Il est toujours intéressant de regarder comment évolue la fréquence à laquelle un terme a été tapé dans le moteur de recherche Google pour se rendre compte des préoccupations d’une société. Google Trends nous apprend, par exemple, que le nombre de requêtes, dans la catégorie actualité, concernant le secteur des semiconducteurs (en français et dans le monde) a connu un pic en janvier 2022 après un accroissement très important entre octobre 2020 et février 2021 suivi d’une relative stagnation sur l’ensemble de l’année 2021.
De plus, grâce à cet outil proposé par le moteur de recherche le plus utilisé aujourd’hui, il est possible de voir les sujets et requêtes associés. Entre la fin 2020 et maintenant, le sujet semiconducteurs était associé, sans grande surprise, à la pénurie et aux tensions dans les secteurs utilisateurs, mais avant ? Et bien avant, les demandes semblaient émaner quasiment exclusivement des professionnels du domaine : les entreprises du secteur et les cours de la bourse. Cela nous dit des choses intéressantes sur la manière dont le secteur des semiconducteurs, au centre de l’économie contemporaine, était perçu. Il semblait quasi invisible aux yeux du grand public, avant que d’autres secteurs ne tirent la sonnette d’alarme n’y ayant plus accès pour leur propre production (l’automobile en particulier mais aussi l’électroménager ou encore la téléphonie ou les jeux vidéo…). La pénurie semble avoir été la seule capable de mettre en lumière un produit très mal connu du grand public.
Que sont les semiconducteurs ?
Les semiconducteurs sont des composants électroniques actifs mais souvent, il est évoqué dans la presse le terme de « semiconducteur » pour se référer à l’ensemble des composants (incluant ainsi les composants passifs comme les résistances mais aussi les circuits imprimés, par exemple). Le problème est que nous ne voyons pas directement ces composants : quand on parle de semiconducteurs on parle en micromètre (un grain de sable pour ainsi dire) voire en nanomètre (un brin d’ADN). De plus, ce sont des biens intermédiaires. Cela signifie que, nous, en tant que consommateurs finaux, ne les achetons pas seuls. D’ailleurs avant l’année 2020, auriez-vous été capables de citer une entreprise de semiconducteurs ? Pourtant, les semiconducteurs sont tout autour de nous, présents dans nos objets du quotidien : nos téléphones, nos voitures, nos consoles de jeux, notre électroménager…. Sans eux pas de connexion à internet, pas de data center, pas d’intelligence artificielle… bref, ils sont à la base des grandes transformations technologiques contemporaines. De plus, comme l’innovation dans le domaine leur permet d’être de plus en plus petits donc de plus en plus performants tout étant moins couteux à produire et donc moins chers à la vente, ils se sont immiscés doucement dans des secteurs de plus en plus innovants comme le médical, par exemple.
Pourquoi le secteur des semiconducteurs a-t’il attiré l’attention ces derniers mois ?
Durant l’année 2020, plusieurs facteurs se sont cumulés pour expliquer une grosse tension entre l’offre de ces composants électroniques et une demande en pleine croissance. Le fait est que les semiconducteurs ne se produisent pas aussi facilement que des masques. Par exemple, il faut beaucoup de temps et surtout de budget pour accroitre les capacités de production de ce type de biens. Ainsi, lorsqu’une pandémie mondiale nous rend tous plus dépendants que jamais à nos outils digitaux, la situation devient dramatique. Le Covid n’explique pas, à lui seul, l’ampleur de la crise mais permet tout de même de comprendre pourquoi c’est à ce moment que l’on a commencé à parler de plus en plus de ces minuscules puces. Si les acteurs du secteur sont habitués, depuis des années, à ce qu’il y ait des décalages importants entre la production et les besoins, les secteurs utilisateurs ont été particulièrement déstabilisés et l’ont fait savoir.
L’Europe a particulièrement été fragilisée par cette pénurie parce que moins de 10 % des semiconducteurs du monde y sont produits : si la recherche dans le domaine est dynamique et à la pointe, la désindustrialisation du vieux continent n’a pas épargné le secteur. Bien sûr, il est impossible de produire tout ce dont l’Europe pourrait avoir besoin mais, au moins, avoir quelques unités de production aurait permis de conserver un certain pouvoir de négociation pour accéder plus aisément à certains produits et rassurer les industriels du territoire.
Une crise pour le meilleur ?
Il serait malvenu de se réjouir de cette crise qui a eu des conséquences importantes sur l’économie française notamment : fermeture de chaines de production dans le secteur de l’automobile surtout et donc mise en chômage partiel des salariés, mise en difficulté de jeunes entreprises innovantes dépendantes des semiconducteurs, augmentation des prix des semiconducteurs, qui se répercute sur les produits finaux… Il est important pourtant de voir le positif : il y a eu une véritable prise de conscience que la production de composants représente un enjeu stratégique central. La crise est parvenue à interpeller les utilisateurs que nous sommes et la classe politique : par son « Chips Act », la Commission européenne prévoit un investissement public-privé de 43 milliards d’euros d’ici à 2030 afin de doubler sa part de marché. Pour pouvoir atteindre ces objectifs, des moyens sont plus qu’indispensables. Cependant l’enjeu est aussi et surtout celui des ressources humaines et de la formation : le secteur demande des compétences et connaissances très spécifiques et pointues qu’il faudra disséminer et renouveler pour qu’elles restent à jour. Cela représente des débouchés certains pour les étudiants de demain. Les institutions de formation, à tous les niveaux, doivent se préparer pour soutenir le dynamisme d’un secteur qu’il nous faut continuer à suivre de près. C’est pourquoi à l’EM Normandie vient d’annoncer la prolongation de sa chaire de recherche consacrée à la digitalisation de l’économie. Les travaux des chercheurs portent, dans ce cadre, notamment sur ce secteur dont la société contemporaine de l’information est dépendante. La mission de l’école est de rester à la pointe de la connaissance dans nos domaines et de préparer au mieux nos étudiants aux besoins de l’entreprise.
Mathilde Aubry, PhD
Professeure en Economie
Département Economie, Territoires et Développement Durable de l’EM Normandie
Titulaire de la Chaire « « Digitalisation et Innovation dans les Organisations et les Territoires »