être autre chose qu’une juxtaposition de lieux.

Pour rendre sensible cette idée, je peux vous donner l’exemple de Fra Angelico qui incarne parfaitement un moment de transition entre une approche de l’espace encore aristotélicienne, donc pensée en termes de lieux, et un espace plus moderne où chaque élément se trouve pris dans un réseau cohérent formant système. A San Marco, Le Christ aux outrages témoigne de cette transition : des éléments isolés rappellent une approche « locale » de l’espace, mais l’étude de ces éléments révèle qu’ils ne sont pas disposés arbitrairement et qu’ils établissent entre eux une série de liens signifiants. En d’autres termes, Fra Angelico ne part pas d’un espace unifié mais construit l’unification en reliant les différents lieux ; c’est un dominicain qui comprend l’esprit de la modernité spatiale mais qui conserve une certaine fidélité à Aristote.

 

Dans vos Balades philosophiques, vous exhumez avant tout la mémoire attachée aux lieux mais plus profondément, la ville en elle-même, les choix architecturaux, l’urbanisme, notamment dans leurs dimensions secrètes, peuvent-ils non pas seulement constituer des objets philosophiques, mais encore délivrer une forme de connaissance, bref receler toute une dimension cachée que n’auraient pas reniée les Grecs anciens, de Pythagore à Platon? Pourquoi par ailleurs la promenade, le mouvement du corps, son inscription dans le paysage, sont-elles prisées par certains philosophes ? Ce goût entretient-il un lien avec leur pensée propre ?

 Il y a une dimension « symbolique » de l’art, fort bien analysée par Hegel dans ses Leçons sur la philosophie de l’art. A ce titre, il me semble que vous avez tout à fait raison de souligner la possibilité d’étudier les structures urbaines de ce point de vue, et de comprendre ainsi le sens d’un alignement manifeste de monuments, ou encore l’ornementation d’une façade. Pour ne prendre que Paris, la fameuse « voie historique » ou « voie royale », courant du Louvre à la Grande Arche en ligne parfaitement droite, et rencontrant l’Arc de Triomphe du Carrousel, les Tuileries, la Concorde, les Champs-Élysées, l’Arc de Triomphe, l’avenue de la Grande Armée, peut et même doit faire l’objet d’un décryptage symbolique, renvoyant autant à l’histoire qu’à une sorte de « géographie sacrée » imposant de penser l’organisation du monde terrestre comme le reflet du monde céleste. Que l’on ait par exemple installé tout autour de l’obélisque de la Concorde un gigantesque cadran solaire afin de montrer la projection au sol du Soleil ne saurait être dénué de signification, d’autant plus que la plupart des parisiens ignorent ce fait, ce qui interdit d’en faire un élément à visée esthétique visible de tous.

 Il y a par ailleurs une sorte de mode visant à réinscrire la marche dans une perspective philosophique ; Michel Malherbe, Frédéric Gros, Danièle Sallenave, etc., ont récemment écrit des textes allant en ce sens. Il y a dans la marche une manière d’arpenter le monde qui consiste à se mettre à son diapason et à peut-être interrompre la scission de la conscience entre le sujet et l’objet ; par la marche, nous ne sommes pas face au monde mais au contraire partie intégrante de ce dernier, élément du Cosmos. Cela rejoint la préoccupation contemporaine de mettre fin à la singularité de la subjectivité s’exceptant du monde, et se posant face à lui ; on rejoint peut-être par là une manière de faire grecque, particulièrement aristotélicienne, par laquelle la déambulation, c’est-à-dire le péripatétisme, était cruciale pour l’exercice de la pensée. Ou, peut-être de façon plus pessimiste, pouvons-nous aussi y voir un retour du rousseauisme et de ses rêveuses promenades qui témoigneraient alors moins d’une sagesse retrouvée que d’une incapacité totale à vivre dans le monde des hommes et d’un besoin de fuite maquillée en sagesse philosophique. Il est toujours très difficile d’interpréter les motifs réels d’un phénomène de mode…


4 Autre stimulation de notre Sense of wonder, votre livre intitulé La philosophie au risque de l’intelligence extraterrestre. Vous expliquez en préface comment vous avez identifié un très grand nombre de textes, sous la plume des plus grands, définissant la problématique de l’existence d’une vie extraterrestre? Pouvez-vous en tracer les grands axes? On imagine que c’est avant de penser l’homme dont il est peut-être ici, encore et toujours, question…

 La question de la rencontre avec des intelligences non-humaines a toujours hanté la pensée philosophique et, paradoxalement, ce n’est que depuis quelques années, c’est-à-dire depuis une période où la possibilité effective de rencontrer de tels êtres s’est considérablement accrue, que ce thème est devenu objet de moqueries, comme s’il s’agissait d’en conjurer l’advenue par le ricanement. Globalement, et en caricaturant un peu, les grands axes sont les suivants :  dans une perspective religieuse, les philosophes médiévaux voient bien que réduire la création intelligente de Dieu aux seuls hommes reviendrait à réduire sa puissance ; un Dieu infiniment puissant peut créer un nombre infini d’êtres intelligents matériels, donc un nombre infini d’espèces peuplant le cosmos ; mais cela pose alors la question du salut et de l’utilité du Christ : ce dernier est-il venu pour les hommes seulement ou pour l’ensemble des espèces pécheresses ? Un autre axe réside dans la réinterprétation philosophique des découvertes physiques des 16ème et 17ème siècles : si l’Univers n’est pas clos mais indéfini, alors son immensité rend bien peu probable la croyance selon laquelle n’existeraient que les hommes comme espèce intelligente matérielle. De ce fait, il est infiniment plus probable, compte-tenu de l’immensité de l’Univers, que celui-ci soit infiniment peuplé d’êtres intelligents que nous rencontrerons peut-être un jour et que Galilée et Kepler, d’ailleurs, prétendent avoir observés réellement sur la Lune grâce aux télescopes. Une description étonnante des habitations lunaires est même fournie par Kepler. Cette seconde façon de voir sera vulgarisée par Fontenelle dont on oublie trop souvent que ses Entretiens sur la pluralité des mondes furent un best-seller au 18è siècle et que toute l’Europe cultivée lut ce texte décisif ; parmi les lecteurs figure Kant qui est sans doute celui qui est allé le plus loin dans une réflexion sur la manière de se comporter face à un être raisonnable, mais non-humain, qui partagerait avec nous une même raison. C’est pourquoi la réflexion kantienne sur les êtres raisonnables permet de résoudre le problème du comportement moral que nous devrions adopter face à une rencontre du troisième type.

Propos recueillis par Hugues Simard