Le point commun entre les jeux Toko Toko, Winky Play, Miraculous : Rise of the Sphinx et Moon Bowl ? Tous ont été développés ou codéveloppés par un studio de jeux vidéo indépendant, français, basé à Angoulême. Kalank Games nous a ouvert ses portes à l’occasion de la sortie de sa toute dernière production. Prêts à percer les codes du jeu vidéo made in France ?
Du papier peint jauni, un mobilier en bois ancien, un imposant lustre chandelier qui se balance au plafond, l’ombre de portes battantes façon saloon qui s’étire sur un parquet verni…. Non, nous ne sommes pas dans l’Ouest-américain au temps des cow-boys, mais bien à Lagora d’Angoulême, un campus d’entreprises et d’innovations. Ces décors, ce sont ceux du dernier jeu vidéo produit par Kalank Games et dévoilé au 52e festival de la BD, qui s’est tenu du 30 janvier au 2 février derniers. « Il s’agit d’une grande installation Lucky Luke gratuite pour tous. Avec un casque de réalité virtuelle, les enfants et les grands enfants peuvent défendre le saloon et tenter de repousser les Dalton dans une expérience totalement immersive » présente Baptiste Deneufbourg, CEO & creative director du studio.
100 projets réalisés
Si aujourd’hui Kalank Games collabore avec de grands noms tels que Meta, Sony ou Microids, ses débuts en 2017 ont été plus modestes. « Nous n’étions que deux avec Adrien [Carta, ndlr], mon cofondateur. Notre expansion s’est faite graduellement. Deux ans plus tard, nous étions huit. Aujourd’hui, nous sommes 23, avec assez des métiers pour couvrir l’ensemble de nos besoins sur les projets, en faisant parfois appel à des freelances » ajoute Baptiste Deneufbourg en zigzaguant entre les écrans d’ordinateurs. Ici, un tableau Miraculous. Là, une affiche du jeu Sun Royale accrochée au mur. Au total, Kalank Games compte plus de 100 projets réalisés avec Unity et Unreal Engine, et 60 projets réalisés en co-développement. « Nous sommes agiles mais notre univers de prédilection est le stylisé, c’est-à-dire tout ce qui est dessiné animé ou animés, sans verser dans le réalisme, qui correspond à des productions comme Assassin’s Creed » détaille le CEO du studio. Pour ce diplômé du Cnam-Enjmin, école spécialisée dans les métiers du jeu vidéo et de l’image à Angoulême, s’implanter près de son lieu de formation s’est révélé naturel. « Ici, nous avons un flux continu des diplômés de l’Enjmin, des écoles d’animation mais aussi des écoles de développement, comme l’Ecole 42. Tous les métiers sont réunis dans un même écosystème, dont le coût de la vie est moins cher que dans une grande métropole comme Paris ou Bordeaux, ce qui nous permet d’être attractifs. »
Nourrir la créativité par la contrainte
Malgré une moyenne d’âge de 26 ans, le talent de Kalank Games n’est plus à démontrer. Conception de jeux, programmation, direction artistique, animations, modélisation 2D/3D, UX, conception sonore … Au total, six artistes, dix développeurs et quatre game designers – concepteurs de jeu en français – évoluent sur les différents projets. Parmi eux, Loïc Edoh, qui a rejoint Kalank Games en mai 2024. Avec son sweat brodé d’un tigre orange et de fleurs couleur corail, il tranche avec les murs blancs de l’open space. Paré d’un casque de réalité virtuelle, une manette dans chaque main, les images qu’il visionne sont retranscrites en temps réel sur l’écran de son ordinateur. « Durant ma formation à e-artsup Nantes, on m’a répété que mes dix premiers jeux seraient nuls, pour me faire comprendre que j’allais échouer, recommencer et apprendre. Dans le jeu vidéo, il faut avant tout être persévérant » sourit-il en retirant son accoutrement, dévoilant une paire de lunettes rondes. Son rôle au sein du studio ? Définir l’expérience que vont vivre les joueurs. « Avec le design, j’ai appris que la créativité se nourrit de la contrainte. Il faut cadrer les idées pour ensuite établir les règles d’un jeu » indique Loïc Edoh.
Du game au level design
S’il y a autant de méthodes de travail que de game designers, Loïc a ses astuces. « Sur ma tablette, je note les informations importantes du projet. Pour le jeu Lucky Luke, nous avions une directive : travailler sur un shooter dans l’univers du cow-boy. Je définis ensuite les piliers, c’est-à-dire les mots clés qui vont orienter l’expérience. » Nourriture, protection, humour ou encore BD s’imposent naturellement. « J’ai ensuite étoffé ces notions en prenant la décision d’incarner un joueur qui doit défendre le saloon contre les Dalton. J’ai dû trouver des astuces, notamment pour les armes utilisées car c’est un jeu accessible à tous les publics, et respecter les contraintes des ayants-droits qui nous ont commandé le projet » détaille le game designer. Oubliées, donc, les armes violentes, place aux lances-patates. Une fois les contraintes définies, Loïc Edoh peut passer au level design, « qui consiste à définir ce qui va se passer dans toute l’expérience. Lucky Luke est une immersion courte de cinq minutes, l’idée est de placer les Dalton à certains endroits pour rendre la partie plus agréable ou challengeante pour le joueur » précise-t-il. Ce que Loïc aime le plus dans son métier de concepteur de jeu ? Être au centre du projet. « Je discute avec les différents pôles pour m’adapter à leurs contraintes, il y a un gros travail d’empathie, d’écoute et de communication que j’affectionne » explique-t-il.
Découvrir les environnements
Parmi ses interlocuteurs quotidiens, Albane Dupuy, 24 ans, chargée des environnements « c’est-à-dire les décors d’un jeu » simplifie-t-elle, installée confortablement face à trois écrans d’ordinateurs. Tables, chaises, fenêtres, arbres, lacs, montagnes ou encore rivières passent entre les mains expertes de la jeune femme. « Je m’occupe aussi du lightning, c’est-à-dire de mettre des lumières au bon endroit, des ambiances mais aussi du shader, une technique que j’aime beaucoup qui permet, en résumé, d’appliquer un filtre sur l’image pour avoir des rendus variés » ajoute Albane. Une technique notamment utilisée sur le jeu Lucky Luke pour lui donner un effet 2D et coller au plus près à l’univers de la BD. Arrivée chez Kalank Games en juillet 2023 pour un stage de fin d’études, Albane Dupuy enchaîne avec un CDD de six mois, transformé en CDI. Formée à l’Ecole d’Art Graphique (ECV) de Bordeaux, elle souhaitait « débuter dans une petite structure et pas dans un gros studio car cela permet de toucher à plus de choses » déclare-t-elle. Parmi ses outils fétiches : Houdini. « C’est un logiciel très technique et procédural, qui se rapporte visuellement à du code. C’est un gros atout de le maîtriser car il reconstruit les environnements en temps réel. Par exemple, il suffit d’étirer un bâtiment et toutes les proportions des objets, comme les fenêtres et les portes, s’adaptent immédiatement. Il est beaucoup utilisé dans le film d’animation et demande beaucoup d’apprentissage » ajoute la jeune femme.
Deux jeux Meta Quest à venir
Cette maîtrise des outils techniques, et notamment du moteur Unity, contribue à l’agilité et à la renommée de Kalank Games. Selon Baptiste Deneufbourg, « le jeu vidéo est une matière vivante. Être rapide et agile permet de produire rapidement des prototypes, imparfaits mais essentiels pour tester le jeu et se projeter. » Une approche qui reflète la philosophie du studio : innover pour créer des expériences interactives uniques. Dans cette optique, la structuration des équipes joue un rôle clé. « Une bonne production, c’est comme un groupe de musique : chacun doit jouer sa partition en harmonie avec les autres » poursuit le CEO. Une dynamique qui porte ses fruits puisque Kalank Games, déjà partenaire de Meta pour un premier projet de réalité virtuelle, a récemment signé un second contrat avec le géant, cette fois-ci sans éditeur intermédiaire. Ne reste plus qu’à découvrir lequel…