Sobriété numérique : comprendre, s’orienter, s’engager

Sobriété Numérique : comprendre, s’orienter, s’engager : les technologies numériques sont des outils extraordinaires d’exploration scientifique et de progrès. Elles peuvent être des alliées puissantes pour faire face aux crises d’aujourd’hui et de demain : l’ordinateur quantique par exemple, et sa puissance de calcul faramineuse, l’intelligence artificielle et ses applications dans les smarts-grids renouvelables, les imprimantes 3D comme moyen de recyclage de matériaux plastiques ou encore la réalité virtuelle comme nouvelles pédagogies immersives. Les exemples sont multiples.

Sobriété numérique : comprendre

Mais, au-delà de contribuer à la transition énergétique grâce aux innovations induites, le digital reste une majeure partie du problème.  Son activité est l’empreinte carbone qui croît le plus vite sur Terre, en plus de contribuer à l’épuisement du stock de ressources abiotiques (terres rares notamment) et à des pollutions d’une toxicité mortelle dans de nombreux écosystèmes. L’empreinte des Gaz à Effet de Serre (GES) du numérique pourrait augmenter de manière significative (+ 60 % d’ici à 2040 soit 6,7 % de l’empreinte GES française) d’après l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse).

Alors, comment limiter l’impact environnemental du numérique et éviter ses effets rebond ? Comment protéger les écosystèmes exploités et comment réhabiliter les poubelles mondiales du numérique ? Comment penser les usages d’un numérique responsable pour éviter les crises écologiques qu’il engendre aujourd’hui mais permettant quand même un progrès sociétal ? Quel numérique permettrait de prendre le temps de bien vivre plutôt que d’augmenter la fracture sociale, les troubles de l’attention et l’infobésité ?

Etudiantes, étudiants, on ne pourra pas résoudre le problème le plus complexe de tous les temps avec les modes de pensée qui l’ont engendré. Cette formulation empruntée à Albert Einstein nous invite donc à relever le plus grand challenge trans-générationnel de notre époque : comprendre que la première innovation dont notre société a besoin est la sobriété !

Sobriété numérique : s’orienter

Certains étudiants « ne savent pas qu’ils ne savent pas », et c’est bien normal ! D’autant plus qu’une fois que la prise de conscience est faite de cette réalité planétaire, un sentiment d’impuissance peut nous freiner à passer à l’action. C’est cette première étape importante qui a été franchie cette année à l’Institut Mines-Télécom avec le déploiement pour tous les étudiants de 1ère année d’une rentrée de sensibilisation au changement climatique et aux impacts du numérique, suivie dans l’année d’ateliers de passage à l’action organisés par et pour les étudiants de nos 8 campus.

Pour zoomer sur le concept précis de sobriété numérique (concept introduit en 2008 par Frédéric Bordage, spécialiste français du numérique responsable et fondateur de GreenIT), cette démarche consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens.  

Pour vous, étudiants et individus tout simplement, cela consiste en premier lieu à limiter le nombre de dispositifs numériques et les utiliser sur une longue durée de vie : ne pas renouveler son smartphone avant sa (vraie !) fin de vie, faire réparer son smartphone avant de le jeter, utiliser du matériel informatique reconditionné (disponibles sur Back Market par exemple), et vraiment quand il est en fin de vie, le jeter dans des points de collecte de recyclage DEEE. Finalement, cela ne revient ni plus ni moins à appliquer au numérique la fameuse règle des 5R de la démarche zéro déchet – Refuser, Réduire, Réparer, Recycler, Rendre à la terre.

En deuxième lieu, les actions personnelles à mettre en œuvre consistent à limiter les flux vidéos en préférant les podcasts par exemple, moins couteux en énergie. Car non, ces flux de données et de mégaoctets ne sont pas dématérialisés. Pour ne prendre que l’exemple des Bitcoins, la consommation électrique de ses transactions dépassait en 2019 celle de l’Argentine ou de la Suède, et son empreinte matérielle celle des achats du Luxembourg. C’est très concret. Alors imaginez l’empreinte en énergie notamment pour les datacenters, des flux vidéos de sites de streaming et de la pornographie qui, à eux deux, totalisent 68 % des flux vidéos mondiaux (LeShiftProject, 2019).

Bien sûr, les externalités du numérique sont loin de se limiter aux gestes individuels. Même s’ils demeurent importants dans une démarche d’acceptation et de partage, et qu’ils peuvent être mis en œuvre sur un temps court d’action, un engagement sociétal fort de l’état et des institutions est charnière. Ils doivent définir le cadre des grandes réglementations, notamment dans la standardisation de nos usages.

Actuellement, la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN) en France est en discussion au Parlement afin de faire converger les transitions numérique et écologique.  Aussi, le Gouvernement français a publié en février 2021 sa feuille de route Numérique et Environnement pour inverser la tendance. Les industriels également s’engagent, et cherchent à réduire leurs empreintes en se tournant de plus en plus vers du personnel qualifié pour répondre à ces problématiques. C’est donc vous en priorité, étudiantes et étudiants, que nous souhaitons former à l’écoconception, aux outils d’analyses de cycles de vie, d’économie circulaire et de responsabilité sociale pour pouvoir être acteur d’un monde nouveau dès votre premier emploi.

Sobriété numérique : s’engager

L’enseignement supérieur a ainsi aujourd’hui la responsabilité d’apporter à l’ensemble des étudiantes et étudiants tous les outils (savoirs, savoirs-être, savoir-faire) nécessaires pour appréhender ces problématiques et être en capacité d’agir différemment dans le monde professionnel. En témoigne directement la mission prolongée « Enseigner la transition écologique dans le supérieur », commanditée depuis 2020 par la ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation, et pilotée par le climatologue reconnu Jean Jouzel.

En effet, les études supérieures sont un moment charnière pour construire sa relation à la société et au monde professionnel, et à être acteur d’une trajectoire désirable du monde à venir. Peu importe le point de vue, il y a une chose dans l’enseignement qui n’est plus à débattre : les futurs diplômés devront inscrire leurs actions dans une approche systémique plus globale en tenant compte de toutes les composantes et résultantes possibles pour un projet d’avenir : risques, incertitudes, gestion de crises, responsabilité sociétale et environnementale.

A l’Institut Mines-Télécom, nous avons la chance d’avoir des étudiants mobilisés qui brillent par leur engagement au travers du collectif TForC (Transitions et Formations Citoyennes). Nous collaborons directement avec eux pour bâtir des programmes d’enseignements intégrant cette responsabilisation et ce besoin de créer de nouveaux récits, d’imaginer de nouveaux modes de vie. Nous structurons cette année une boîte à outil à destination de plus d’un millier d’enseignants-chercheurs et des 13 000 étudiants de l’institut pour permettre à tous nos nouveaux diplômés d’être en capacité d’agir en adéquation avec leurs valeurs. Pour reprendre une citation du Shift Project (Rapport « Former l’ingénieur du XXIe siècle », Février 2021) : « Aucune discipline ne peut se dispenser de se poser la question : quel est mon rôle dans la société et à quelle société ai-je envie de contribuer ? »

Les auteurs sont Anne Monnier, chargée de mission Transition Écologique à l’Institut Mines-Télécom et Clara Cutullé, Étudiante en Mastère Spécialisé Acteur Pour la Transition Énergétique