Le 27 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine pour libérer les provinces russophiles. C’est une crise géopolitique majeure qui éclate aux portes de l’Europe avec des conséquences économiques significatives, notamment des problèmes d’approvisionnement en gaz et en pétrole mais aussi en blé. Les Ukrainiens comme les Russes ne s’y sont pas trompés et se sont empressés, à cette annonce, de sortir leurs avoirs de leur pays. Il faut dire que leur histoire les a bien entraînés. La guerre signifie l’étatisation de l’économie et l’imposition de contrôle des capitaux pour s’assurer que les ressources du pays restent à son service. Pourtant, deux mois après, le rouble est la devise qui affiche la meilleure performance cette année et est en hausse depuis le début du conflit. Comment est-il possible que le rouble ait réalisé un tel rebond alors que la guerre s’enlise ? Echappe-t-il aux règles économiques ?
L’économie de guerre et la valeur de la monnaie
A peine l’invasion de l’Ukraine par la Russie avait-elle commencé que les Ukrainiens comme les Russes ont cherché à mettre à l’abri leurs avoirs en achetant devises étrangères, cryptomonnaies, des devises étrangères, or… Ces mouvements ont provoqué la baisse significative de leur monnaie nationale dans les jours qui ont suivi. La devise russe a dévissé de 75 % en 10 jours passant de 80 roubles pour 1 dollar à plus de 140 le 7 mars 2022. Aujourd’hui la devise russe a rebondi à 60 roubles pour 1 dollar.
Côté Ukrainien, la monnaie – Hryvnia – a baissé dès le début du conflit de presque 10 % depuis le début de l’année et n’a pas récupéré depuis. Cette différence s’explique essentiellement par le fait que la guerre se déroule physiquement sur son territoire et entrave sérieusement l’activité économique en raison de sa désorganisation et de la destruction des outils de production ainsi que des récoltes. En outre, l’acheminement de la production est sérieusement entravé par un réseau routier et ferré endommagé et un trafic aérien perturbé. En revanche, en Russie, l’activité économique se poursuit somme toute normalement malgré les restrictions et les sanctions internationales. Comment expliquer un tel rebond de la monnaie alors que l’économie russe n’est pas non plus dans une phase de rebond économique ?
La Russie est un acteur majeur du marché du gaz et du pétrole en Europe
Paradoxalement les sanctions économiques et la politique du repli sur soi ont joué en faveur du rouble et ce parce que la Russie est un acteur majeur du marché du gaz et du pétrole en Europe. En effet, les occidentaux ont décidé dans les jours qui ont suivi le début du conflit d’adopter des sanctions à l’encontre de la Russie, notamment le gel des actifs en dollars de la banque centrale Russe et la déconnexion de certaines banques russes au système de paiement international SWIFT. Les Russes ont répondu à ses sanctions par un chantage. Puisque le paiement en dollars du gaz et du pétrole n’est plus possible alors le président Poutine a annoncé jeudi 31 mars, un décret effectif dès le lendemain imposant aux pays « inamicaux » le paiement des contrats de gaz et de pétrole uniquement en roubles sous peine de voir l’approvisionnement se tarir du jour au lendemain.
Le rouble dopé par… les sanctions internationales !
Evidemment cette décision a entrainé des divisions au sein de l’Europe avec certains pays plus timides dans leur réaction comme l’Allemagne, l’Italie, la France alors que d’autres pays ont décidé de s’en passer comme la Pologne, la Finlande, la Bulgarie et plus récemment le Danemark et les Pays Bas. Il faut rappeler que la Russie est le premier pays fournisseur de gaz pour l’Union Européenne (40 %) et le deuxième fournisseur de pétrole (20 %). Pour pouvoir effectuer les paiements en roubles, la Russie impose aux entreprises clientes d’ouvrir deux comptes auprès de la première banque Russe Gazprom, un en devises – euro ou dollar – qui seront converties en roubles sur un deuxième compte, évitant ainsi les sanctions internationales.
La remontée du rouble est un coup fatal porté par la Russie à la diplomatie occidentale
La Russie impose une demande en roubles qui lui permet de voir son cours remonter sur le marché d’autant que pour protéger sa devise et juguler l’inflation, la banque centrale avait fortement augmenté les taux d’intérêt -jusqu’à 20 % puis abaissé successivement à 17 %, 14 % , 11 % et plus récemment à 9,5 % malgré une inflation avoisinant les 20 % et sans que le rouble ne faiblisse, galvanisé par le chantage de Putin. Cette remontée du rouble est un coup fatal porté à la diplomatie occidentale. Elle prouve que les sanctions internationales n’ont pas de prise sur le symbole de la souveraineté russe – le rouble, sa monnaie. Une belle publicité pour la propagande russe qui renforce le soutien de sa population et qui n’est pas de bon augure pour la fin du conflit en Ukraine !
L’auteur est Nathalie Janson, professeur associé à la Neoma Business School