Apprenti chercheur et explorateur du monde de l’entreprise : les avantages d’une double vie. Réaliser une thèse est la porte d’entrée du monde de la recherche. Travail de longue haleine, parfois solitaire, elle certifie la capacité du jeune chercheur à mener à bien des travaux de recherche. Bien que le doctorat ait la réputation de ne fermer aucune porte, entreprendre une thèse implique habituellement pour le(la) jeune doctorant(e) de renoncer à l’expérience tout aussi formatrice du travail en entreprise.
Or, ce dernier permet aux nouveaux diplômés d’affiner leur projet professionnel et de se familiariser avec des codes souvent bien différents de ceux du monde académique. Ces années étant, de ce fait, précieuses pour ceux qui n’ont pas encore tranché entre carrière académique et industrielle, ce choix peut être lourd de conséquences.
Ce dilemme cornélien n’est plus une fatalité ! En France, par exemple, la Convention Industrielle de Formation à la Recherche (Cifre), propose un partenariat entre une entreprise et un laboratoire de recherche. Parfois perçue comme le parent pauvre du monde académique, considérée avec méfiance par les industriels, les opportunités qu’offrent la thèse CIFRE sont mésestimées. Pourtant, à bien des égards, elle est très avantageuse pour le doctorant comme pour l’entreprise qui l’accueille. Il m’a semblé utile de partager ici mon expérience.
Une double vie ?
Car, depuis deux ans et demi, je mène très officiellement, une sorte de « double vie ». Je conduis des travaux de recherche portant sur l’intelligence artificielle, au MICS – laboratoire de mathématiques et l’informatique de CentraleSupélec tout en consacrant une partie importante de mon temps au sein de la R&D de Sidetrade, une entreprise spécialisée dans l’Intelligence Artificielle appliquée au commerce et à la finance d’entreprise. J’y accomplis des missions de data science diversifiées (veille, prototypage, élaboration de dossiers de financement public) en interaction avec les 25 ingénieurs et responsables de ce département réparti entre la France et l’Angleterre.
La rencontre féconde du temps long et du temps court
Nous sommes environ 1 500 doctorants en thèse Cifre en France, une petite moitié des thésards de mon laboratoire en bénéficient. Ce n’est donc pas un épiphénomène mais bien une alternative considérée par les apprentis chercheurs en quête de financement.
Pourtant ce sont deux mondes aux temporalités bien différentes qui se rencontrent. L’un rythmé par la vie économique, l’autre mu par des questions dont la résolution nécessite un processus lent. De prime abord, il peut sembler surprenant qu’un doctorant, déjà monopolisé par l’accomplissement d’un exercice ardu, en vienne à être, en quelque sorte, l’arbitre de cette rare croisée des mondes.
(Ré)Concilier ces temporalités passe par une forte culture de l’innovation dans l’entreprise. Elle permet à l’encadrement d’aménager un temps conséquent au doctorant dédié à l’exploration et à l’apprentissage (participation à des séminaires ou conférences) qui sera alors un terreau de découverte. Par exemple, au sein de mon entreprise, je ne suis pas considéré comme une « ressource » rattachée à la feuille de route de tel ou tel produit. C’est un choix fort qui me garantit une flexibilité appréciable, tout en m’autorisant d’intervenir sur les problématiques IA de la R&D, qui exigent constamment un regard « neuf ».
Bénéfices partagés
L’écueil est de considérer le doctorant Cifre comme une ressource R&D à bas prix. Les avantages pour l’entreprise s’apprécient en fin de parcours, des contributions aux produits, le dépôt de brevets, une R&D connectée avec le monde académique, une présence affirmée au sein de l’écosystème grâce à des contributions scientifiques.
Ici réside la vraie valeur de ce dispositif : il permet d’apponter le monde de la recherche et celui de l’entreprise. Dans mon cas, comprendre les biais dans les IA, mon sujet de thèse, ne s’est pas imposé d’emblée. C’est bien mon immersion dans le monde de l’entreprise, et la confrontation aux données réelles, qui m’a permis d’identifier cet enjeu et de structurer mon projet.
Une forte employabilité
Le Cifre est également un tremplin pour l’emploi ; 2/3 des docteurs Cifre intègrent le secteur privé quand une majorité d’« anciens Cifre » rejoignent la R&D de leur entreprise d’élection, selon le ministère de l’enseignement.
Des dispositifs similaires existent en Europe : « EPRSC industrial CASE studentships » et « BBSRC CASE studentships » en Grande Bretagne, « Enterprise Partnership Scheme » en Irlande, ou encore « Graduate‐Cluster for Industrial Biotechnology » en Allemagne…
Une chose est certaine : la coopération des laboratoires et des entreprises est une chance, à nous, doctorants et entreprises innovantes, de la saisir !